Scriptures on the wall [H04-103]

Une voix lui avait parlé ce matin, comme le matin d'avant, lui disant qu'il avait besoin de bien mangé, plus qu'il ne l'avait fait la veille. C'était déjà un miracle qu'il ait réussi à trouver une chambre où dormir cette nuit, car les règles étaient absurdes dans cet endroit et il avait interdiction de loger dans le 1-E, où il était pourtant censé se trouver. Docile, il avait juste tourné un peu et s'était glissé sans mot dans un logement qui heureusement, avait un lit de libre.

Telle était la vie dans la Ruche, lui semblait-il. Il avait vu la veille qu'il y avait toute une bibliothèque, en plus d'un endroit pour se reposer, faire du sport ou encore laisser libre court à son art. La définition d'art était relative, mais 9 ne se faisait pas l'idée d'être quelqu'un qui se permettait de juger. Il observait en silence. Les panneaux l'intriguaient aussi, principalement parce qu'il ne savait lire qu'une version parmi tant d'autres et euh... pas très bien ? Ça allait un peu vite pour lui.

Les lettres, les mots écrits l'attiraient pour une raison qui lui échappait. Et puisqu'il n'avait rien d'autre à faire en cet après-midi, il alla du côté de la bibliothèque et prit un livre au hasard : non, il ne savait pas lire ça. Il le reposa. En prit un autre. Non plus. Un troisième... Un quatrième...

À chaque livre son geste était un peu plus lourd, comme s'il était au bord de l'abandon. Il pourrait aller prendre un carnet et le griffonner, gribouiller sur des feuilles, mais non, il se demandait quel était le problème avec les livres. Il en prit encore un autre, et tenta de déchiffrer le titre. Il y arriva, au bout de longues secondes... Qu'est-ce que ça disait sur lui...?

Cet endroit est… Déroutant. Et c’est le moins qu’on puisse dire. Tu ne comprends pas ce que tu fais ici, et encore moins comment tu as pu arriver jusque là. Toutefois ce n’est étrangement pas ta priorité. Non, ce qui t’inquiètes vraiment… C’est ce vide désespérant qui a pris la place de ta mémoire. Peu importe à quel point tu te concentres pour essayer de lever le voile sur ne serait-ce que le plus infime des détails sur ta vie passée, c’est un échec cuisant. Bon. Eh bien… Tant pis ?

Pour l’heure, tu relativises. Les gens, tout aussi inconnus qu’ils te paraissent, n’ont pas l’air bien méchant, tu as un endroit où dormir qui en toute franchise n’est pas désagréable, et tu manges à ta faim. Certes la situation n’est pas idéale et tu as déjà eu à gérer des petits pics d’angoisse face à cet inconnu qui parfois te donne le vertige, mais somme toute… Tu estimes ne pas avoir à te plaindre.

Si la veille tu n’as guère osé pointer le bout de ton nez hors de ton logement -sauf le soir où pour une raison qui te dépasse tu as dû en trouver un autre pour passer la nuit- aujourd’hui tu as décidé de prendre le taureau par les cornes. Après tout, tu ne sais pas pour combien de temps tu seras là, et ce n’est pas en faisant le blaireau coincé au fond de son terrier que ton séjour forcé se passera sous les meilleurs auspices. Un petit effort, … ! Euh. Bah, 103, du coup ? Bordel, ça promet d’être compliqué, si tu dois retenir le matricule des autres en plus du tien… Peut-être que tu devrais leur donner des surnoms, tiens.

Enfin bref.

Confortablement installé dans l’un des canapés faisant face à la bibliothèque vers laquelle tu as été immédiatement et pour une obscure raison attiré, tu es plongé dans un roman policier dont l’intrigue ne te dit rien. Pour ce que ça change...
Du mouvement finit par te faire lever le nez. Tiens, ça fait longtemps qu’il est là, lui… ? En tout cas, il te semble un peu perdu, face à cet océan d’ouvrages. Bon… Qu’est-ce que tu risques à proposer ton aide, hein ? Ni une ni deux te voilà à côté de l’égaré littéraire, sourire affable aux lèvres, après t’être assuré que tes lunettes sont bien droites sur ton nez. Faudrait pas que tu aies l’air d’un idiot.

- Besoin d’un petit coup de main, peut-être ? Si je peux t-... Vous… Pardon c’est stupide, mais je sais même pas si on doit se tutoyer ou se vouvoyer ! Je veux dire, je crois pas qu’on se connaisse, du coup j’aurais tendance à dire “se vouvoyer c’est de la politesse de base”, mais au fond qu’est-ce que j’en sais ? Et en même temps, vu la situation je me dis que se vouvoyer c’est un peu ridicule, tu vois ce que je veux dire ? Et puis- Soudain tu t’arrêtes net dans ton élan. Bordel. Est-ce que tu parles toujours autant ? Tu offres un sourire navré à ton interlocuteur. Désolé. Mais si je peux aider, la proposition tient toujours, hein.

Le livre toujours en main, il sursauta presque en voyant le grand blond venir près de lui. Ses lunettes attestaient sûrement de sa qualité d'érudit, du moins c'est ce que pensait 9, qui se sentait d'autant plus stupide avec son bouquin dont il arrivait à peine à lire le titre.

Le grand blond (bon, il faisait la même taille que 9 donc c'était toujours ça de pris, non ?) parlait beaucoup, noyait littéralement 9 de ses paroles, tant et si bien que le brun avait un peu de mal à suivre.

— Euh, tu peux me tutoyer, j'imagine. Doit pas trop y avoir de hiérarchie ici, non ?

Il y en avait peut-être, il n'en savait rien. Il venait de débarquer, et il avait l'impression de continuellement découvrir des choses dans la Ruche. À commencer que les livres n'étaient sûrement pas ses meilleurs potes. Il montra le livre qu'il avait dans les mains au blond, et demanda simplement :

— C'est quoi comme livre ? C'est quelle langue ? Tu sais ?

C'était un exemplaire un peu abîmé du Portrait de Dorian Gray, dans son anglais original, et 9 n'avait aucune idée de ce dont ça parlait. Il ignorait même s'il l'avait oublié avec le reste, ou s'il l'avait jamais su. Avec un sourire, il se tourna de nouveau vers la bibliothèque :

— Tant de livres, c'est fascinant. Il y en a de plein de sortes différentes, mais tu dois savoir, tu lisais... D'ailleurs, ton livre, il parle de quoi ?

C'était plus simple de parler que de lire, raison pour laquelle 9 semblait aussi enclin à discuter. Il n'avait pas l'impression que ses cordes vocales aient réellement l'habitude de s'agiter, et jusque là, il avait bien vécu le fait de rester silencieux. D'ailleurs, il trouvait sa voix bien trop grave et il était rassuré que celle du blond soit au moins aussi profonde que la sienne.

— Au fait... Mon matricule c'est 9... Avec les h devant là, mais personne n'a l'air de s'en soucier alors 9 ça devrait aller. Et toi ?