Dawn of the First Day [H01-5]

Le vertige initial était passé, mais il restait immobile, à scruter la pièce autour de lui. Lisse. Blanche. Presque vide. À l'instar de son esprit. Pas d'indice pour lui indiquer quoi que ce soit sur qui il pouvait être, sur comment il était arrivé ici. Un lit double, deux tables de chevet, une commode. Pas d'indice, pas de souvenirs. Juste cette voix désincarnée lui ayant souhaité une bonne journée, qui s'était adressée à lui au travers d'un matricule. H02-523. Une suite de lettre et de chiffres en guise de nom. Idée quelque peu glaçante. Rien de plus déshumanisant qu'un numéro en guise d’identité. Et toujours aucune idée de ce que pouvait être cet endroit.

Il finit par se décider à sortir du lit, tentant quelques pas maladroits en direction de la commode, et dut se rendre à l'évidence. La sensation de tournis qu'il avait ressenti lorsque la pièce s'était révélée à sa vue n'était pas liée qu'au fait qu'il soit déboussolé. Un reste de nausée lui collait à la cage thoracique, ses lèvres étaient sèches, et des mèches de cheveux était collées de sueur à son front. Il se sentait faible et tremblant, au delà des symptômes liés à la panique qu'il avait ressenti en se réveillant, et qu'il tâchait désormais de garder sous contrôle. Sa main se posa contre le meuble face à lui, et il pris appuis dessus, respirant à nouveau profondément en espérant faire taire le malaise qui l'habitait. Qu'est-ce qu'il foutait ici ? Et ces symptômes, est-ce qu'il avait été drogué ? Cette théorie pourrait expliquer la perte de mémoire...

Trop de questions, trop peu de réponses. Il ouvrit un tiroir, par curiosité, mais son regard ne tomba que sur des vêtements en tous points identiques à ceux qu'il portait. Nouvelle inspiration.  Se calmer avant toute chose, ne pas céder à la peur qui menaçait toujours de l'envahir. S'il n'y avait pas de réponses ici, il irait les chercher ailleurs. Ses yeux se reportèrent sur la porte de la chambre, et il nota avec soulagement que celle-ci ne semblait pas posséder de mécanisme de fermeture. Trois pas le menèrent jusqu'au panneau de bois, et il le fit coulisser sans difficulté. Pas enfermé donc. Mais toujours pas plus de réponse une fois l'ouverture passée. Derrière celle-ci, tout était toujours aussi lisse et blanc, avec les mêmes meubles dont l'aspect ancien tranchait avec l'architecture épurée.

- Merde...

Toujours rien que ce monde blanc et sans relief. Un appartement de petite taille, diverses autres portes coulissantes devant donner sur les autres pièces, et aucune fenêtre, aucun détail qui aurait pu lui indiquer où il se trouvait. L'angoisse grimpa d'un cran malgré ses efforts, et il sentit sa mâchoire se crisper. Il pouvait désormais percevoir les battements de son cœur qui cognait au niveau de son plexus solaire, et son buste se soulever sous l'effet de sa respiration s'accélérant. Il fallait qu'il sorte, sans quoi il aurait beau tenter de rationaliser ce qui lui arrivait, il allait craquer. Cette omniprésence de murs blancs et aveugles l'étouffait, il voulait sortir de là. Au diable les réponses, il les chercherait plus tard.

Nouveau coup d’œil circulaire sur son environnement, à la recherche d'une sortie. Son regard accrocha l'une des portes, en bout de couloir. Battant plus épais, gonds. Suffisamment de différences pour qu'elle marque l'emplacement de l'entrée du logement. Il parcouru les quelques mètres qui le séparait de l'ouverture, à grandes enjambées, se rattrapant à l'un des murs lorsqu'il perdit l'équilibre. Encore un demi mètre, ses doigts se refermèrent sur la poignée, firent jouer la clenche. Il ouvrit la porte à la volée, se précipita à l'extérieur. Son cerveau n'eut que le temps de reconnaître la forme du bout d'une canne sur sa trajectoire. Son pied accrocha l'objet, il bascula en avant.

C'est comme un choc électrique. Une vague après l'autre. Souffrance permanente qui va et vient comme un océan déchaîné. Ou une mer temporairement apaisée. Des jours je peine à ne serait-ce que bouger dans le lit. D'autres, à en sortir et poser le pied par terre. La plupart du temps, je parviens à claudiquer sans hurler, même si quelques grimaces ne sont pas à omettre. Et parfois, quelques rares jours, j'oublierais presque que j'ai une jambe. Comme tout le monde, non? La différence, c'est qu'il y a toujours cette petite voix dans ma tête, au fond, derrière toute les pensées donc je voudrais me débarrasser, qui me souffle en permanence qu'elle est là. Qui me hante de ses avertissements. Qui ne me laisse pas ignorer qu'à tout instant, la douleur pourrait revenir.

En attendant, ce matin-là, je me réveille avec une impression de légèreté. Parce que pour la première fois depuis déjà une bonne semaine, je me réveille sans ce poids mort. Je la sens, ne soyons pas trop optimiste. Et lorsque je pose le pied par terre, le froid réveille quelques sensations qui remontent jusqu'à ma hanche, mais je parviens à me lever sans trop de mal. Je parviens à me traîner jusqu'à la salle de bain sans suer. Et même lorsque j'accroche la canne au lavabo, le temps de me jeter un peu d'eau au visage, je parviens à supporter la douleur. En tout cas, le temps que ça dure. Et puis me voilà reparti.

Je n'ai pas vraiment faim. J'ai envie de sortir de l'appartement, mais l'idée de manger ne m'apporte aucune volonté supplémentaire. C'est déjà, en soit, incroyable. Et dire que quelques semaines plus tôt, la simple pensée de sortir de ma chambre me tétanisait... Je retiens toujours ma respiration. Je me sens toujours mal à l'aise et oppressé lorsque je suis dehors, mais à un niveau bien moindre. Alors, quitte à sortir, je prends mon temps. Je me passe de l'eau sur la tête et les cheveux, de quoi les discipliner. Je me lave les dents. Un coup de déo et, de retour dans ma chambre, je m'habille. Et armé de ma fidèle cane, je sort.

Comme chaque matin, ou après-midi, ou soir, lorsque je sors, je m'approche de la rambarde. Je m'y appuie un instant, le temps de balayer la salle du regard. Vérifier si tout est encore là, ou si les lumières sont toujours blanches. Si l'écran du plafond n'a pas décidé d'exploser de rouge encore une fois. Vu l'heure, il n'y a pas encore grand monde en bas, et c'est tant mieux. Si je peux m'éviter le bordel ambiant, je préfère. Je longe donc le balcon, enchaîne les portes et les sections. Je dois admettre que la diminution de la douleur m'a rendu un peu tête en l'air. Sinon, j'aurais probablement vu ça venir.
Une porte s'ouvre à la volée. Une silhouette la passe en vitesse. Ses pieds se prennent dans ma canne qui vole et glisse plus loin alors que le type s'écroule lourdement. Je me rattrape à la rambarde sans grâce, forcé de m'appuyer sur la mauvaise jambe. Un choc électrique remonte et me coupe momentanément la respiration. - Tu peux pas regarder où tu vas?! - Lâché-je bruyamment avant de tenter de contrôler ma respiration. Contrôler la douleur. Contrôler ma jambe qui cherche à fléchir sous mon propre poids. Visage inconnu. Silhouette paniquée. Rien à foutre. Où est ma canne?

Le choc contre le sol lui vida les poumons, et ses bras amortirent à peine le choc. Son menton fit la rencontre violente du par-terre immaculé, et il resta étendu une dizaine de secondes, sonné.

- Tu peux pas regarder où tu vas?!

L'éclat de voix le tira de son immobilité, et il se redressa tant bien que mal en s'agrippant à la rambarde devant, avalant de l'air avec difficulté, sa main libre venant se presser contre ses côtes comme dans un effort pour relancer son appareil respiratoire qui peinait à fonctionner correctement.

Toujours du blanc partout, le même aspect lisse qu'à l'intérieur de l'appartement dont il était pourtant sorti. Pas à l'extérieur donc, toujours pas. Au moins l'espace était il plus vaste, déjà moins oppressant. N'était-ce pour sa cage thoracique meurtrie, il se serait senti respirer un peu mieux. Il acheva de se relever, toujours en appui sur la barrière, observant la salle immense dans laquelle il se trouvait désormais. Circulaire, une mezzanine courant tout autour de celle-ci. En dessous, un espace qui tenait à la fois du réfectoire et de la salle de détente, meublé de tables, de chaises et de canapés toujours dans le même style ancien, qui contrastait avec leur environnement. Cet endroit ne lui disait rien de plus que la pièce dans laquelle il s'était réveillé, ne ravivant aucun souvenir dans son encéphale.

Il tourna enfin le visage vers celui qui l'avait interpellé. Le propriétaire de la canne qui avait causé sa chute. Le type était appuyé comme lui à la rambarde, le visage crispé par la douleur. Même chemise blanche que lui, même pantalon gris, mêmes baskets blanches que celles qu'il avait ignorées en se levant.

- Désolé, je...

Voix rauque et sèche, étranglée. Prendre le temps de respirer, de se calmer. Ne pas se laisser dominer par ses émotions. Il reprit la parole, d'une voix qu'il espérait plus posée.

- Je sais pas ce que je fout ici.

Désolé, je... - Je lui tourne déjà le dos, sautillant comme je peux, fortement appuyé sur la rambarde, pour rejoindre ma canne. Ridicule. Douloureux. Preuve qu'une bonne journée n'existe pas dans cet enfer blanc. - Je sais pas ce que je fout ici. - Et je suis censé en avoir quelque chose foutre parce que quoi?! - Un saut de plus et je peux atteindre la canne du pied. - Rien du tout! Exactement! - Du bout extrême de ma chaussure, je parviens à attirer la canne jusqu'à moi. Étendre la jambe ainsi, tirer sur le muscle, est un geste qui m'est éprouvant. La douleur est toujours là, froidement pulsante sous la peau, mais l'étirement important est une sensation différente qui s'ajoute au reste. Désagréable. Comme si on déchirait mon muscle. Comme un bout de pain que l'on rompt. Le tissu qui s'arrache. Heureusement, ce n'est qu'une sensation. Malheureusement, elle est bien réelle pour moi.

Me penchant en avant, je saisis le bout de bois et repose au sol l'embout de caoutchouc dans un claquement étouffé. Mon appui de retour dans ma main, je peux enfin pivoter pour aviser l'abruti qui a failli me bousiller un peu plus. Plus petit de quelques centimètres, brun en détresse dont le regard trahit l'inédit de sa nouvelle réalité. Voix étouffée, donc gorge serrée. Mains tremblantes et il n'en a pas conscience. Son regard est vif, saccades rapides, panique évidente. Il courrait, respiration saccadée, mais débouler ainsi n'est pas dans une logique de footing matinal. Son visage est pâle, pas rouge, signe que l'effort n'a rien à voir avec son manque d'oxygène. Il tente visiblement de contrôler sa respiration, mais la volonté de contrôler le déluge ne fait qu’accroître la sensation d’incontrôle.

Un profond soupir m'échappe. Un combat intérieur entre mon instinct et ma volonté. - Ferme-la et respire. - D'un regard, j'avise les tables du réfectoire encore vide, ou en tout cas peu peuplée. On m'a entendu gueuler plus qu'on l'a entendu tomber, mais ce n'est pas inhabituel. - Compte dans ta tête. Un. inspire profondément. - Je fais un pas en avant. - Deux. Retient. - Un nouveau pas, ma jambe fléchie sous mon propre poids et ci ce n'est pour ma précieuse canne, je serais tombé à nouveau. - Trois. Expire longuement. - Tout en marchant, ma main libre exprime par geste le mouvement de l'air qui va et vient. - Un... Deux... Et trois. - La main qui s'éloigne, comme une vague. L'air qui s'envole. - Bienvenue dans la Ruche. Nous sommes tous amnésiques et piégés ici. Tu peux m’appeler Cinq. La prochaine fois que tu déboules comme un dératé sur mon passage, je t'en collerais une si forte que tu passeras de panique à douleur en moins de temps qu'il n'en faut pour dire nez en sang.

L'avalanche glacée qu'il se prit en guise de réponse le fit tressaillir, et il s'immobilisa enfin un peu, fixant l'autre type qu'il avait fait tomber malgré lui. Un instant perturbé par l'agressivité de celui-ci, il comprit néanmoins rapidement la raison de cette attitude en apercevant la canne que l'autre récupéra tant bien que mal. La même canne que celle sur laquelle il avait trébuché. L'inconnu récupéra l'objet et pris appuis sur celui-ci, avant d'enfin se retourner vers lui.

- Ferme-la et respire.

Effet contre-productif, il se senti retenir son souffle à l'injonction, le cerveau encore noyé d'adrénaline alors qu'il tentait tant bien que mal de reprendre le contrôle de ses émotions. Ce n'est que lorsque la suite dans instruction suivirent qu'il parvint un tant sois peu de suivre les conseils qui lui étaient dispensés. Il laissa d'abord échapper un filet d'air tremblant, avant de réussir à se calquer sur le rythme ternaire. Un, inspirer. Deux, bloquer. Trois, souffler. Petit à petit, il sentit les battements de son cœur ralentir, suivant sa respiration forcée d'être plus lente. Les tremblements de ses mains ne disparurent pas exactement, mais il prit au moins conscience de leur présence, et put se forcer à les réduire...

Une minute s'écoula, peut-être deux, pendant lesquelles il suivi les gestes et la parole de ce parfait inconnu qui une seconde plus tôt l'incendiait encore, comme un gosse en pleine crise d'angoisse se laisserait attentivement guider par un adulte sévère. Puis l'homme à la canne sembla juger que son état était suffisamment stable pour s'arrêter là. Celui-ci laissa retomber sa main et repris la parole, répondant enfin aux questions qui tourbillonnaient dans son esprit depuis qu'il s'était réveillé. Tout du moins en partie.

- Bienvenue dans la Ruche. Nous sommes tous amnésiques et piégés ici. Tu peux m’appeler Cinq. La prochaine fois que tu déboules comme un dératé sur mon passage, je t'en collerais une si forte que tu passeras de panique à douleur en moins de temps qu'il n'en faut pour dire nez en sang.

La Ruche. Il quitta son interlocuteur des yeux pour observer un peu mieux leur environnement, maintenant qu'il n'était plus occupé à fuir la sensation d'oppression qui l'avait pris dans l'appartement. La pièce était immense, aménagée de sorte à accueillir un grand nombre de personnes. Un grand nombre de personnes visiblement toutes aussi amnésiques que lui, et toutes désignées par un matricule, comme il l'était, à en croire celui qui venait de se présenter sous le nom de cinq.

- Je suis désolé, vraiment. J'ai juste... Perdu le contrôle. Je m'excuse.

Il reprit le temps de respirer quelques secondes comme l'autre le lui avait indiqué, sentant déjà son cœur repartir face aux nouvelles informations, et déglutit, sa gorge encore un peu serrée, comme si l'action allait lui permettre de se détendre, et de parler d'une voix un peu plus posée.

- Je suis... Je crois que la voix m'a appelé H... Je sais plus. 523 quelque chose, je crois. J'ai pas exactement été attentif...

Sa main lâcha enfin la barrière, maintenant qu'il se sentait plus stable, et il passa ses doigts dans ses cheveux, dégageant quelques mèches encore collée à son front, avant de venir croiser les bras sur son torse.

- Piégés tu dis ? Personne ne sait pourquoi on est là ?

Je suis désolé, vraiment. J'ai juste... Perdu le contrôle. Je m'excuse. - Rien à foutre. - Les excuses ne sont que des mots. le dire, c'est bien. Le faire, c'est mieux. Et puisqu'en l’occurrence, c'est de ne rien faire qui serait idéal, le bruit qui sort de sa bouche est d'autant plus inutile. J'aurais pu tourner les talons et filer, mais je reste-là. Encore quelques secondes, en tout cas. Juste le temps de m'assurer qu'il ne compte pas repartir en courant, ou sauter par dessus le balcon. Si quelqu'un doit faire ça, ce sera moi. Autant qu'il s'évanouisse sur place, ce sera idéal. Je n'aurais plus à m'en soucier, et il sera silencieux. Le principal. - Je suis... Je crois que la voix m'a appelé H... Je sais plus. 523 quelque chose, je crois. J'ai pas exactement été attentif... - Elle te le redira demain matin. Et tous les autres ensuite.

Il lâche enfin la rambarde, signe qu'il va mieux. Je tourne enfin les talons, il peut très bien se démerder sans moi. Et deux claudications plus tard, le silence est encore brisé. - Piégés tu dis ? Personne ne sait pourquoi on est là ? - Tu crois qu'on serait encore là si c'était le cas? - Lâché-je sans m'arrêter. Les portes défilent. L'espace d'une seconde, j'ose espérer qu'on me laisse en paix, mais il remonte à mon niveau et j'ai un mouvement de recul en l'apercevant. Il est en chaussettes. Ses pas, eux au moins, sont silencieux. - La seule potentielle issue est une porte verrouillée par un mécanisme à résoudre. Cela dit, personne ne sait ce qu'il y a derrière. - Nous passons la section deux et entrons dans la section 1. - Ce pourrait tout aussi bien n'être qu'un placard à balais très bien sécurisé. - Improbable. Pas avec ce niveau de verrouillage, mais après tout, on en sait rien. Personne ne sait rien. Personne.

Ses excuses ne semblèrent pas être particulièrement au goût de son interlocuteur, et l'agressivité du ton de celui-ci ne diminua pas. Il prit sur lui de ne pas s'en formaliser. Sous son attitude misanthrope, le dénommé Cinq avait pris le temps de l'aider à se reprendre, ne serait-ce que brièvement, et instinctivement, il su que cette action en disait plus long sur cette homme que son attitude verbale. Il ne répondit donc rien, se contentant de suivre l'homme lorsque celui-ci fit mine de s'éloigner. Il se sentait déjà plus en contrôle de lui-même, à défaut d'être parfaitement calme, et sa première rencontre dans ce nouvel environnement semblait avoir au moins une poignée de réponses aux questions qui l'avaient mis dans cet état en premier lieu. Autant donc continuer à interroger celui-ci, en tâchant de ne pas le braquer au vu de son attitude.

- Elle te le redira demain matin. Et tous les autres ensuite.

La situation durait donc dans le temps... Emprisonnement ? Quarantaine ? Autre chose ? Difficile à dire pour le moment, et visiblement, Cinq n'avait pas tellement plus d'information que lui... Il continua à le suivre, le long de ce balcon qui surplombait la salle principale. Les portes défilaient sur leur chemin, donnant logiquement accès à d'autres logements.

- La seule potentielle issue est une porte verrouillée par un mécanisme à résoudre. Cela dit, personne ne sait ce qu'il y a derrière. Ce pourrait tout aussi bien n'être qu'un placard à balais très bien sécurisé.

Mécanisme à résoudre ? Il tourna la tête vers l'autre homme, sourcils légèrement froncés. Lieu clos, raison de leur présence inconnue, des genre de puzzle à résoudre... En mettant les éléments bout à bout...

- Donc on est... Dans un genre d'Escape Game... Poussé à l’extrême si on est effectivement tous amnésiques...

Escape Game... Ironie dans le mot, la situation n'avait rien d'un jeu s'ils ne pouvaient effectivement pas sortir et que personne ne se souvenait de rien...

- Est-ce qu'on a seulement des règles à suivre ?.. T'as une idée de combien on est là dedans ?

Donc on est... Dans un genre d'Escape Game... Poussé à l’extrême si on est effectivement tous amnésiques... - Un jeu? - Dis-je, presque surpris, en tournant la tête vers lui. Surpris ou outré. Honnêtement, les deux se valent à ce stade. Autant la théorie pourrait se tenir, autant je trouverais particulièrement énervant que tout ça ne soit qu'un jeu. Un jeu malsain et sadique, mais un jeu. Un amusement. Un divertissement pour d'autres. Aurions-nous choisi d'y entrer? Aurais-je fais ça? Volontairement? J'en doute. Y sommes-nous forcés alors? Si je devais croire quelque chose, ce serait plutôt ça.

Mon regard accroche le cube de verre qui dépasse. L'ascenseur si vital à mon existence. - Est-ce qu'on a seulement des règles à suivre ?.. T'as une idée de combien on est là dedans ? - Mes lèvres se pincent alors que nous approchons de l'ascenseur. Un bouton pressé, les portes coulissent. - Si tu était sortis plus calmement, tu aurais remarqué le règlement de la Ruche inscrit à côté de ta porte. - Dis-je tout en entrant dans la boite de verre. Il me suit. J'étouffe un soupir. Il pompe mon air. Littéralement. Et j'ai beau avoir besoin de cet ascenseur pour monter et descendre, être dans ce cube de verre est déjà bien assez stressant en temps normal. Aucune idée pourquoi. - Ce sont des choses assez évidentes. Du genre ne pas blesser. Ne pas sortir à poil. Manger durant certaines heures. Le couvre-feu... - Mon regard accroche son poignet et la montre bleu identique à la mienne qui y trône. - Ne pas retirer ce truc. - Lâché-je tout en sortant de l'ascenseur, entre les escaliers.

Et l'univers sait que je déteste cette montre. Je déteste la sensation d'avoir cette chose constamment sur moi. Comme un boulot. Des menottes. Un collier électrique autour de mon cou et une chaîne à un mur. Plus d'une fois j'ai voulu l'enlever. Plus d'une fois j'ai failli le faire sans y penser. Je n'ai jamais finalisé le geste. - Et j'ai aucune idée de combien on est. Beaucoup trop, ça c'est certain. - Subjectif. Mais il me l'a demandé à moi, alors c'est la réponse avec laquelle il devra faire. - Et de plus en plus nombreux avec le temps. - Un chiffre qui grandit de façon impressionnante. Et inquiétante, aussi. Et dire qu'au jour de mon éveil, nous n'étions qu'une trentaine... Il parait. J'étais enfermé dans ma chambre pour trois jours. Y a-t-il un nombre fixe maximum? Qu'arrivera-t-il lorsqu'il n'y aura plus de logements libres? Ils dormiront sur les sofas? Les ajouts et disparitions sont elles prévues? Anticipés? Conçues pour? Serais-je éliminé pour qu'un autre prenne ma place?

- Un jeu?

Le ton outré qui filtra à travers la question lui fit prendre conscience de la manière dont pouvait être interprété ce qu'il venait de dire...

- Métaphore. Ca m'est venu instinctivement.

En y réfléchissant, la situation pouvait être un jeu, pas forcément pour eux vu la réaction qu'il avait eu à son réveil, et qu'il supposait qu'un certain nombre d'autres personnes avaient dû ressentir, mais pour quiconque avait construit cet endroit... Il espérait que ce ne soit cependant pas le cas. Un jeu qui consistait à garder un groupe de gens dans un lieu clos sans souvenirs ou possibilité de sortie pouvait s'avérer rapidement cruel et dangereux...

- Si tu était sortis plus calmement, tu aurais remarqué le règlement de la Ruche inscrit à côté de ta porte. Ce sont des choses assez évidentes. Du genre ne pas blesser. Ne pas sortir à poil. Manger durant certaines heures. Le couvre-feu... Ne pas retirer ce truc. Et j'ai aucune idée de combien on est. Beaucoup trop, ça c'est certain. Et de plus en plus nombreux avec le temps.

Il fit une note mentale de regarder plus attentivement le règlement dès qu'il aurait l'occasion, et de se renseigner sur quelles étaient les sanctions qui pouvaient être appliquées si lesdites règles étaient transgressées, tout en venant observer le bracelet bleu que l'autre venait de lui désigner. Une montre, les chiffres défilant au rythme des secondes, des minutes et des heures. Rien de particulier à part ça Il faudrait peut être aussi qu'il trouve un moyen d'obtenir un chiffre un peu plus exact quand au nombre d'habitants de la Ruche.

L'ascenseur qu'ils avaient pris le mena du balcon à ce qu'il supposa être le rez-de-chaussée, et il pu mieux observer la pièce principale. A droite se trouvait un espace semblable à un salon, équipée de canapés, fauteuils, tables basse et bibliothèques, à gauche l'équivalent ouvert d'une salle de sport, et en face... Un socle de grande taille parsemé d'éclats de verres, derrière lequel s'étendaient un certain nombre de tables semblant former un zone réfectoire.

L'idée de la nourriture lui rappela la faiblesse qu'il ressentait toujours depuis son réveil, et qu'il avait presque oublié à force de réfléchir au reste. Et son estomac se tordit, vide, expliquant sûrement la nausée qui l'accompagnait depuis qu'il avait ouvert les yeux.

- Et pour obtenir de la nourriture ? Ca se passe comment ?

Pas de self en vue, ou d'ouverture dans un mur qui ai l'air de donner accès à des cuisines, juste ces machines qui marquaient la démarcation avec l'espace remplit de table. Il était logique de supposer qu'il s'agissait de genre de distributeurs, mais en l'absence de certitudes, il préférait s'assurer que son instinct ne soit pas erroné...

- Je suis désolé si je t'assaille de questions qui doivent te paraître basiques. Voire idiotes. J'essaye juste de... De donner un sens à tout ça...

Claudiquant avec fermeté, je contourne les vestiges de l'ancienne fontaine. Preuve de l'absolue stupidité des quelques débiles profonds qui peuplent encore cet endroit. Ils devraient éliminer ceux-là d'abord. Ça ferait des vacances à tout le monde. - Et pour obtenir de la nourriture ? Ça se passe comment ? - Je lève la main pour lui intime de se taire. - Je suis désolé si je t'assaille de questions qui doivent te paraître basiques. Voire idiotes. J'essaye juste de... De donner un sens à tout ça... - Abandonne. Ça ne sert à rien.

Nous contournons les plantes vertes dont une a disparue. Passons les tables de bois bruts et les chaises ouvragées. Rejoignons les caisses liserées de vert et je me plante devant l'une d'elle. - Malheureusement, des imbéciles ont détruit la fontaine. Il y avait de l'eau partout et les distributeurs ont souffert. - Je lui montre mon poignet à la montre bleu et place le poing dans l'encoche en guise d'exemple. - En théorie, ils doivent te donner un repas convenant à tes besoins et tes goûts. Depuis l’inondation, ils font n'importe quoi. - Et, illustration de mes explications, mon plateau se coince dans la trappe. Alors, bien sûr, je soupire. - Vaut mieux ça qu'un plateau volant. - Dis-je en m'appuyant sur la canne pour tirer le plateau du bras gauche. Il me faut forcer, et mon gobelet d'eau en pâtit, mais je parviens à le récupérer. Surprise, pourtant. Mon petit-déjeuner est une grosse assiette de couscous fumant et quelques cornes de gazelles enfermées dans un sachet hermétique. Peu importe.

Sans plus de cérémonie, je me retourne et vais déposer le plateau sur la table la plus proche. J'ai fini par m'attribuer ce côté de l'espace réfectoire. Il y a toujours une place disponible, en général. Si tôt le matin, de toute façon, c'est rarement un soucis. Je fais attention à ne pas renverser mon verre. L'eau qu'il contenait a déjà éclaboussé un peu partout, mais une fois le repas posé, j'appuie ma canne à la table et m’assois. L'odeur des épices si tôt le matin a de quoi filer la nausée et je n'aurais jamais cru que le thé me manquerait, mais il faudra faire avec. La semoule et les pâtisseries feraient office de petit-déjeuner. De toute façon, je ne mangerais pas tout ça.

Pessimiste. Vu l'attitude générale, il était facile de s'en douter, mais il ne voulait pas juger trop vite. Il ne se laissa pas démonter pour autant, et s'il ne répondit rien à l'injonction de laisser tomber, l'idée n'effleura pas un instant son esprit. S'il devait vivre dans cette Ruche pour une durée indéterminée, autant qu'il tente d'en comprendre la raison. Discuter avec un de ses habitants, aussi renfermé soit-il, était une première étape. Et après tout, l'attitude hostile et sombre de Cinq n'était pas forcément une mauvaise chose. C'était un point de vue, une manière de considérer leur situation, et c'est en compilant des avis différents qu'il parviendrait à se forger une opinion -si possible objective- sur leur situation.

Il suivi son guide improvisé jusqu'à ce qu'il avait identifié comme le réfectoire, écoutant les explications qui lui étaient dispensées. Distributeurs automatique, comme il l'avait imaginé, mais endommagés par la destruction de la fontaine... Ca expliquait le socle vide denté de verre au bas des escaliers. Observant l'autre homme retirer un plateau de l'une des machines, il l'imita sur celle d'à côté, présentant son bracelet dans l'encoche. A l'inverse de son voisin, le plateau lui fut immédiatement délivré sans encombre. C'est son contenu qui le laissa perplexe lorsqu'il le récupéra. Si la tasse de café n'avait rien d'inhabituel pour un petit déjeuner, l'assiette de bâtonnets de poisson panné nappés de crème anglaise, elle, lui tira une moue circonspecte.

- On a aucun moyen de faire réparer ce problème j'imagine...

Son plateau dans les main, il s'éloigna rapidement de la machine, rejoignant Cinq qui s'était installé à une table, s'asseyant en face sans rien dire, ne souhaitant pas le froisser une fois de plus. Il laissa planer un instant de silence, sans bouger, fixant son assiette sans oser attaquer le plat douteux. Puis, la faim l'emportant, il finit par planter sa fourchette de l'un des bâtonnets, venant croquer dedans avec une grimace d'appréhension. Le goût, quoi qu'inhabituel ne fut pas aussi désagréable que ce qu'il avait pu imaginé, il se résigna donc à manger son plat inhabituel.

- Tu disais que le nombre de personnes présentes augmente avec le temps... Ca fait longtemps que t'es là ?..

Jouant avec résilience avec quelques grains de semoule du bout de la fourchette, je vois d'abord l'ombre avant d'apercevoir la silhouette. Et le plateau sur la table. De toutes les tables et de toutes les chaises... Fait chier. D'ailleurs, mon regard accroche le contenu de son plateau par simple curiosité, et l'assiette qui y trône me tire un sourcil arque. - Geronimo? - Prononcé-je à mi-voix avant de froncer les sourcils et détourner le regard vers le vide. Pourquoi ai-je dis ça? Pourquoi ce mot? Si c'est bien un mot, d'ailleurs, parce que ça sonne juste comme du bruit que l'on gueulerait pour rien. Un souvenir? Un souvenir résidant en un mot qui ne ressemble à rien et qui n'évoque pas le moindre sens? Cerveau de merde.

Tu disais que le nombre de personnes présentes augmente avec le temps... Ça fait longtemps que t'es là ?.. - Mon regard rappelé à son attention, je bois une gorgée d'eau pour desserrer ma gorge. - Deux mois? Un peu moins? - Dis-je plus pour reprendre contenance que pour réellement lui répondre. J'ai perdu le compte assez rapidement, en fait. Le couvre-feu et les lumières qui s'éteignent ne m'ont pas pour autant aidé à retenir les jours qui passaient. Enfermé dans ma chambre à dormir et souffrir, j'ai vite oublié l'heure qu'il était et le temps qui passait. Je n'ai plus qu'une idée générale. D'autres ont compté les jours, mais pas moi. Je voulais juste oublier. Me perdre dans l'absence de temps. Je l'ai fais. Est-ce que je regrette? Non. Parfois, j'aimerais y retourner. Parfois, non. Dernièrement, j'essaye de combattre cette envie. Est-ce que j'y parviendrais? Le temps le dira.

Cessant de tergiverser, je commence à manger. Dans la semoule qui a commencé à éponger le jus du couscous, je trouve également des raisins secs dont je me passerais bien. Je prends malgré tout sur moi. Et en venant de me laver les dents, le gout épicé est juste dégueulasse. - Pff... Foutue saloperie... - Lâché-je en repoussant l'assiette sans grande douceur. Je bois une gorgée pour faire passer et ouvre plutôt le sachet de pâtisserie. En temps normal, j'aurais eu un jus ou mon thé pour faire passer le gout du dentifrice avant de manger, mais pas là. Là c'est juste immonde. Le sucre devrait compenser. Et effectivement, lorsque je croque dedans, le sucre glace un peu trop important accrochant moustache et barbe, les arômes d'orange et d'amande emportent le gout du dentifrice presque immédiatement. Un petit soulagement, je dois bien avouer.

Geronimo ? Le nom lui évoquait vaguement quelque chose, sans qu'il soit capable de mettre le doigt dessus, mais aucun sentiment d'importance n'était lié à celui-ci, aussi laissa-t-il passer l'impression de déjà vu. Il continua de manger le contenu de son assiette sans grande conviction, bien que s'habituant petit à petit au mélange étrange de saveurs, alors que Cinq répondait à sa question sur la durée de sa présence au sein de la ruche.

- Et tu es arrivé dans les premiers ou ?..

Quelques coups de fourchette supplémentaires suffirent à venir à bout du contenu de son assiette, et sa main se referma sur la tasse de café fumante. L'amertume de la boisson vint effacer le curieux mélange sucré-salé de poisson de crème anglaise, et il se sentit presque revivre  alors que le breuvage lui brûlait légèrement la langue. La machine était peut-être défaillante, mais elle avait au moins vu juste quand à son goût pour le café. Voyant que son vis-à-vis pestait contre le contenu de son propre plateau, il se sentit légèrement coupable et tendit légèrement sa tasse vers celui-ci.

- Si ça t'intéresse... Je peux ne pas tout boire.

Cinq releva le regard vers lui, des miettes de sucre-glace dans la barbe après avoir mordu dans une des cornes de gazelle qui lui avait été servie.

- Non. Il y a une règle contre ça aussi.

- Ah...

Logique quelque part, il supposait. S'il leur était nécessaire d'utiliser leur bracelet individuels pour obtenir leur nourriture, une règle concernant le no-partage de celle-ci semblait être dans la continuité. Il ramena sa tasse à lui, et en tira quelque nouvelles gorgées.

- Donc... Ne blesser personne, tenue décente exigée, chacun son plat...

Son regard se perdit à l'intérieur de sa boisson, alors qu'il se remémorait les règles que Cinq avait survolé et qu'il continuait de lui transmettre petit à petit, avant de dériver sur les débris de la fontaine, visible entre les distributeurs de nourriture.

- ... respecter les horaires... Mais pas de règles concernant la dégradation des lieux ? Ou alors certains s'en foutent ? Est-ce que les règles sont là à but purement indicatif où est-ce qu'il y a une vraie forme de... Conséquences si elles ne sont pas respectées ? Est-ce qu'à l'inverse on est encouragé à faire certaine chose ou juste censés vivre au jour le jour en se contentant d'être sages, sans autre objectif que de vivre notre vie d'amnésiques en captivité ?

Il avait beau parler sans hâte et posément, il réalisa qu'il avait posé une quantité importantes de question sans vraiment s'interrompre, laissant celles-ci fuser en même temps qu'elle traversait son esprit. Il s'interrompit donc et releva les yeux vers Cinq, ne souhaitant pas braquer son vis-à-vis outre mesure en l'inondant sans fin d'interrogations. Étant donné que sa simple présence semblait déjà suffisamment l'indisposer, et qu'il ne souhaitait pas exactement se le mettre à dos plus qu'il ne l'avait déjà fait en le percutant plus tôt, mieux valait y aller lentement.

J'en sais rien. - Avais-je simplement répondu à sa question. En ayant tout juste quitté la chambre durant les premiers jours, impossible de savoir si j'étais dans les premiers ou non. Peut-être qu'Aleksa saurait le dire. D'un autre côté, je n'en ai pas grand chose à faire. Je préfère me plaindre de la bouffe que j'ai sous le nez. - Si ça t'intéresse... Je peux ne pas tout boire. - Durant une seconde, j'hésite. L'arôme du café titillant mon envie, mais je me résilie à la légalité. - Non. Il y a une règle contre ça aussi. - Foutu règle de merde. Au lieu de ça, je mord à nouveau dans la corne au sucre glacée en détournant le regard vers le reste de la salle. Les autres commencent doucement à arriver. À surcharger mon champs visuel avec leur simple et pathétique existence. À m'oppresser un peu plus. Les respirations, les mouvements, les voix encore enrouées... - Donc... Ne blesser personne, tenue décente exigée, chacun son plat...

Un soupir m'échappe, nerveux, alors que je viens pincer l'arrête de mon nez entre mon pouce et mon index. Il enchaîne une chiée de questions et chaque mot de plus que sa voix énonce accroît le sentiment d'oppression et la migraine qui va avec. Ironiquement, ce n'est pas vraiment une migraine. Juste cette impression que l'air devient de plus en plus épais, qui simule une fausse douleur qui n'en est pas vraiment une. Je m'apprête à utiliser ma grosse voix, mais je m'interromps à moitié prise d'air. - @Aleksa? - Dis-je clairement, toujours agavé. - Est-ce que tu peux répondre à ses questions?

Il perçu clairement le sentiment d'agacement qui émanait de Cinq, comme il l'avait craint après avoir posé sa suite de question, et était prêt à abandonner et à laisser l'homme seul à ses cornes de gazelles lorsque celui-ci fit appel à une tierce personne. L'apparition brusque de ladite Aleksa le fit sursauter, et une partie de son café bondit au dessus du bord de la tasse, venant éclabousser le bas de sa chemise jusqu'alors immaculée.

- Shit! Okay... Wow.

Il reposa la tasse en plastique sur son plateau, agitant sa main pour la débarrasser tant bien que mal des quelques gouttes de café qui y avait atterrit, ne quittant pas de yeux la nouvelle venue qui le fixait désormais avec un sourire figé. Une fois fait, il resta immobile un instant, perturbé par l'inattendu de cette apparition. Aleksa... Pour une raison qui lui échappait, le prénom lui évoquait vaguement quelque chose, sans qu'il soit pour autant capable de mettre le doigt dessus.

- Okay, merci pour la réponse... Vous êtes qui exactement ?

Ce que la femme en tailleurs lui avait répondu ne passa cependant pas à la trappe. Enfreindre une règle avait des conséquences, et les observer vivre leur vie était "fascinant". L'idée lui fit froncer les sourcils, être enfermé sans aucun souvenir de sa vie passée était une chose. Se savoir épié à chaque instant en était une autre. Il n'était pas sûr de vraiment apprécier le concept.

Assistante virtuelle. N'importe quelle question....

Ca lui paraissait trop facile quelque part. Si elle était vraiment capable de répondre à toutes interrogation qu'on lui fournissait, pourquoi le reste des résidents était-il toujours amnésique -s'il se fiait aux dires de Cinq-? Pourquoi étaient-ils incapables de sortir ? Il aurait suffit de demander comment s'échapper de la Ruche pour qu'elle fournisse le plan détaillé des issues de secours.

- Je suppose que tu évites certains sujets ? Comme le pourquoi de notre présence ici ou le meilleur moyen de trouver la sortie ?

Il attendit que l'assistante virtuelle réponde à cette question, bien qu'il se doute déjà de la réponse, avant d'en poser deux autres.

- J'aurais juste besoin que tu me répète le numéro qui me sert d'identifiant, et que tu me redise le logement dans lequel je me suis réveillé...

La réponse obtenue, il se répéta mentalement les deux matricules plusieurs fois, jusqu'à être à peu prêt sûr d'être en mesure de s'en souvenir sans aide. Une fois fait, il adressa à Aleksa un sourire un peu crispé, avant de lui dire que c'était tout ce dont il avait besoin pour le moment.

L'image de jeune femme souriante disparu de la même manière soudaine dont elle était arrivée, le laissant un instant immobile alors qu'il ajoutait l'existence d'une forme d'IA au sein de la Ruche à la liste déjà longue des questions qu'il pouvait avoir sur l'endroit. Il fini par se tirer de ses pensées, rapportant son attention sur son plateau, venant y saisir sa tasse pour en tirer les dernières gorges qu'il n'avait pas renversé, avant de relever les yeux vers Cinq.

- Merci pour ton aide.

Pas de sarcasme dans sa voix. Il aurait pu, vu le passif-agressif dont faisait preuve son guide à son égard. Mais il sentait le contrôle de ses émotions lui revenir, maintenant que la panique première du réveil commençait à passer, et se mettre à dos qui que ce soit dès son arrivée sur une terre inconnue ne semblait pas être l'option la plus judicieuse. Autant jouer sur la diplomatie, d'autant qu'il ne se sentait pas particulièrement l'âme belligérante. S'il ne parvenait pas à se faire un ami de Cinq, au moins parviendrait-il peut-être, en faisant preuve d'un minimum de tact, à ne pas s'en faire un ennemi non plus...

Aleksa arrive. Ma délivrance. Elle est dans l'angle de mon champ de vision, mais je parviens à passer outre. Je préfère encore la sentir-là et avoir la paix. Alors pendant qu'elle s'occupe des questions du jeune nouveau, qui ne sont pas si nombreuses au final, je mange. Enfin, je pique. Il a l'air trop impressionné pour aligner ses questions. Ne suis-je pas impressionnant? Certes, je ne peux pas me téléporter, ce serait pratique, mais mon visage en dit généralement long. Cette idée de combattre la dépression n'était peut-être pas si judicieuse, au final.

Elle finit par lui rappeler son identifiant et le numéro de son logement, et disparaît à la demande de 523. Au moment où il plonge dans le reste de son café, j'ai déjà admis ma défaite face à ce petit déjeuner. J'ai tout juste touché l'assiette et mangé une corne de gazelle et demi, sur les trois du sachet. Faute de mieux, je ne fais désormais que siroter mon verre d'eau. - Merci pour ton aide. - Mon regard croise le sien, brièvement, et j'acquiesce sans un mot. Pas de sarcasme dans sa voix. Pas de stupide naïveté dans ses termes. Il a immédiatement déduit qu'Aleksa ne divulguerait que ce qu'elle veut bien. Une logique rapide et intéressante. Pourquoi? Parce que les autres ont essayé de demander des choses. Lui n'a même pas cherché à perdre son temps. De quoi le rendre un peu plus intéressant que le reste de la plèbe. Moins ennuyeux, en tout cas.

Qu'est-ce que tu penses faire? - Dis-je sans plus de cérémonie. Une question franche, sans prélude ni fioritures. Broder n'est pas mon genre, à l'évidence. - Maintenant. Demain. Ensuite. - Mon index en l'air fait quelques cercles dans le vide, pour signifier "dans le Ruche", alors que je me penche en avant. Les coudes poussent le plateau, se posent sur la table. Mes mains se joignent. Mon menton s'y dépose. Mon regard le scrute. J'ai déjà fais ça par le passé. J'en suis persuadé.

Aleksa partie et ses remerciements adressés à Cinq, il s'était presque attendu à ce que leur discussion s'arrête, à ce que son vis-à-vis profite de cette instant de flottement pour prendre congé et ne le laisse planté seul à la table. Au lieu de quoi celui-ci lui retourna une question, la première depuis qu'ils parlaient tous deux, inversant enfin un peu la tendance.

- Qu'est-ce que tu penses faire? Maintenant. Demain. Ensuite.

Il le regarda un instant d'un air un peu surpris, par dessus le rebord de sa tasse, puis pris le temps de réfléchir quelques secondes avant de reposer le récipient, cette fois vide, au centre de son assiette.

- Je sais pas encore exactement. Continuer à explorer la Ruche dans l'immédiat, essayer de comprendre comment tout ça fonctionne.

Son attention se tourna vers les bibliothèques de l'espace salon qu'il avait repéré plus tôt, et sur la quantité de livres qui s'étalaient sur les étagères.

- Peut être faire des recherches, voir ce que j'arrive à trouver dans les livres qui puisse potentiellement aider... Tu parlais d'une porte avec un mécanisme à résoudre. Je sais que le terme de jeu n'est pas exactement pour te plaire mais peut être que c'en est un. Un jeu cruel avec des énigmes à résoudre. Alors si je peux essayer de trouver des indices qui nous permettraient de sortir de là, ou au moins d'améliorer notre séjour ici, alors c'est cette piste là que je vais suivre. Pour le reste, je verrais en fonction de ce qui se présente.

Il s'étonnait lui-même à penser de façon aussi posée et pragmatique, stratégique et réfléchie. Il ignorait tout de qui il était, mais des instincts semblaient se manifester naturellement, et la question de savoir si ceux-ci correspondaient à ce qu'il était avant de perdre la mémoire, ou à quelque chose d'autre qui prenait racine dans la page blanche qu'il était en cet instant précis vint s'imposer à son esprit.

- Y a une sorte de routine ici, c'est ça ? Le jours se répètent tous un peu de la même façon ?

Conclusion liée à une phrase que Cinq avait prononcé un peu plus tôt, "Elle te le redira demain matin. Et tous les autres ensuite.", avec une certaine lassitude cynique liée à une probable forme de rengaine.

- C'est déjà arrivé qu'il y ai des... Des interférences dans cette routine ?

Il fit un geste du pouce en direction de la fontaine brisé.

- A part des résidents qui changeraient des choses d'eux-même je veux dire...

Je sais pas encore exactement. Continuer à explorer la Ruche dans l'immédiat, essayer de comprendre comment tout ça fonctionne. - Son regard se détourne vers les bibliothèques. Les dizaines et centaines de livres qui s'y alignent. Le mien reste rivé sur lui. Il compte essayer de résoudre le mécanisme de la porte. Essayer de trouver une solution à ce bordel. Serait-il prêt à chercher une solution à tout ce qui se présentera? Est-il prêt à ce qui se trouve derrière cette porte? Au-delà? Il l'a bien compris, l'idée d'un jeu grandeur nature me déplaît énormément. D'un autre côté, tout me déplaît, mais l'idée d'être enfermé ici par pur esprit de divertissement empire mon état. Je préférerais encore être en prison. Ou une expérience scientifique quelconque. Quelque chose de sérieux. Avec une raison que l'on puisse expliquer. Justifier. Rationaliser. La rationalisation d'un jeu ne se fait dans ma tête que par un seul et unique mot: Stupidité.

De tous les imbéciles destructeurs et auto-centrés de ce trou à rats aseptisé, serait-il le premier avec un peu de cervelle? Le premier que je rencontre, du moins? Je n'ai parlé qu'à peu de monde depuis que je suis là, de façon volontaire. Mieux éviter les autres que devenir les autres. Ou se faire envahir par les autres. C'est une stratégie à moitié fonctionnelle avec ses avantages et ses inconvénients. Qui pèse les pour et les contre? - Y a une sorte de routine ici, c'est ça ? Le jours se répètent tous un peu de la même façon ? - Inlassablement, oui. - C'est déjà arrivé qu'il y ai des... Des interférences dans cette routine ? A part des résidents qui changeraient des choses d'eux-même je veux dire... - Mon regard suit son pouce vers la fontaine et l'expression sur mon visage peine à camoufler mon agacement.

Dans la routine en elle-même, non. Réveil à 6h. Extinction des feus à 22h. Le règlement régit notre quotidien. À côté de ça, en revanche... - Mon regard passe par le balcon, avant d'en venir à un porte un peu plus loin. Mes mains se décroisent. Je perds cette position d'écoute pour libérer mes bras en une gestuelle plus impliquée. - Un tremblement de terre, quelques semaines plus tôt, a fait pas mal de dégâts et de blessés. Aucune idée de son origine et tout était nettoyé le lendemain. - Du pouce, je désigne la porte. - Cette porte donne sur un espace médical. Quelques pièces fermées avec du matériel de soin. La porte n'était pas là avant. - D'une seconde à l'autre, je ressens le poids de l'air sur mes épaules en me souvenant du gigantesque écran au plafond. - Et il y a cinq jours, la Ruche était plongée dans une lumière rouge. La majorité des résidents avaient disparu. - Je secoue la tête. - Ils ont été enfermés par paire dans des cubes de verre avec un repas complet à leur disposition. Aucune idée de la raison.

Je me redresse sur la chaise, revenant poser mes coudes sur la table. - L'infirmerie a pu être ouverte à cause des blessés. Cette histoire de cube de verre... J'en sais rien. Une expérience malsaine? Les deux semblent volontaire. Le séisme, revanche, c'est l'inconnue. Quelle pourrait en être la raison? Sinon que ce soit un phénomène naturel que même nos geôliers ont subis?

Si Cinq était resté plutôt silencieux jusqu'alors, sur la réserve, les dernières question que 523 lui avait posées semblèrent débloquer quelque peu sa parole. Tremblement de terre, nouvelles porte, lumière rouge, possible expérience.

Les informations commençaient à se bousculer dans son esprit, encore malmené par son réveil abrupt, malgré le calme qu'il avait fini par s'imposer, et il ressentait désormais le besoin de faire le vide, d'étaler les données devant lui pour prendre plus de recul. De les écrire.

- Ca fait beaucoup d’événements pour un lieu régit par les règles et la répétition des mêmes journées... Tu saurais où je peux trouver de quoi écrire ?

L'autre homme lui indiqua que l'espace qu'il avait ignoré jusque maintenant était dédié à la création, et qu'en conséquences, il devrait pouvoir y trouver de quoi faire.

- Je reviens.

Il se leva, quittant la table à laquelle ils étaient installé en laissant sur place son plateau, et se dirigea d'un pas rapide vers le fond de la grande salle, contournant le comptoir aux éviers pour rejoindre l'espace que Cinq lui avait indiqué. Il lui fallut un moment à fouiller les différents tiroirs des commodes, mais il finit par trouver un carnet à dessin vierge et un stylo, tous deux noirs et sans détail, dans le style épuré caractéristique de la ruche. Revenant vers son guide qu'il avait délaissé quelques minutes, il se réinstalla à la table, poussant le plateau de côté pour se mettre à écrire à l'intérieur du carnet.

La tâche lui sembla immédiatement familière, comme s'il était habitué à devoir gérer une grande quantité d'informations et à trier celles-ci. Des mots clés vinrent fleurir sur la page -références à ce que Cinq et Aleksa avaient pu lui confier- rapidement reliés entre eux par une toile de flèches qu'il traça avec assurance, en parvenant à garder l'ensemble relativement clair. Une fois fait, il fixa l'ensemble quelques instants, tapotant légèrement de son stylo sur le bord de la page, avant de relever les yeux vers son vis-à-vis.

- Désolé. Je préférais noter pour être sûr de ne rien oublier... Et comme ça si j'ai besoin de mettre des éléments en corrélation...

Il rajouta une flèche allant de "expérience" à "escape game", comme pour illustrer son propos, et rajouta les mots "capacités cérébrales ?" le long du trait ainsi tiré.

- ...j'y verrais plus clair.

Reposant le stylo dans le pli du carnet, il s'avachi un peu dans sa chaise, comme pour prendre du recul sur son oeuvre, avant de se reconcentrer sur son celui avec qui il parlait.

- Y a une sorte de cohésion qui s'est créé parmi les... Les résidents ?.. Un genre d'entraide collective ? D'effort concerté pour essayer de comprendre tout ça ?

Ça fait beaucoup d’événements pour un lieu régit par les règles et la répétition des mêmes journées... Tu saurais où je peux trouver de quoi écrire ? - Mon pouce indique immédiatement l'espace créatif, dans mon dos. - Regarde dans les tiroirs. Il y a de tout. - Je reviens. - Patient, plus que ces deux derniers mois, je ne bouge pas. Attention flottante. Je bois une gorgée d'eau pour passer le temps. Pousse le plateau faute de me lever pour le jeter. Je m'occuperais de ça lorsque je quitterais les lieux. Enfin, si je n'en décide pas autrement entre temps.

Il ne lui faut pas bien longtemps pour revenir, un carnet et un stylo noir entre les mains. - Désolé. Je préférais noter pour être sûr de ne rien oublier... Et comme ça si j'ai besoin de mettre des éléments en corrélation... j'y verrais plus clair. - Pas de commentaires de ma part, je cautionne l'idée. À vrai dire, j'y pense depuis quelques jours sans avoir pris le temps de me dégoter de quoi écrire. Ses notes et ses lignes sonnent familières, comme si je savais faire ça aussi. Comme si je savais compiler des informations de façon claire. Pourtant, dans mon esprit, les flèches noires sont des fils rouges et il y en a tellement... Des photos floues. Des ombres et des feuilles. Des sachets de plastique au contenu incertain.

Y a une sorte de cohésion qui s'est créé parmi les... Les résidents ?.. Un genre d'entraide collective ? D'effort concerté pour essayer de comprendre tout ça ? - Tu demandes ça à la mauvaise personne. - Dis-je d'une voix grave. Tiré de mes pensées pour remuer ce sujet ne me convient pas vraiment. - Il me semble que ceux qui ont débloqué le premier puzzle de la porte étaient deux, mais je ne suis au courant d'aucune assemblée destinée à ce but précis. Ou aucun but, d'ailleurs. C'est plus du domaine du type lambda qui tente sa chance en passant. - Le regard flottant, observant les silhouettes qui vont et viennent. Celles qui se sont installées autour de nous, aux tables, pour manger, j'ai l'impression de regarder des ombres. Des formes dans la distance. - Je ne m'intéresse pas assez à eux pour te dire ce qu'ils font de leurs journées. À part rien de bien utile, mais ce n'est qu'une interprétation personnelle.

A en croire Cinq, il n'existait pas vraiment de coopération au sein de la Ruche. Pas d'effort collectif à proprement parler dans le but de résoudre le mystère qui les entourait. Juste des tentatives isolées qui avaient malgré tout permis de résoudre l'un des puzzles qui semblaient constituer un aspect non négligeable de l'endroit. L'idée le déçut un peu. Si un duo de personne seule avaient réussi à résoudre l'un des casses-tête, un effort collectif leur permettrait sans doute d'avancer bien plus vite...

Néanmoins, il n'était lui-même présent que depuis moins d'une heure dans la Ruche, juger de l'efficacité des autres et de leur réactions était sans doute prématuré, surtout en n'ayant pas lui-même vécu la réalité de ce lieu sur le long terme. Difficile de dire les effets que l'enfermement et la routine quotidienne auraient sur lui, d'autant qu'il ignorait tout de qui il était, hormis quelques instincts qui semblaient resurgir spontanément.

Pour l'heure, il se sentait juste submergé par la quantité d'informations qu'il avait absorbé, comme si le malaise qu'il avait ressenti au réveil se rappelait soudain à lui. Si le fait de manger lui avait permis de dissiper la nausée, il se sentait toujours déboussolé et faible, et les maigres réponses qu'il avaient obtenues ne faisait rien pour dissiper se sentiment de perdition...

- Okay...

Il se passa une main sur le visage, les yeux fixés sur le brainstorming qu'il avait couché sur le papier devant lui. Il allait avoir besoin de temps pour faire sens de tout ça.

Sa main vint refermer le carnet, coinçant le stylo noir entre les pages de celui-ci, et il se releva de sa chaise en attrapant son plateau de sa main vide.

- Je crois que je vais prendre un peu de temps pour digérer tout ça, et explorer un peu plus, pour me faire aux lieux... Merci encore pour ton aide, et... J'essayerai d'éviter de sortir trop vite de mon logement à l'avenir.