What the hell am I doing here ? ft. F02-99 & F02-054

@F02-99 & @F02-054

Après l’annonce qui l’avait sorti de sa torpeur, il demeurait encore immobile, toujours dans un état de choc l’empêchant de bouger, associée à une fatigue anormale mais toujours présente. Il commençait à avoir un ressenti plus précis de son corps, et de son environnement, au-delà de la souffrance première : il avait besoin de boire, de manger, de se laver. Non pas qu’il se sentait sale, mais une douche lui permettrait de se sentir dans son état normal. Ou du moins, un état moins pire que le précédent. Par contre, son cerveau était tout aussi confus qu’auparavant, essayant d’avoir quoi que ce soit à se raccrocher pour avoir son identité. Mais rien n’y fait. Son seul souvenir était celui d’un passé récent : l’annonce de son numéro et de son état de santé, de laquelle il avait retenu seulement la vague idée qu’il devait manger et que son identité se résumait à neuf cent quelque chose. Pour ce qui était de son environnement, à part le lit confortable sur lequel il était couché, il réussit à distinguer deux tables de nuit et une commode, toutes trois en bois massif, détonnant d’une certaine manière avec le blanc des murs et du sol. Une étrange combinaison, entre une propreté quasi-idéale et une ancienneté rustique, mais il n’avait pas grand-chose à dire là-dessus. Et enfin, la porte à l'extrémité de la chambre, qui devint son but.

Il se leva, se dirigea maladroitement vers la commode d’abord, en guise de première étape. Il ouvrit le meuble, et y découvrit des vêtements : une chemise et un pantalon blanc. Encore un étrange choix esthétique, mais encore une fois il n’avait pas vraiment de choix. Il sortit enfin,  se dirigea machinalement vers ce qui devait être la salle de bain, se déshabilla, et pris l’une des douches les plus longues de sa vie, en tout cas la première de cette vie-là. Ses muscles étaient encore endoloris, et l’eau avait une sorte de pouvoir libérateur, comme s’il était un lion en cage qui sortait de celle-ci et se lavait véritablement pour la toute première fois. Cette douche lui servit aussi de séance d’inspection de son corps, mais il ne remarqua aucun signe distinctif, à part une montre-bracelet à la main. Il n’y fit au final pas tant attention que cela. A vrai dire, il était encore dans ses pensées, aussi floues soient-elles, et il n’avait donc pas gardé grand-chose de ce moment. A croire qu’il avait vraiment un problème de mémoire.

Lorsqu’il sortit enfin de la salle de bain, il tomba immédiatement nez à nez avec une femme. Bien évidemment, il ne s’y attendait pas, et se trouva submergé de pensées multiples et horrifiantes : il s’était retrouvé dans l’appartement d’une inconnue, s’était douchée chez elle comme s’il était chez lui tel un gros malpropre, et il allait probablement se faire virer d’ici après avoir reçu une bonne gifle, qu’il aurait mérité. Ou alors, il était censé la connaître, dans ce cas-là la séquence d’événement énoncée précédemment serait moins négative pour lui, par conséquent elle engagerait la conversation comme si de rien n’était. Sauf qu’il ne la connaissait absolument pas. Il resta un bon moment figé par la panique, avant d’entamer la conversation :
- Euh… salut.
Il voulait essayer, par le ton de sa voix, de paraître le plus normal possible. Mais croiser une femme alors qu’il n’a aucun souvenir ni de qui elle est, ni d’où ils se trouvent, et encore moins de qui il est n’avait rien de normal.

La fille qu’il venait de rencontrer s’avérait être sourde, lui présentant immédiatement un petit carnet lui proposant d’écrire, ou bien d’articuler pour qu’elle puisse lire sur les lèvres ce qu’il dit. Il aurait voulu lui répondre en langage des signes, mais il se rendit compte qu’il n’avait aucune connaissance en la matière. Ou du moins, il n’avait aucune souvenir de cela. Il se résolut donc à prendre le carnet et le crayon qu’elle lui tendait. Peut-être qu’écrire ses pensées l’aideraient à se calmer.
“Je n’ai aucune idée de où je me trouve, ni de qui je suis. Tu sais qui je suis ? Tu pourrais m’aider s’il te plaît ?”

Son interlocutrice ne semblait presque pas surprise par l’état dans lequel il se trouvait, comme si c’était quelque chose d’habituel. “Premier réveil ? Ça veut dire quoi premier réveil ?” dit-il inconsciemment à voix haute. C’était censé être normal chez elle, de trouver des inconnus totalement perdus et amnésiques venant d’avoir le pire réveil de leur vie ?

Comme si sa panique ne l’empêchait pas déjà d’avoir des pensées rationnelles, une autre femme, plus vieille, entra dans le logement. Il ne répondit pas tout de suite à sa salutation, car l’absurde de la situation commençait à l’atteindre. Son regard alternait entre la jeune femme sourde et celle qui venait de rentrer, sa respiration et son rythme cardiaque s’accéléraient alors qu’il commençait à transpirer. Alors qu’il essayait de se calmer tant bien que mal, la femme plus âgée se présenta par son matricule. Donc le groupe de chiffres qu’il avait cru entendre dans l’annonce de la voix robotique qui l’avait réveillé était bel et bien censé être ce qui lui servait de nom. Ce qui était parfait, parce qu’il ne s’en souvenait pas. Putain de fatigue qu’il avait empêché d’écouter sur le moment !

“Je ne m’en souviens pas vraiment… désolé…”

Il devait vraiment passer pour un abruti, en train de faire une crise de panique car il ne se rappelait plus du seul élément de son identité qu’il avait. Il essayait de rester calme et logique face à ces deux interlocutrices auxquelles il devait faire perdre du temps. Il articula difficilement :

“Vous vous connaissez ? Vous savez comment je suis arrivé là ? Je sais pas ce qu’il se passe…”

Il commençait à ressentir un air épais et chaud autour de lui. L’air d’un lieu sans issue, où il était perdu et enfermé. Il avait besoin de respirer, de sortir, au moins d’avoir les clés pour comprendre ce qui lui arrive. Mais il n’arrivait pas à le formuler.

La fille sourde restait impassible face à la panique qui le possédait, lui listant les faits de la situation de tous ici comme une liste de course. Apparemment, la situation était habituelle pour ceux qui vivent ici, tout du moins, dans la limite de ce qui était habituel ici. Ils restaient quand même un groupe d’illustres inconnus, sans souvenirs, qui n’ont aucune idée de comment et pourquoi ils se sont retrouvés là. Rien de bien rassurant sur le papier. A vrai dire, tout ce qu’elle avait dit ne l’avait pas calmé, plutôt l’inverse, en fait. Il n’y comprenait rien, ne voyait pas le sens de tout ceci. Et en même temps, il savait que ni la sourde, ni H02-054 comme elle se nommait (qui semblaient vivre ensemble) étaient en rien responsables de sa situation actuelle.

Mais son cerveau ne pouvait s’empêcher de fonctionner à toute vitesse. Sa respiration fonctionnait encore comme un train à vapeur qui refusait de s’arrêter. Des larmes commençaient à rendre sa vision floue. Des larmes de peur, de panique. 054 essaya de le calmer en le forçant à s’asseoir, puis en lui proposant de l’aider d’une voix plus douce. Il n’était pas forcément plus rassuré, mais au moins son corps s’était légèrement apaisé et la tension de ses muscles avait commencé à disparaître, même si les larmes qu’il avait essayé de contenir coulaient maintenant sur ses joues. Reprenant ses esprits, il commença à formuler ses pensées :

“Merci…”

La situation lui paraissait un peu niaise, avec le recul, car il n’avait pas l’impression d’être du genre à demander de l’aide. Il en avait même un peu honte, sur le moment.

“Déjà… c’est qui Aleksa ? C’est la dame qui sert de réveil à tout le monde ? Et je crois qu’elle avait parlé de petit-déjeuner… on est censé aller le chercher ? Ou comment ça se passe ? Et aussi… c’est quoi cet endroit, exactement, en fait ?”

En fait, ses pensées ne s’avéraient pas être vraiment claires par la parole. C’était surtout un maelström de questions d’un gars totalement perdu dans un monde qu’il ne connaissait pas. Malgré tout, il essaya de bien articuler, pour que la jeune femme sourde comprenne. D’ailleurs, elle ne lui avait pas donné son matricule à elle, mais ce n’était pas le plus important pour le moment. Le plus important, c’est qu’il réussisse à comprendre et à s’adapter.