D.A.N.C.E. [ft Kal]

Doc en a eu pour son argent. Enfin, non. Pas comme ça. Je déteste cette tournure de phrase. Il est onze heures du matin passées et je sors de la douche. Non, ce n'est pas ce que vous pensez. On a sué, c'est tout. À grosses gouttes. Bordel, pas comme ça non plus. On était dans l'espace sportif, en public, avec d'autres gens, tout habillés, à une mettre de distanciation sociale. Enfin, un peu plus que ça, mais je n'ai pas décidé de l'espacement entre les tapis de courses. Et j'ai couru. Vite et bien. Jusqu'à ce que mes jambes refusent de me tenir debout, enfin presque jusque là. Fallait bien que je remonte sans ramper. Ça m'as pris un moment, quelques mois en fait, mais j'ai fini par prendre conscience qu'avec toute la nourriture que j'ingurgite par jour, je ne peux décemment pas éviter le sport. Depuis que je suis ici, j'ai pris du poids et j'en ai bien conscience. Visuellement, rien de si extraordinaire. Je suis toujours grand et large, baraqué comme on m'a dit. Les muscles sont-là, mais grossis d'une couche de graisse bien répartie. Je n'espère pas la faire disparaitre, j'aime trop manger, mais la garder sous contrôle ne serait pas un mal.

Finalement, j'ai pris une longue douche, assit par terre parce que mes genoux refusaient de tenir, puis je me suis étendu sur mon lit un moment. J'ai dormis, parce que j'ai été incapable de résister, puis mon estomac a grogné pour me réveiller. Alors je me suis habillé et je suis descendu. Onze heure a sonné. Pas encore l'heure de manger. Mon plan consiste alors à hanter l'espace repas jusqu'à ce que les machines veuillent bien me donner de la nourriture solide. Le hanter, ouais, mais probablement assit. Enfin, c'était le plan. - Hé ! Euh... Truc. Je cherche un partenaire de danse, ça te dirait ? Je suis sûr que tu devais en faire avant, non ? - Je pose les yeux sur cette jeune métisse presque aussi grande que moi. - Kal. - La corrigé-je, encore confus par ce qu'elle demande. - Et, quoi?

T'es super musclé, alors j'imagine que tu devais être genre, sportif de haut niveau ? Bref, quelques pas de danse, c'est pas insurmontable ! - Je la toise du regard. L'observe de haut en bas. J'ai fais bien des choses depuis que je suis aussi, et me souviens de bien d'autres d'avant la Ruche, mais danser? Voilà bien une activité qui n'existe dans aucune de ces deux situations. Pourtant, je lui lance un sourire et lui tend la main. Elle la rejoint de la sienne. Je la saisis. Planté comme un H, les pieds si ancrés dans le sol qu'on aurait pu les cimenter, et le corps si rigide qu'on aurait pu en faire une structure de construction, je la fais tournoyer sur elle-même. Un tour seulement. Un unique tour. - Et voilà. - Conclus-je dans un large sourire, plus amusé par ma connerie que agacé par la proposition. Et puis je la lâche et traîne mon cul courbaturé jusqu'à l'une des chaises de l'espace repas. Quand midi sonnera, je serais premier aux distributeurs.

Attends Kal... Tu sais pas danser ? - Je hausse les épaules. - Faudra te trouver un autre partenaire. Je suis pas le seul capable de te porter ici. - Dis-je dans un sourire. - Quoi que pour la plupart, tu vas finir par dessus l'épaule comme un sac de patates. - Ajouté-je, amusé par l'image. Avec l'énergie qu'elle semble avoir à revendre, elle aurait certainement bien du répondant. - Après, on a des physiques de patineurs, si ça se trouve on était patineurs artistiques, du genre couple ou danse. Je crois que ça me plairait bien, le patinage. - J'étouffe un rire. - On a pas vu les mêmes photos de patineurs! - Lâché-je, me souvenant d'un bouquin sur les sports de neige et de glace, dans la bibliothèque. Ces hommes-là sont solides, oui, mais je n'ai rien à voir avec eux. Et comme elle l'a bien dit, je ne sais pas danser, alors...

Tu sais que ton surnom me fait penser à quelque chose ? Et ça date pas de la Ruche, hein, je suis sûre que c'est, genre, un vrai souvenir. J'ai dû connaître quelqu'un qui s'appelait Kal, ou quelque chose du genre. Peut-être un personnage fictif ? Ça reste super flou mais... - Ah oui? - Demandé-je, sincèrement intéressé, quoi que mon ton tire sur le sarcasme. - Je sais pas d'où ça vient. On m'a appelé comme ça, ça m'a semblé familier et naturel, alors je l'ai gardé. L'origine, aucune idée. - Dis-je en levant la tête vers le ciel. Mon venter grogne. Je soupire, impatient. - Kal-El, c'est le terme entier. Apparemment. Il a aussi mentionné un Clark Kent, mais je pense que c'est deux personnes différentes. - Faute de pouvoir manger, il faut que je m'occupe l'esprit, alors je la détaille un instant du regard. - La politesse voudrait que je sache également ton nom. Ou au moins ton matricule, tu ne crois pas? C'est pas bien fair-play que tu saches comment m’appeler. Sinon je vais devoir t’appeler la fille bouclée qui parle vite. - J'esquisse un sourire. - Crois-le ou non, ça ne serait pas vraiment spécifique.

Je hausse les épaules à ses exemples de patineurs. Je ne dis pas qu'ils sont tous maigres et grands, mais le patinage nécessite vitesse et agilité, choses dont, avec le corps que je me traîne, je manque un peu. On ne peut pas tout avoir selon ce qu'on travaille. Je n'ose pas imaginer le danger public que je serais sur des patins fins comme des rasoirs. Ou des talons hauts. Parfois je me demande comment Diva faisait. L'équilibrisme, ça n'est pas mon fort. Je laisse ça aux autres. - Je peux accepter quelques paillettes, mais les strass et les froufrous.. Pas mon truc. J'suis un gars discret et modeste, ok. Mes pecs et mes fesses ont pas besoin d'êtres mis en valeurs. - J'esquisse un sourire entendu. - Pas. Du tout. - Cela dit, je suis réellement quelqu'un de modeste. Me vanter n'est pas mon genre, encore moins de mes pecs qui à l'heure actuelle sont plus tombants que dur comme la pierre.

Enchanté. - Lui lancé-je lorsqu'elle me délivre enfin son matricule. 376. Pas de surnom. Pas envie d'être qualifiée par son physique. Je peux comprendre. Je suppose que je n'apprécierais pas non plus. Il y a quelque chose de réducteur à se retrouver dans ce genre de case. Et si le physique change, que faire de ce surnom? - Pas de soucis, on te trouvera autre chose. - Je jette un œil à ma montre. Pas encore midi. - Cela dit, "qui parle vite", ça reste dans la compétition. - Difficile de nier, de toute façon. C'est une réalité, et contrairement à un trait physique, c'est une habitude qui serait bien difficile à tempérer.

Qu'est-ce que tu fais de tes journées, alors? À part parler vite et aborder des gens au hasard pour danser? - Demandé-je en m'affalant un peu plus. - Si on veut te trouver un surnom qui colle, il faut réunir des informations, non? - Question rhétorique, bien sûr. - Alors. Si tu devais décrire une de tes journées type dans la Ruche, ce serait quoi?

Elle parle. Elle parle encore. Elle parle toujours. Et plus elle parle, plus mes yeux s’agrandissent. Et plus mon sourire se délie. Parce qu'elle parle sans s'arrêter. Elle enchaîne les mots, les phrases, comme si son air provenait d'ailleurs que sa bouche. Les poumons se compressent à l'infini, expulsant une voix ininterrompue comme un haut-parleur alimenté par une source inépuisable de son. Son qui ne cesse pas. Voix qui ne meurt pas. Enthousiasme qui ne blêmit jamais. Et si le début de son histoire était assez classique, la suite se fait plus sérieuse. Plus curieuse. Plus intriguante et argumentée. Et, enfin, le silence. Ses lèvres se nouent. Sa voix se tait. Deux secondes filent en silence et je prends le temps d'exagérément inspirer l'air qu'il me faut pour prononcer mes prochaines paroles, avec patience. - Ça y est? Tu as fini? Tu sais que des gens meurent par asphyxie à parler autant? - Faux, je crois. Trait d'humour, bien sûr. Sous-entendu sérieux, évident.

Premièrement, je suis totalement d'accord. On devrait pouvoir manger n'importe quand. D'un autre côté, j'ai déjà un soucis avec la nourriture, alors si en plus on pouvait bouffer à toute heure... Me faudrait dormir sur les tapis de course. - Je prends un instant pour reprendre mon souffle, pas que j'en ai besoin. Il s'agit de montrer l'exemple. Et me moquer dans la foulée, un petit peu. - Ensuite, tu inventes une langue? C'est super cool. Personnellement je ne comprends que l'anglais et un peu de russe, mais c'est à l'écrit. Vrai qu'à l'oral, c'est un peu... magique. - Une nouvelle pause. Une nouvelle réflexion. Je lui laisse le temps de réagir, si elle le désire, parce que c'est comme ça qu'une conversation se passe. Pas un monologue après l'autre, quoi que certaines pièces de théâtre prouveraient le contraire. - Du reste, je ne suis pas de ceux qui se posent des questions, j'admets. Je m'en excuse pas, hein. C'est juste comme ça. Je prends les choses comme elles viennent. Je m'adapte. Savoir qu'on nous a retiré nos souvenirs volontairement ne nous les rend pas. C'est juste.. de l'inquiétude gratuite.

Je lui souris, un sourire entendu et calme. - Je ne juge pas, cela dit. Heureusement qu'il y en a comme toi qui se posent ces questions. On irait pas bien loin si ça reposait sur des gens comme moi. - Ajouté-je dans un rire. - On boufferait tout et on regretterait ensuite. - Le rire continue. L'horloge compte les minutes et l'heure du repas qui approche. L'estomac grogne. - Le monde à l'air d'aller plutôt bien. Le ciel est bleu, les arbres toujours debout. Donc cette histoire de clonage a l'air moins invraisemblable. Enfin, si ce sont les deux seules options. Mais j'y connais rien en fin du monde ou en complot corporatiste, alors ça pourrait être n'importe quoi. - Je croise les bras, pensif. - On pourrait tout aussi bien être des stocks d'organes sur pattes. Qui sait.

Écoute, j'ai du souffle, qu'est-ce que tu veux ? Tu veux faire un concours d'apnée ? - J'étouffe un rire moqueur. - Avec ces poumons? - Que je lance en désignant mon thorax. - T'as aucune chance. - Je ne parlais de pas de mes poumons. Ni des siens. - Sérieux ? Le plateau repas te suffit j'espère ? Enfin, tu vas pas mourir de faim... ? Ou l'inverse ? D'ailleurs... Je me demande qui est-ce qui gère la bouffe. - La machine, je suppose. Et je ne mourrais pas de faim. Les plateaux sont conçus pour éviter ça, de toute façon. - Il y a juste une différence assez drastique entre les plateaux que je recevais au début, et ceux que j'ai maintenant. Comme si la Ruche savait. Bizarrement, l'idée que la Ruche sache, ce que je mange, ce que je fais, ce dont j'ai besoin; ça ne me dérange pas tant que ça.

Le fait qu'elle comprenne plusieurs langues ne m'étonne pas. Elle a l'air d'avoir un cerveau bien plein. Ou, tout du moins, avait. À l'époque. Quand on avait encore des cerveaux remplis. Je suis donc ravis de voir qu'elle comprend ce que je veux dire. Ce n'est pas tant de la passivité pure. Attendre l'heure de crever comme un bien heureux. C'est l'idée que s'inquiéter pour des choses sur lesquelles on a aucun pouvoir ne sert à rien. Selon moi, c'est de l'énergie gaspillée et de la santé mentale inutilement dégradée. Et puis... La bouffe. Ouais.

Hé, pour la bouffe... C'est pas grave. Je veux dire, y a de quoi angoisser, alors je sais pas... T'as l'air de grave culpabiliser de manger alors qu'en vrai, bah c'est normal. - Je lui lance un sourire sincère, quelque peu gêné malgré tout. - Je culpabilise pas. Enfin, j'ai pas de raison de culpabiliser surtout. Ou peut-être parce que je me suis laissé aller, mais je pense que la discipline que je m'imposais avant la Ruche n'était pas instinctive. Du coup... - Je tapote mon ventre. Bien sûr, rien ne bouge. J'ai pris un peu de masse, mais pas assez pour trembler de partout. - J'ai toujours faim. C'est comme ça depuis aussi loin que je me souvienne. À mon arrivée ici, on me donnait des plateaux franchement énormes, mais j'étais dans une forme... presque surréaliste. Du coup, non seulement ça m'a pas choqué, mais en plus je me suis fais plaisir. Sauf que forcément, à laisser de côté la discipline forcée... La tendance s'est inversée. - J'esquisse un sourire en m'adossant à la chaise. - Maintenant j'ai des plateaux normaux à base de légumes et de protéine à acides gras insaturés. Ou du blanc de poulet. Tellement de blanc de poulet... C'est bon hein. C'est juste un peu... peu. - Un soupir m'échappe. Un air désolé. - Enfin, tant qu'on me nourrit, je survivrais.

Ouais fin, il suffit pas de survivre. J'suis grave mal placée pour te dire ça, mais va pas non plus complexer hein. T'as sûrement moins de machines de musculation que ce à quoi t'avais accès avant, comme moi j'avais accès à mon club de danse ou j'sais pas quoi. - Je hausse les épaules, incertain que le matériel soit vraiment une variable importante dans cette équation. - Bref. T'es vachement bien là, et dis-toi que même si tu perdais tes abdos, t'aurais toujours tes yeux et ton sourire. Ça change pas ça. C'est immuable. - Un sourire me vient. Les joues qui rougissent sensiblement. Je secoue la tête, comme si ses mots étaient une farce. - C'est pas juste l'apparence. Je m'y suis habitué, mais c'est pas que ça. Je me sens plus lourd. J'étais pas léger avant, clairement pas, mais forcément, maintenant...

12:00:00. Je bondis sur ma chaise. Enfin, je bondis sur le sol depuis ma chaise. - Si tu veux bien m'excuser. - Inutile de sérieusement me justifier. Avec la conversation que l'on a, me voir détaler vers les distributeurs n'a rien de surprenant, ni de honteux. Je suis un gros mangeur en cours de sevrage. Autrement dit, je suis affamé vingt-deux heures sur vingt-quatre. Je peux au moins me féliciter pour mon self-contrôle, en général. La tentation est toujours-là, planquée sous mon lit comme un monstre à l’affût du moindre pied qui dépasserait. Lorsque je reviens, un sourire habille mon visage. Le modeste plateau contient un pot de fromage blanc, une poêlée de légumes ainsi qu'un blanc de poulet grillé. Et un petit pot en plastique contenant une gelée rouge. Je m'installe et, curieux, l'ouvre pour sentir. - Ah! Une bonne journée! On m'a donné un peu de confiture de fraise pour mettre avec mon fromage blanc. - Lancé-je, ravis. Est-ce que c'est triste d'être si content pour simplement ça? Peut-être un peu.

Manger moins vite. C'est la clé. Il parait. J'ai lu ça dans un bouquin de diététique de la bibliothèque. Je ne suis pas un grand lecteur, mais c'est la seule source d'informations disponible en dehors d'Aleksa, alors je fais avec. Et j'applique le conseil avec attention. Je coupe, j'enfourne, je pose la fourchette, je profite. Et je recommence. - Tu penses que tu faisais vraiment de la danse avant? - Demandé-je à 376. - Ou un quelconque autre sport?

De la danse, c'est sûr. Je bouge tout le temps et y a des pas que j'aurais jamais su faire si on m'avait pas entraînée. Dommage que tu danses pas, je t'aurais montré. C'était sûrement de la danse de salon, encore que je sais pas laquelle, mais j'ai besoin d'un partenaire. - J'acquiesce en silence, grignotant avec une lenteur peu naturelle. Pour moi. Je suis plutôt du genre à engloutir mes repas, mais c'est peut-être l'une des causes de mon problème. Manger trop vite, et donc manger plus. Discipline. Comme je disais, je l'ai abandonné en cours de route. En retrouver un peu ne me fera pas de mal, même, si je n'ai aucun intérêt à retrouver cette apparence trop parfaite, ou même contrainte exagérée que je m'imposais certainement. - Pour danser, le partenaire, hein. Va pas t'imaginer autre chose. - J'avais compris. - Dis-je simplement tout en continuant de manger.

Je n'y donne pas plus de pensée que ça, trop concentré sur mon plat tout autant que sa salade qui a l'air délicieuse. - Je sais pas si je faisais d'autres sports, par contre. Faudrait que je teste. - J'allais répondre et... - Et non, pas ce sport là non plus. - J'étouffe un rire, et tousse un peu avant de boire un peu d'eau. - Hey, parait que c'est une bonne activité physique. - Ajouté-je dans un sourire. - Personnellement, je pense que le sport en général n'était pas mon truc. À la façon dont j'en fais ici, y aller à reculons comme si j'allais y crever, je devais certainement me forcer avant aussi. - Il y avait probablement une bonne raison, et mes derniers souvenirs ne doivent pas y être étrangers. Un prostitué ne doit certainement pas bosser autant que s'il a le physique que j'avais. Une autre raison pour laquelle je ne tiens pas à revenir à cet état. Redevenir cette figure sculpturale que l'on use et jette comme un vulgaire mouchoir... non merci.

La simple idée me file un coup de froid et je bois une nouvelle gorgée pour faire passer l'amertume. - Tiens. Parlant de partenaire. - Reprends-je en déglutissant. - Est-ce que tu t'es trouvé quelqu'un pour "danser", ou est-ce que tu es plutôt du genre lecture d'abord et socialisation ensuite? - Je lève un pouce dans ma direction. - Enfin, sauf avec moi bien sur. - Après tout, elle m'a bien presque littéralement sauté dessus sans s'annoncer. - Ou quelques-uns. Ou unes. On juge pas. On peut danser à plusieurs. - Malaise? Oh oui, mais c'est volontaire. Pour la taquiner. Parce que sinon je vais encore revoir ces images dans ma tête et j'aimerais penser à autre chose.

Je hausse les épaules à l'idée que j'avais peut-être une discipline préférée. Quelque chose qui me donnait malgré tout envie d'y aller. Il est vrai qu'ici, il s'agit de faire trois pas, en public, pour lever de la fonte. On fait plus intéressant. Converser avec son voisin est une bonne distraction, mais justement, c'est une distraction. À l'extérieur, j'avais peut-être plus de choix quand à quoi faire, comment le faire, et avec qui le faire. Avais-je un partenaire d'effort? Un lieu de prédilection? À l'évidence, courir n'était pas la seule chose que je faisais, si jamais je la faisais. Ou peut-être au début, comme maintenant. Une façon de me mettre littéralement en jambe, perdre de la masse pour ensuite placer toute mon énergie dans des exercices de forces. Gonfler tout ça. Devenir massif et solide. Devenir... Ça. Et maintenant? Maintenant j'aimerais simplement dégonfler un peu et rester comme ça. Je n'ai aucune envie ni intérêt de revenir en arrière.

Nan j'ai pas de partenaire. Je pourrais demander à Sunshine, il danse super bien, il devrait pouvoir gérer mais hé, toi t'étais là. - L'attaque par opportunité. Bon à savoir. Elle ne répond pas à la question que j'ai posé, mais j'ai dans l'idée qu'elle m'a très bien compris. - Et si tu parles d'autre chose que de "danse", je t'avoue que j'avais pas trop la tête à ça, même si daaaaamn. La Ruche, c'est un refuge de beaux gosses. - Bingo. Il est vrai qu'il y a quelques spécimens difficiles à quitter des yeux dans les parages. - On en est la preuve vivante. - J'esquisse un sourire en roulant des yeux. - Je suis sur que si tu voulais, tu n'aurais pas à forcer. Mais je comprends le fait de ne pas être dans cet état d'esprit. C'est sûr qu'on aurait tendance à se dire que l'endroit ne s'y prête pas vraiment.

Une prison. Un laboratoire. Une cage. Peu importe où nous sommes, d'aucuns diront qu'il faudrait trouver une issue avant toute chose. Regagner notre liberté volée. Retrouver nos souvenirs arrachés. Penser au rester ensuite. Mais quand on est comme moi à ne donner que peu d'attention à ces questionnements, que reste-t-il? Enfin, ça c'est moi. - Et si finalement tu changeais d'avis, quel genre est-ce que tu chercherais? - Peut-être un peu compliqué à définir pour quelqu'un sans souvenir ni totale conscience de son propre caractère. - Ou, plus simplement... Qui a attiré ton regard jusque là? Pas besoin de les nommer, tu peux simplement les pointer du doigt. La majorité sont dans le coin de toute façon, vu l'heure.

Une perte de temps, hein? Je ne le prends pas personnellement. Je ne me vexe pas si facilement. Et puis, je comprends ce qu'elle veut dire. D'un point de vu pratique, ça n'apporte rien à notre quotidien. Ça n'ouvre aucune porte. Ça n'offre aucune solution. L'apport est purement personnel, ce qui en soit n'est pas négligeable, mais il ne change pas notre situation. Coucher n'ouvre rien de plus que des jambes. Se lier joue certainement sur le moral.

Tout en mangeant, ayant considérablement ralentis à cause de cette conversation, ce qui est très bien, je l'observe balayer la salle du regard. Tout le monde ou presque est-là, il n'y a que l’embarras du choix. - Je crois surtout que je suis incapable de dire 'bidule m'attire' d'un regard. Peut-être que je m'en fous du physique. De toute façon je me vois pas coucher au pif. T'as cru. - J'acquiesce. - Peut-être que le physique t'importe peu, oui. Ça se tient. - Ce n'est pas mon cas. N'ai-je pas approché Diva en premier lieu parce que j'étais incapable de décrocher mon regard de ses fesses? Je nierais si on me le demande.

Ouais nan, pas au pif. Mais genre, si c'est ta manière de flirter, euh... ouais pourquoi pas, ça se négocie, je pense. Même si ça me ferait sûrement bizarre. - Non. - M'étouffé-je dans un rire. - Je suis simplement curieux. - Je baisse la voix, comme un chuchotement, en couvrant mon assiette d'une main. - Et c'est pour me distraire de ça. - L'air de rien, sans avoir vexé mon plat, j'espère, je recommence à manger. - Et toi du coup ? Qui est-ce qui t'as tapé dans l'œil ? À part moi, bien sûr. - Hmm... Comme tu disais, c'est pas les beaux gosses qui manquent. Toi t'es hors catégorie, mais c'est pas la question. - Commenté-je d'un air bien emmerdé par tant de choix.

Prenant un instant pour mieux observer qui nous entoure, je me tourne même pour voir dans mon dos. Naturellement, mon attention flotte par dessus ceux que j'ai déjà vu nus. Loin de moi l'idée de les jeter sous les projecteurs. Je me concentre plutôt sur ceux que je n'ai déshabillé que du regard. À l'abri, dans les fantasmes de mon esprit. - Hmm... Lui. - Fais-je dans un geste discret vers Monday. - Lucifer à la canne est pas mal du tout si on ignore qu'il est imbuvable. - Dis-je au sujet de 5. - Oh et lui, là. Très fort. - Ajouté-je en désignant 2 d'un regard de haut en bas avant de revenir à 376. - Oui, oh, ça va. J'ai des yeux ok. C'est fait pour voir.

C'est des basic white dudes, tu mérites mieux un peu. Et puis la barbe c'est vraiment un cache-misère, tu sais. Un mec aussi beau sans barbe qu'avec, c'est ça qu'on veut. - Cache misère ou pas, moi j'aime bien. - Je passe ma main sur mon menton. - Même si en ce moment, j'en ai pas. - Ça repousse, doucement mais sûrement. J'aime bien garder ça sous contrôle. J'en ai vu certain qui s'en fichent et laisser gagner comme de la mauvaise herbe. Passé un certain point, les démangeaisons commencent et je préfère éviter. Rasé, ou laissé un peu, ça me va. Chez les autres, en revanche, c'est une autre histoire.

Parlant de barbe épaisse, son commentaire sur 5 me tire un sourire. Un point? Pour être désagréable? C'est sur ça que sort de la catégorie physique, mais je n'irais pas jusque-là. - Personnellement, c'est pas le genre de comportement qui me donne envie. Il se détache, oui, mais pas de la bonne façon. Enfin, ça m'attire pas du tout. - Commentaire placé, elle enchaîne. Au moins, j'ai le temps de lui répondre maintenant. - J'aime bien les musiciens aussi, donc pareil, un point gagné automatiquement par instrument. Ou voix. - J'acquiesce en silence, partageant un avis identique. Et pas juste parce que mon avis est biaisé. - Et je surkiffe les gens qui sortent un peu de l'ordinaire, alors... tu vois le gars qui chante tout le temps là ? Quand il a sorti les escarpins, je l'ai trouvé fabuleux. - Fabuleux, c'est  bien le mot.

Bon après je sais ce que tu vas me dire : à poil et la bouche fermée, c'est un autre basic white dude. T'aurais pas tort. - Alors, non, déjà, bouche ouverte ça peut être très utile. - Réponds-je, encore pensif. Les escarpins. Ma mémoire ne peine pas longtemps à faire resurgir cette vision décalée du blondpasroux dans sa robe à défiler sur le balcon comme sur une scène. Il m'a même tiré un sourire avant de disparaitre avec ce type et... Plus de sourire mais tout un tas de pensées sombres aux origines encore floues. - Et puis, non, c'est pas ce que j'allais dire. C'est pas vraiment mon genre de "juste" penser à ça. - Plus maintenant, mais la confusion régnait, avant. - Coucher pour coucher, c'est fun le temps que ça dure, mais c'est pas très nourrissant à terme. Donc je comprends ce que tu veux dire, même si je suppose que je suis plus... souple que toi à ce sujet? - Souple est-il le bon terme? Physiquement parlant, je ne le suis pas du tout. Mais là où elle semble assez rigide sur le fait de sauter le pas ou non, j'ai bien l'impression que les plaisirs de la chair me sont plus facilement accessibles. Il lui faut peut-être plus d'attachement personnel qu'à moi, même si le temps où l'unique opportunité suffisait semble révolu. - Je suis loin d'être souple ou flexible, mais tu vois ce que je veux dire.

Je dirais pas que j'suis pas souple hein, juste, je m'en fous. C'est pas coucher ou être avec quelqu'un qui va me rassurer et je juge pas si c'est ton cas, mais moi je veux des réponses. Des vraies. Donc pas le temps. - Je hausse les épaules, avalant ce que j'ai dans la bouche. - Et moi je me pose pas de questions, donc je me contente du reste. - Enfin, dernièrement, je me contente de rien du tout, mais ça me va. Je préfère autant me contenter de rien que me forcer à avoir. J'arrive maintenant à faire la différence entre vouloir et devoir, même si mes premiers réflexes ont tendance à revenir. Je ne tiens franchement pas à sombrer dans ces travers à nouveau.

Je danse mieux que toi donc je suis la plus souple de nous deux. Et toc. - J'étouffe un rire. - En même temps, je ne sais pas danser de base, donc c'est un peu acquis d'office. - J'avale un bout de légume. - Et toc toi-même, Dancing queen. - Lâché-je d'un air défiant avant d'enfourner une nouvelle fourchette entre mes lèvres. - Et puis, c'est pas parce que je ne cherche pas de réponses que je ne peux pas aider. Si t'as besoin d'un coup de main, je peux porter des trucs lourds, par exemple. Ou... Faire potiche dans un coin. Franchement, je suis pas quelqu'un de contrariant. Juste, me demande pas de contorsions, ou de ramper dans des conduites d'aération. Quoi que je crois pas qu'on en ait.

Un regard qui balaye les hauteurs de la salle commune et je continue de manger. Pas de bouche d'aération, non. Alors d'où vient notre air? Sont-elles camouflées? Invisibles? Magiques? Si j'étais quelqu'un à me poser des questions, j'en perdrais l’appétit. Au lieu de ça, mon estomac continue de modestement se remplir. Lentement mais sûrement. Une lenteur pas naturelle encore, pour moi, mais j'y travaille. Et 376 finit par me laisser le temps de faire ça sérieusement. Pas que nos conversations me déconcentrent, au contraire, mais certains sujets me font manger plus vite pour une raison ou une autre. Malgré tout, elle est restée avec moi à papoter de sujets plus légers comme la bizarrerie de tous nous comprendre malgré des langage différents. Par exemple. Léger, j'ai dis. Mais je ne l'ai pas interrompue, j'étais curieux. Et puis, j'ai compris quelques temps plus tôt que parler, parfois, aide à débloquer certaines choses. Alors si peut l'aider de cogiter à voix haute... Même si je fini par faire une sieste digestive pendant qu'elle se noie sous une mer de bouquins. Personne ne juge, personne ne se vexe. Je suis de toute façon trop mignon quand je dors. Et, contrairement à certain, je ne ronfle pas.