A la recherche du fameux livre - H01-88

Trois jours. Trois interminables jours. Cela faisait trois jours que 991 – puisque c'était son nom désormais – était dans cet endroit plus qu'étrange. Elle ne s'était toujours pas habituée à l'odeur de désinfectant qui régnait dans les lieux, ni aux plateaux repas dont elle héritait, encore moins à toutes les règles qui étaient fixées et certainement pas à tous ces inconnus vêtus de la même manière et qui vivaient désormais avec elle. Elle n'avait pas parlé à grand monde, elle était plutôt restée en retrait à observer tout autour d'elle mais surtout à analyser le comportement de ces étrangers. Le temps lui paraissait tellement long. Les minutes s'égrenaient avec une lenteur détestable. Le premier jour elle avait été trop malade pour se déplacer et n'avait visité que le coin repas. Le deuxième jour, elle avait choisi de rester enfermée dans sa chambre, elle avait dormi toute la journée. Pour oublier. Oublier ce qu'elle ne savait pas. Oublier l'état dans lequel elle se trouvait. Elle détestait se sentir aussi vulnérable, ce qu'elle était définitivement. Ne pas savoir qui elle était, ni même pourquoi elle était là, la rendait complètement dingue. Ce matin du troisième jour, quand elle s'était levée et douchée, elle avait passé la main sur toutes ses cicatrices, cherchant une explication rationnelle, espérant avoir un flashback, un souvenir, même le plus petit. Mais rien. Et puis son regard s'était posé sur l'intérieur de son poignet droit et s'était focalisé sur son tatouage. Un livre ouvert, vierge. Pourquoi ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Elle le caressa délicatement tout en soupirant. Finalement elle s'habilla et se dit qu'au lieu de passer sa journée à dormir, elle allait chercher des informations sur son tatouage. Elle n'avait de toutes manières pas grand chose d'autre à faire.

Cela faisait déjà quinze minutes qu'elle fixait les étagères de la bibliothèque. La vue de tous ces livres lui donna le tournis et rapidement elle comprit qu'elle n'était pas auteur ni bibliothécaire. Elle ne ressentait aucune attirance pour les rayonnages et pour ce qu'ils contenaient. La symbolique de son tatouage lui parut tout à coup encore plus obscure qu'elle ne l'était déjà. Elle passa maladroitement une main dans ses cheveux et se dit qu'il était temps de commencer son enquête. Au début elle prenait les livres au hasard et les reposait sans vraiment savoir pourquoi. Elle se rendait bien compte qu'elle n'était pas organisée, qu'elle n'avait pas la moindre piste, pas la moindre idée de ce qu'elle devait faire pour commencer. Finalement elle fixa à nouveau son tatouage et se rendit compte que les pages de son livre étaient ondulées. Comme s'il ne s'agissait pas de pages blanches droites et rectilignes. Elle décida donc d'ouvrir les livres un par un et de les poser sur une table derrière elle s'ils n'étaient pas conformes à son tatouage. Elle se fichait bien du bruit qu'elle pouvait faire, ou encore du fait qu'elle vidait les étagères et ne rangeait rien. Elle était focalisée sur sa tache. Au bout de vingt minutes, une cinquantaine de livres étaient exposés derrière elle. Agacée par son manque de réussite elle maugréa toute seule en fixant son tatouage : « Tu pouvais pas au moins tatouer ton prénom dedans ?! » Oui voilà, pourquoi n'avait-elle pas eu l'idée de génie de se tatouer son prénom ? Sans doute parce qu'en dehors de la ruche, tout le monde l'aurait prise pour une folle... Elle se remit aussitôt à son labeur mais perdant patience elle se précipitait et devenait maladroite. Soudain elle fit tomber une encyclopédie et celle-ci atterrit sur son pied, la jeune femme lâcha alors un bruyant : « Putain ! Quelle merde ! »

Elle donna un coup de pied au livre qui venait de lui tomber dessus tout en grimaçant de douleur. Evidemment, il avait fallu que l'ouvrage soit une sorte d'encyclopédie qui pesait son poids. La tête appuyée contre l'étagère, 991 ferma les yeux quelques instants pour tenter de retrouver son sang froid lorsqu'elle entendit derrière elle : « Est-il possible de vous aider ? ». Elle se retourna plus rapidement qu'elle l'aurait voulu lorsqu'elle vit une sorte d'armoire à glace qui lui faisait face. Elle dut relever le visage pour pouvoir planter son regard dans celui de l'inconnu. Les sourcils froncés elle le fixait. C'était qui celui-ci encore ? Il ne pouvait pas s'occuper de ses affaires et la laisser faire ce qui lui chantait ? Elle n'eut pas le temps de lui répondre puisqu'il poursuivit. « A moins que ce soit un secret bien entendu… » Instinctivement, elle plaqua sa main sur son poignet pour dissimuler son tatouage. Elle se gifla mentalement pour ce manque de discrétion. Désormais il était évident qu'elle cachait quelque chose. Elle se sentait bien stupide désormais. Plantée devant cet inconnu, la bouche close, une main agrippée à son propre bras. « … mais il semblerait que les livres soient plus doux avec moi qu’avec vous ». Cette dernière phrase sortit la demoiselle de sa léthargie qui tout en levant les yeux au ciel répondit un peu sèchement : « A part si vous êtes le bibliothécaire de ces lieux, je ne vois pas comment vous pourriez m'aider. » Et puis elle lui tourna le dos et recommença son petit manège. Cette fois-ci elle ne prit même pas le temps de poser les livres sur la table mais elle les laissait tomber à ses pieds. Quelqu'un viendrait sans doute les ranger durant la nuit, à moins que l'inconnu, poète à ses heures perdues ne s'en occupe lui-même. 991 n'arrivait pas à se concentrer sur sa tâche, la présence de l'inconnu à quelques mètres d'elle l'incommodait. Elle détestait demander de l'aide et n'avait confiance en personne. Néanmoins, elle devait bien admettre qu'elle ne s'en sortait pas et que sa stratégie était tout sauf efficace. Elle soupira longuement, et sans le regarder elle demanda : « Par hasard, vous ne vous seriez pas découvert des talents de dessinateur ou de tatoueur en étant dans les parages ? » Elle avait bien conscience que cette question pouvait paraître absurde, qu'elle ne devait sans doute avoir aucun sens pour l'homme à qui elle s'adressait, mais c'était le seul pas qu'elle était capable de faire vers lui pour le moment. Tout en attendant sa réponse, elle prit un livre et commença à examiner de plus près les contours de la page. Non. Nouvel échec. Elle jeta le livre par-dessus son épaule et au son qu'il fit, elle comprit qu'il avait du atterrir sur l'inconnu. Elle se figea quelque secondes puis lui fit face les bras croisés. « Vous n'auriez pas du vous tenir aussi près. » On avait connu mieux comme excuse, mais apparemment, reconnaître ses erreurs et ses fautes ne faisait pas partie de la personnalité de 991.