Au lieu de s’intéresser à la vie des autres, elle ferait mieux de s’occuper de la sienne. Elle pourrait au moins essayer de chercher ce qui lui plaisait, ce pour quoi elle était douée, n’importe quoi d’autre sauf épier de cette façon. Elle s’était sentie honteuse voire coupable. Quelques instants seulement. 806 se disait qu’après tout, elle ne faisait de mal à personne. Elle avait déjà perdue la mémoire une fois, elle n’était pas à l’abri d’oublier une seconde fois, alors à quoi bon. Une voix masculine vint interrompre le fil de ses pensées. C’était bien à elle qu’on s’adressait ; elle n’avait pas bougé mais du coin de l’œil, elle pouvait voir qu’il était tourné vers elle.
« Salut. » répondit-elle en posant son regarde sur lui. Elle s’attendait à voir un grossier personnage ne pouvant s’empêcher d’aller voir la petite nouvelle, et fut surprise de rencontrer le sourire sincère d’un jeune homme. 806 suivit du regard le crayon qu’il posa son livre. Elle baissa les yeux, la panique commençait à l’envahir. Pire encore, elle se sentait rougir. Franchement, elle ne pouvait pas lui avouer ce qu’elle faisait vraiment ici, qu’allait-il penser d’elle ?
Cette situation en disait long sur le caractère de 806. Elle ne s’en rendait pas compte, car tout son être se concentrait sur une réponse à trouver, mais d’après sa réaction, elle avait plutôt l’air d’une femme sensible au regard que les autres pouvaient porter sur elle, prisonnière de l’image qu’elle désirait renvoyer.
« Oui, il est plutôt agréable à lire. » dit-elle avec une voix plus aiguë qu’elle ne l’aurait voulu – ce qu’elle avait chaud d’un coup. Le mensonge expédié, elle se sentait mieux mais il fallait changer de sujet. Elle n’avait pu s’empêcher de sourire à la remarque du jeune homme. Mais après réflexion, elle ne savait pas pourquoi une partie des livres étaient trempés. Elle avait bien entendu dire que la fontaine avait été détruite, mais ça devait être avant son arrivée.
« Je crois que c’est à cause de la fontaine, non ? » dit-elle en la montrant légèrement de la main. Elle lui avait posé cette question en supposant qu’il était ici depuis bien plus longtemps qu’elle.
Elle aurait pu ajouter que c’était bien dommage pour tous ces magnifiques livres, richesses d’enseignements et d’évasions où elle aurait adoré s’y perdre. Mais il ne fallait pas exagérer non plus. Ce n’était pas faux en soi, c’était juste qu’actuellement elle n’avait ni la tête, ni le cœur à lire. Elle vivait déjà quelque chose d’invraisemblable, elle n’avait nullement besoin de s’évader aux pays des merveilles. Elle ferma son livre et son regard se posa sur le carnet à côté d’eux. Elle tendit le bras pour le prendre.
« C’est ton truc le dessin ? Ça représente quoi ? » Il y avait des formes, une certaine volonté, mais qui ne lui évoquait rien. Elle tenta de tourner le carnet dans plusieurs sens, histoire d’y voir plus claire.
« C’est très harmonieux. » conclu-t-elle.