Things you can't ignore [F01-101]

-Things you can't ignore
@F01-101

Il y a des choses qui, même sans le moindre souvenir, s'imposent malgré tout, parce que c'est évident, parce que c'est physique et qu'on ne peut qu'en faire des déductions. Lui, ne se souvient de rien de sa vie d'avant, mais il a bien fini par être obligé de regarder son reflet dans une glace. L'éviter avait d'abord été sa première priorité, comme s'il craignait de voir quelque chose qu'il n'avait surtout pas envie de se souvenir, mais quand il a finit par y mettre les pieds, devant ce miroir, il n'a pas vu de monstre, il n'a pas eu le moindre flashback, il n'a vu que ce gars qu'il a jugé bien ordinaire, une tignasse rousse hors de contrôle sur sa tête, des prunelles sombres, la repousse rude d'une barbe de quelques jours, quelques tatouages, quelques marques, mais également un indice indéniable. Rien qui ne peut lui ramener la mémoire, mais c'est assez pour lui donner une piste sur la personne qu'il pouvait être avant. Son corps en général, ces muscles un peu trop découpés pour appartenir à quelqu'un qui aurait vécu de popcorn et de beignets dans le sous-sol de chez sa mère. Forcément, il devait être sportif, certainement pas un étranger des salles de sport non plus. Et c'est peut-être ce qui le pousse à revenir y faire un tour, encore une fois, dans cette prison blanche. Un espoir inavoué de retrouver le quelconque souvenir et ce malgré qu'il continu de se dire qu'il vaut sans doute mieux qu'il ne se rappelle de rien. Visiblement même lui, malgré l'indifférence complète qu'il semble avoir vis-à-vis de tout, est incapable de supporter complètement de ne pas savoir qui il est.

Il s'avance donc près de la zone de sport, observant les appareils mis à leur disposition avec l'espoir que ça fera peut-être revenir un morceau de sa mémoire. Il s'y concentre même un instant, mais rien ne semble venir, pas plus avancé qu'il ne l'était quelques secondes avant. Aucune certitude qui ne s'impose à lui, rien qui vient confirmer les hypothèses qu'il a déjà. Lassé, il finit par soupirer, relevant les yeux pour voir une femme approcher par l'autre côté du balcon, femme assise dans un fauteuil roulant. Pendant une seconde ça lui fait revenir l'idée que cet endroit est peut-être un hôpital, ça lui semblait presque logique, il y a bien des gens en fauteuil roulant dans les hôpitaux après tout. Il songe alors à tourner les talons et s'éloigner, non pas qu'il se connaisse un dédain pour les handicapés, mais surtout parce qu'il commence à se connaitre une fâcheuse habitude à être désagréable dès les premiers mots qui franchissent ses lèvres. Cette fille n'a peut-être pas envie qu'on la fasse chier. Après tout, le simple fait de devoir se trimballer sur des roues doit déjà être bien assez chiant comme ça. Partir donc, la chose intelligente à faire qu'il pense, probablement ce qui explique qu'au lieu de le faire, il pose plutôt ses fesses sur le banc pour les haltères. Jamais il ne fait le choix intelligent, ça aussi il commence tranquillement à le comprendre. Il étire un vague sourire, observant toujours la jeune femme. « Tu veux troquer ton fauteuil pour un tapis roulant? »

C'était difficile de se motiver lorsqu'on n'avait rien vers quoi se projeter. Sans souvenirs, pas d'aspirations. Hormis celle de sortir. De retrouver la personne qu'elle était. De comprendre le message qui se cachait derrière les cicatrices qui parsemaient son corps. C'était ce à quoi se raccrochait F01-101 : la perspective de "quelque chose", aussi vague cela pouvait-il être. Un nom. Une image. Une sonorité familière. Quelque chose. N'importe quoi.

Et ce n'était pas en restant dans son coin qu'elle parviendrait à stimuler sa mémoire défaillante, elle en était persuadée. Ce n'était pas son genre, de toute manière. Enfin, elle en avait l'impression, en tout cas... F01-101 n'avait hésité guère longtemps avant de quitter sa chambre, non sans insulter copieusement la voix robotique qui l'avait accueillie à son réveil.

Ses bras étaient encore fatigués de l'effort qu'elle avait dû fournir pour se hisser dans son fauteuil ainsi que les effets persistants de ce qui avait été utilisé pour la droguer, quoi que cela puisse être. Mais F01-101 avançait à un rythme régulier, analysant son environnement, inscrivant chaque recoin dans une cervelle qu'elle devinait particulièrement réceptive à ce genre d'informations. Connaître sa prison et pouvoir s'y déplacer sans s'y perdre aussi vite que possible, cela lui serait particulièrement avantageux.

Elle avait croisé quelques personnes dans son exploration, percevant leur regard brûlant sur sa condition, mais elle ne s'était pas arrêtée une seule fois, privilégiant son expédition, attendant d'avoir en main le maximum d'atouts avant de se lancer dans une sociabilisation qui ne l'attirait guère. Visiblement, elle n'était pas extravertie de nature. Qu'importe. F01-101 était focalisée sur l'idée d'appréhender son environnement et rien ne saurait la détourner de sa tâche. Ou presque.

Son expédition l'avait menée dans une zone sportive, dont la vision tira finalement un sourire sur ses lèvres jusque là ourlées dans une expression boudeuse et taciturne. Quelque chose en elle avait besoin de ce lieu. Aspirait à y être. De toute manière, même si cela n'avait pas été le cas, F01-101 aurait tout de même dû fréquenter ce lieu aussi souvent que possible. Elle avait un corps à entretenir et du matériel à disposition pour ce faire.

Elle commença à s'étirer les bras, les exercices qu'elle pratiquait au quotidien lui revenant en tête aussi sûrement qu'elle se rappelait toujours comment respirer ou cligner des yeux. Un soupir partagé entre soulagement et douleur glissa hors de sa gorge, instant de détente dans une situation pour le moins anxiogène. Moment qui prit fin lorsqu'une voix s'éleva, s'adressant à elle, l'interrompant dans ses exercices. Et tout ça pour lui balancer une remarque ô combien spirituelle...

F01-101 reporta son attention sur l'idiot qui se pensait probablement tellement drôle, jetant sur lui un regard noir et perçant, ce genre de regards qui disaient clairement don't fuck with me et dont elle était, semble-t-il, l'experte :

"Finalement, c'est peut-être pas une si mauvaise chose, cette putain d'amnésie. Grâce à ça, tu as la chance d'être le premier dont je me rappelle clairement me faire cette blague. Félicitations. Si t'avais attendu un peu, tu serais le dixième de la journée et tu aurais remporté le gros lot de la tombola. Va te faire foutre."

Elle aurait volontiers rajouté un doigt d'honneur, mais F01-101 se rappelait avoir pris de bonnes résolutions lors de sa sortie de sa chambre. Essayer d'être un minimum agréable avec les gens. Prendre la peine de nouer des liens. Tenter de se faire des alliés. Tout pour sortir de ce lieu d'enfer. De cet environnement atrocement aseptisé, où elle n'avait pas sa place.

"A part faire des blagues hilarantes et tellement, tellement originales, c'est quoi ton deal ? Toi aussi, tu viens de te réveiller à l'agonie et la cervelle dépouillée de souvenirs ? 'Fin, je suppose que ça ne doit pas être bien différent par rapport à d'habitude pour toi, j'ai pas l'impression que ta spécialité, c'est la réflexion et l'entretien de la matière grise..."

F01-101 étira un sourire sardonique sur ses lèvres. Agréable, elle avait dit, hein ? Pff. Elle lui parlait et gardait les insultes et la grossièreté à un seuil minimal, c'était déjà un sacré effort... Elle venait de se réveiller quelques heures auparavant dans cette espèce de prison, sans souvenir aucun, on pouvait bien lui accorder un peu de temps pour s'accommoder, non ?

F01-101 roula jusqu'au comique qui lui servait de compagnie, s'emparant d'une bande de résistance qui se trouvait à proximité pour l'enrouler autour de ses jambes et entamer ses exercices. Soulevant l'une de ses jambes à l'aide de la bande, elle utilisa son autre main pour plier et déplier son genou plusieurs fois, grognant sous l'effort. L'exercice ne dura guère, son corps encore épuisé par le traitement quelconque qu'il avait subi avant qu'elle ne se réveille. Se reposant dans son fauteuil, souffle court, elle tourna la tête vers son interlocuteur :

"D'après la machine, j'ai le matricule F01-101. Mais je t'avouerais que je suis pas super motivée à l'idée de me faire appeler comme ça. Ca fait très... je ne sais pas... impersonnel. C'est le but, mais merde, je déteste ça ! J'ai beau creuser, j'ai rien qui vient. Pas un nom, pas un surnom, pas une image, rien."

F01-101 crispa ses poings sur ses jambes, les ongles s'enfonçant légèrement dans la chair. Pas comme si elle pouvait sentir la douleur. Mais cela l'aidait à rester calme. A garder le contrôle. Elle prit une profonde inspiration avant de reprendre d'une voix provocatrice :

"Okay, si tu ne veux pas que je t'appelle "Le Comique" ou "Le Clown" le reste du temps, il va falloir que tu me donnes un matricule. Ou un nom. Ou un surnom. N'importe quoi. Le Clown te va bien, je dois dire. Ou Clownie. Avec ton humour à tomber à la renverse."

Elle insistait, mais elle voulait qu'il comprenne le message. Le fauteuil était peut-être atrocement évident, mais elle savait que c'était tout ce que les gens avaient tendance à voir et elle avait horreur de cette idée. C'était la première chose qu'il avait soulevé chez elle, ce qui lui avait immédaitement sauté aux yeux. Et elle détestait cela.

Si elle considérait l'objet comme une extension indispensable de son corps, lui offrant la liberté de se déplacer sans aide, F01-101 refusait qu'on ne la voit qu'en tant que personne en fauteuil roulant. Elle était quelqu'un. Même si elle avait bien du mal à déterminer qui elle pouvait être, à cet instant précis...

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@F01-101

Il ne s'attendait pas tellement à la voir éclater de rire, il ne s'attendait à rien à vrai dire. Il avait simplement dit ce qui lui passait par la tête, ça semblait presque être un réflexe dans son cas. Il ne saurait même pas dire si c'était réellement destiné à être une blague -drôle ou non- ou si c'était de la mesquinerie ou juste de la bêtise. Il n'avait néanmoins pas le sentiment d'avoir passé le commentaire dans le but d'être méchant, c'était plus une façon d'aborder, de briser la glace pour ouvrir une conversation. Vous me direz, bonjour aurait aussi fait l'affaire. C'est vrai. Trop tard maintenant. Sans le réaliser, il semble avoir mit le doigt directement là où ça fait mal, du moins c'est l'impression qu'il a dès qu'elle relève un regard noir sur lui. Le message a le mérite d'être clair, elle aurait même pu se contenter de le fixer sans rien ajouter et il aurait probablement très bien comprit ce qu'elle pensait de sa blague. Sauf que ce n'est pas ce qui arrive et il n'est pas du genre à courber l'échine si facilement, même quand il devrait le faire. Sa réaction vive le surprend un peu, il doit l'admettre, peut-être qu'il s'attendait à ce que elle, baisse le nez et passe son chemin. Ceci dit, ça ne semble pas assez pour le déstabiliser, pas assez pour le faire taire non plus. " tu as la chance d'être le premier dont je me rappelle clairement me faire cette blague. Félicitations. Si t'avais attendu un peu, tu serais le dixième de la journée " C'est principalement ce qu'il retient des premiers mots que lui offre l'inconnue, et à ça il hausse les sourcils, presque impertinent, comme si elle avait une réaction démesurée qu'il ne jugeait pas mériter. S'attendait-elle vraiment à recevoir une dizaine de blagues pourries comme celle qu'il venait de faire? Bon d'accord, il n'a jamais été cloué dans un fauteuil, ou si c'est le cas il ne s'en souvient évidemment pas, il peut donc difficilement se mettre à sa place et savoir quelle attitude les gens adoptent en général, ceci dit, il continu de penser que c'est exagéré. « Je mettrais pas autant de foi en l'humanité si j'étais toi...» Pour ce qui est d'aller se faire foutre, ce serait volontiers, bien que surement un peu compliqué.

Commentaire tout aussi inutile de sa part qui ne semble calmer d'aucune façon son interlocutrice qui continue, cette fois, s'en prenant aux capacités -limitées selon elle- de sa matière grise. Un peu gratuit selon le rouquin, mais de bonne guerre quand même. Et là, il a la sordide envie de pousser le vice encore plus loin, de lui répondre une autre vacherie que son cerveau semble avoir aisance à concocter, il passe à deux doigts d'une autre blague foireuse, de lui répondre qu'elle a peut-être raison, que peut-être que lui, ça lui prendrait un cerveau roulant, mais par un inexplicable miracle, il se retient cette fois. Est-ce qu'il va finalement se résigner à formuler quelque chose d'intelligent? Il en doute, il ne veut surtout pas lui prouver qu'elle a tord en le traitant d'idiot. « Je suppose que t'as raison, je dois être plutôt habitué d'avoir la caboche vide comme visiblement je suis une des rares personnes ici qui en fait pas tout un plat. »

Après quoi, elle se rapproche d'où il s'est posé afin de récupérer une bande et commencer ses entrainements. Presque avec une pointe de curiosité, il l'observe faire, en oubliant un instant leur bisbille d'il y a quelques instants. Pour un peu, il l'oublie presque elle aussi, se perdant quelques secondes dans ses pensées, jusqu'à ce qu'elle s'adresse de nouveau à lui, déclarant avoir le matricule 101 et être incapable de se souvenir du moindre prénom ou même surnom. Il la fixe alors en silence, glisse légèrement son regard quand elle crispe les doigts contre ses jambes, geste discret qui n'échappe néanmoins pas à son attention. Le ton provocateur qu'elle emploie quand elle menace ensuite de l’affubler d'un horrible surnom tel Le Comique ou Clownie fait néanmoins rapidement revenir un sourire malin sur ses lèvres. « Tu peux m'appeler comme tu veux, je m'en fiche et je vais pas utiliser un chiffre. » Il marque un temps, regarde vers l'air commune quelques secondes avant de la regarder de nouveau. « Et je vais te dire un truc, je sais pas à combien de personne j'ai parlé depuis que je me suis réveillé avec la cervelle dépouillée comme tu dis, mais ce que je sais...c'est que j'ai probablement dit une vacherie à tout le monde jusqu'ici, juste comme ça, pour aucune raison. Tu devrais être contente en fait, c'était une blague de merde...mais ça veut dire que je t'ai traité exactement de la même façon que tous les autres. J'en ai rien à foutre que tu sois sur des roues, je serai pas plus gentil avec toi à cause de ça. » Il penche légèrement la tête sur le côté, étirant d'avantage son sourire. « Et je m'attends pas à ce que tu le sois non plus, en vrai, c'est plus drôle comme ça, tu penses pas? » Et c'est sincère, peut-être le truc le plus sincère qui a franchit ses lèvres jusqu'ici à vrai dire. Peut-être qu'il n'est rien d'autre qu'un total connard, qu'il l'était avant de perdre la mémoire et l'est encore après. Il n'en sait rien, il n'arrive pas à savoir, mais on lui a piqué ses souvenirs, on l'a enfermé ici sans la moindre explication, on lui impose des vêtements et des règles qu'il déteste. Alors la dernière chose qu'il fera, c'est s'excuser d'être ce qu'il est. Que ça plaise ou non.