Run girl run (F01-911)

Tous se lamentaient dans un coin, l’œil qui traîne au cas où des ombres malveillantes les traqueraient derrière. Car la ruche était une drôle de forêt blanche avec des dangers imperceptibles, et surtout, des secrets partout. Mais les souvenirs ? Nulle part. Et sans eux, ils étaient tous dans le même panier. À la fois aveugles et bêtes. Des biches dans le viseur du chasseur.

Aujourd'hui, 12 était nerveux. Il ne savait pas pourquoi, personne ne l'avait emmerdé. Il avait juste les mains qui tremblaient un peu, la manifestation désagréable d'une sorte de manque en lui, quelque chose qui raille la peau et assèche la langue. C'était quoi ? Impossible de dire. À croire que ça faisait partie des choses qu'il a oubliées.

Un des divans réceptionna son poids. Ses notes, toujours dans sa poche. Avec son écriture au langage que tous ne comprennent pas. 12 passe l'aire de vie d'un balayage du regard : trop peu de visages familiers. Presque uniquement des figures timides, renfrognées, faussement assurées. Rien de vrai. Et lui aussi, dans tout ce décor immaculé, il fait tâche.

Ses yeux bleus pivotent sur la gauche. L'espace sportif. Peut-être que ça pouvait paraître con de penser à une chose pareille en pleine situation d'inconnu (de crise, si l'on en croyait les plus effacés), pourtant 12 n'hésite pas. Cul levé du canapé, un élan le pousse vers les modules de sport, tapis de course et altères. C'est neuf et prêt à l'emploi. Il voit même que quelques inconnus se sont employés à l'utilisation du matériel, ils sont tous là en train de courir sur place comme des hamsters dans leur roue. La vision a quelque chose de surréaliste qui tire à 12 un sourire mesquin.

Ils s'entraînent à fuir le danger.

C'était fort cocasse, cette répartie jetée à sa figure, comme le torchon sur lequel elle tamponnait sa peau trempée. 12 conserva son sourire, c'était collé sur sa face comme du béton. Il aimait ce genre de tranchant au bout des lèvres.

- Juste de la curiosité, rien de plus.

Qu'il assura, les poings engoncés dans ses poches de pantalon.
Il l'avait observée pendant qu'elle courait, probablement pour épancher l'agacement d'être enfermée sous ce dome. 12 comprenait, et l'aurait imitée si elle n'était pas entrée dans son champ de vision. Tss, on sent les bas instincts faire surface.

- Loin de moi l'idée de déranger, on est obligés de fréquenter les mêmes lieux après tout.

C'est pas ici que tu auras de l'intimité ma grande, que ça voulait dire. Et 12 s'approche, l'air insolent au rictus mutin. Certainement que ça venait de sa vie avant l'oubli, ce caractère assuré et sans détour.

- Tu as terminé ? Hein ? De quoi ? Tous les autres sont déjà occupés. Chacun son tour...

Foutus tapis roulants. Malheureusement, même en perdant tous ses souvenirs, un con reste un con.

Si acerbe. Si piquante.

12 était sûr. Dans sa vie avant l'oubli, il aimait déjà ça. Il le ressentait au plus profond de ses tripes, comme si c'était gravé.

Chiffon plaqué sur son poitrail, il rattrape le textile avant que ce dernier n'échoue par terre. Dans les contes, l'homme récupère le mouchoir à la princesse : ici, il ramassait le torchon à madame. Les temps évoluaient, il fallait croire. Son sourire, agaçant pour ces dames, demeura. Une promesse inaudible. Et il la suivit du regard, sans lui courir après -- ça pouvait attendre.

Aussi, à son tour, il s'attela à l'activité qu'il convoitait. Un peu de course sur ces tapis roulants. Il marcherait dans les pas de celle dont il ignore le nom. Pas pour très longtemps, cela dit.

(...)
Beaucoup pus tard.

La sueur lui cramponne le front, l'échine, la peau du dos, partout. Des gouttes ruissellent, creusent leur sillon sur sa carne brûlante. Il pose pied à terre, 12, avant d'attraper une serviette pour se tamponner la face, les endroits où ça cascade l'effort.

Ca lui a fait un bien fou.

À son poignet, son bracelet lui rappelle qu'il serait bien de prendre une douche... Sans déc' ? Dommage que la Ruche ne puisse pas se targuer de posséder une piscine, il aurait été le premier à sauter dedans. Tant pis, retour à la case 5-B. 12 quitte son module sportif, laissant la place à qui voudra, emboîtant le pas vers son alvéole privée. Presque, s'il avait pas été en coloc.