Empoisonnement imminent - Sujet LIBRE

Désorientée, le regard perdu, les yeux bouffis par les larmes, la jeune femme venait de faire son entrée dans ce qui semblait être l'espace repas. Plantée non loin d'une table, elle observait tout autour d'elle pour chercher à comprendre où elle se trouvait et pour quelles raisons elle s'était retrouvée ici. La première pensée qui lui vint lorsqu'elle se rendit compte que tout le monde était vêtu de la même manière qu'elle, fut : un hôpital psychiatrique. Voilà elle était internée. Il n'y avait pas d'autres explications logiques. Elle avait beau chercher dans sa mémoire, elle n'avait pas le moindre souvenir mais pourtant elle était persuadée qu'elle n'était pas folle. Cela faisait quelques heures qu'elle s'était éveillée dans cet endroit étrange et personne n'était réellement venu lui expliquer ce qu'elle foutait là. Enfin... Il y avait bien eu cette voix féminine qui lui avait donné « son nom » ou plutôt son matricule. 991 qu'elle semblait s'appeler. C'était quoi ces conneries ? Rien qu'à cette pensée, la demoiselle eut un vertige, elle se rattrapa délicatement à une table, tentant par tous les moyens possibles de rester digne et de cacher son trouble. Il n'était pas question qu'on la voit ainsi. Elle était persuadée qu'on l'observait et la moindre marque de faiblesse pourrait sans doute lui être fatale. Un gargouillis provenant de son estomac lui rappela qu'elle n'avait pas mangé et qu'il était sans doute temps pour elle de prendre un repas. Elle chercha autour d'elle le self, ou un cuisinier mais rien. Rien sauf ces machines ultra perfectionnées qui à première vue ressemblaient à de simples distributeurs de boissons. Elle remarqua une personne mettre son poignet dans la machine puis récupérer son repas. Au départ hésitante, elle finit par se diriger vers une machine pour tenter à son tour d'obtenir de quoi se sustenter. Elle inspira profondément et glissa son poignet dans l'espace prévu. En quelques secondes son plateau arriva sous ses yeux. « C'est une blague ? » marmonna-t-elle pour elle-même. Elle était persuadée que la personne avant elle avait eu une délicieuse assiette de pâtes à la carbonara. Elle... Elle se retrouvait avec des légumes verts : haricots et choux de Bruxelles. C'était quoi encore que ce délire ? Dégoûtée, elle prit son plateau et se dirigea à une table. Elle s'installa tout en fixant d'un air dédaigneux la pauvre pitance qui lui faisait face. Elle n'était même pas sûre d'aimer ce qu'elle avait dans son assiette. Ce qu'elle voulait manger là, tout de suite, c'était un hamburger. Quelque chose de gras ! Le gras c'était la vie, voilà tout. Elle resta de longues minutes à jouer avec sa fourchette dans sa nourriture, incapable de mettre le moindre aliment dans sa bouche. Le monde autour d'elle semblait avoir disparu et comme si elle était seule, elle marmonna : « Je suis sûre que c'est empoisonné ou qu'il y a de la drogue là-dedans ». Et elle repoussa son assiette avec dégoût et écœurement.

Les yeux toujours fixés sur son maudit plateau, 991 n'avait pas fait attention et ne s'était même pas rendue compte qu'elle s'était installée à la table d'un jeune homme. Alors qu'elle maugréait toute seule dans son coin, une voix masculine vint troubler ses sombres pensées : « C'est sûr même. Regarde autour de toi. Les gens ont tous l'air en train d'agoniser. À moins que non... C'est probablement plus subtil... ». Instinctivement, la demoiselle releva la tête et planta son regard dans celui de l'inconnu. Mignon. Voilà la première pensée qui passa dans son esprit, mais cette pensée fut rapidement balayée par de l'agacement. 991 n'avait pas du tout apprécié son ton ironique et encore moins qu'il intervienne dans sa conversation avec... avec elle-même voilà tout ! Elle croisa les bras en observant tour à tour : son visage et son plateau. Elle allait répliquer et lui dire de se méfier de ses affaires quand celui-ci poursuivit : « Tu peux tenir un certain moment sans manger. Mais s'ils continuent à estimer que tu dois te mettre au vert, tu seras bien obligée d'avaler ça... ». Le flot de paroles de l'inconnu lui donnait le tournis, à moins que ce ne soit son estomac vide qui la rendait subitement si fébrile. Elle détourna enfin le regard et tout en examinant son verre d'eau répondit sèchement : « Et qui te dit qu'il n'y a pas des sortes de cachetons bloquant notre mémoire broyés dans nos assiettes ou dans ce que nous buvons ? » Elle reposa bruyamment le verre sur la table et le regarda à nouveau. Après tout, ce n'était pas stupide comme hypothèse. Personne ne semblait avoir de souvenirs, tout le monde avait une alimentation adaptée à sa personne, pourquoi alors, n'y aurait-il pas des doses médicamenteuses dans ce qu'ils ingurgitaient ? Soudainement, une bouffée de chaleur envahit le corps de la jeune femme, sans plus réfléchir, elle but d'une seule traite son verre. Elle fut surprise de se rendre compte que l'eau avait un goût parfaitement normal mais elle se cacha bien de le faire remarquer. Toujours suspicieuse vis-à-vis de son assiette, elle préféra reporter son attention sur le jeune homme. « Et c'est ce qui ce « ils » dont tu parles ? Tu les connais ? Tu bosses pour eux ? » Son ton était plus agressif qu'il n'aurait dû l'être mais c'était plus fort qu'elle. Elle avait besoin de passer ses nerfs sur quelqu'un. Tant pis pour lui, c'était lui qui avait engagé la conversation.

991 ne décolérait pas. Elle était dans cet endroit depuis le matin-même et tout la déstabilisait, tout l'oppressait. Elle sentait l'angoisse grandir en elle tandis que le garçon l'observait sans un mot. Il semblait patienter jusqu'à ce qu'elle se calme, et finalement alors qu'elle commençait à partir dans des théories toutes plus abracadabrantes les unes que les autres il finit par lui répondre : « Et qui te dit qu'il n’est pas préférable de ne pas se souvenir ? ». L'espace d'un instant la demoiselle eut l'impression que son cœur venait de cesser de battre. Elle planta son regard dans celui de l'inconnu tout en réfléchissant à ce qu'il venait de lui dire. Après tout pourquoi pas. Peut-être avait-il raison. Peut-être qu'ils avaient tous commis des choses atroces et qu'ils étaient là pour faire table rase du passé. Peut-être qu'ils étaient ici pour expier leurs fautes et leurs erreurs. 991 secoua la tête pour chasser ces pensées de son esprit. Elle ne voulait pas penser à cela. Elle ne voulait pas commencer à s'imaginer le pire sur elle-même. Les monstres, c'était ceux qui les avaient enfermés ici et pas l'inverse.
Le verre d'eau qu'elle avait bu ne semblait avoir aucun effet sur elle. Elle ne se sentait pas plus vaseuse qu'elle l'était déjà quelques secondes auparavant, aucun bouton n'était apparu sur son corps et aucun signe d'une éventuelle crise cardiaque n'était à l'horizon. Mais la pression grimpait en elle, elle était incapable de calmer ses nerfs, incapable de se contrôler. La réalité, c'était qu'elle avait peur mais qu'elle ne voulait pas l'admettre. Les poings serrés le long de son assiette qu'elle fixait, elle l'entendit poursuivre. « Si je te dis que je ne bosse pas pour eux. Est-ce que tu vas me croire ? ». Un soupir lui échappa. Non bien sûr que non. Pourquoi croirait-elle un inconnu ? Pourquoi se fierait-elle à lui ? Elle ne savait pas ce qu'elle foutait ici, ni quel était ce lieu et encore moins qui étaient les gens qui l'entouraient. L'amusement et la provocation dont faisait preuve le garçon l'exaspéraient au plus haut point. Elle n'avait qu'une envie : le gifler pour lui remettre les idées en place. Mais elle n'avait pas le droit, le règlement l'interdisait. Elle finit par croiser les bras et tout en le regardant elle lui demanda : « Ca t'amuse ? Cette situation, tu la trouves drôle en fait ? » De quelle situation parlait-elle ? De la ruche ? De la scène qu'elle était en train de faire ? Elle-même ne le savait pas vraiment. Elle savait juste que son petit sourire en coin la rendait dingue et qu'elle avait envie de le lui faire ravaler. « Tu ne vaux même pas la peine que je gaspille mon énergie. » Et d'un bond elle se releva. Malheureusement elle n'avait rien manger depuis qu'elle était arrivée, et ses forces la quittaient peu à peu. Elle se sentit basculer tandis que des étoiles dansaient devant ses yeux. 991 perdit l'équilibre et tomba dans un bruit sourd sur le sol froid. Consciente mais hagard elle resta de longues secondes les fesses posées sur le carrelage sans savoir vraiment quoi faire, sans en avoir ni l'envie, ni l'énergie.