Nights are complicated here [H04-505]

Le soir arrivait bien trop vite. 9, de son matricule, devait se trouver un endroit où dormir, parce qu'en toute logique, le logement qu'on lui avait attribué ne pouvait pas convenir. Il devait en changer tous les soirs, comme tout le monde dans la "Ruche" ; c'était comme ça qu'ils appelaient cet endroit étrange. Il n'y était pas spécialement à l'aise, alors il squattait le balcon bien avant l'heure du couvre-feu, et essayait de repérer les logements vides. Il y avait bien peu de chance que le logement soit totalement vide quand il y dormira, mais il essayait de ne pas trop y penser. Déjà que la règle des agressions physiques le remplissait d'effroi... Dans quel endroit avait-il atterri pour qu'il soit autorisé de frapper les gens, le tout dans un horaire bien défini ? Il ne savait pas bien pourquoi, mais il trouvait le concept de "frapper quelqu'un" assez vulgaire. Ça ne se faisait pas, non, évidemment, mais ce n'était pas tant une question éthique qu'esthétique. Il y réfléchit un temps, avant de se dire qu'il ne devait tout simplement pas aimer la boxe ou les autres sports de combat. Ça arrive, tous les goûts sont dans la nature.

Il se mordait l'intérieur de la lèvre nerveusement en observant les portes. Il avait repéré un logement qui lui semblait être une bonne idée, et s'en approcha petit à petit, jusqu'à être presque devant sa porte. Il était encore tôt, enfin pas trop non plus, à peine un peu plus de 21h. Il pouvait encore trouver autre chose sans risquer de sanctions si jamais ce logement s'avérait ne pas être libre.

Il allait finalement passer la porte quand du mouvement attira son regard : il était bien trop calme et alerte pour pouvoir se faire prendre par surprise, se disait-il, et pourtant...

505 -il était très étrange de se référer à lui-même via ce matricule qui n’était clairement pas son nom- avait passé une journée assez calme. Malgré l’effroi dont il ne parvenait pas à se débarrasser à l’idée d’être enfermé quelque part, sans connaissance de lui-même et sans contact avec l’extérieur, il se sentait plus relaxé qu’à son arrivée. Les personnes qu’il avaient croisées s’étaient avérées cordiales, les lieux semblaient posséder toutes les commodités essentielles, et personne ne l’avait torturé pour des informations.

En discutant un peu avec ses codétenus, il avait remarqué que la plupart semblait être arrivés récemment dans cet endroit étrange que tout le monde appelait La Ruche. Il n’avait croisé personne présent depuis plus de quelques mois, ce qui était extrêmement encourageant ! Leurs ravisseurs étaient de toute évidence des gens efficaces dans leurs négociations.

La seule critique qu’il avait pour le moment, à part bien entendu le fait-même d’être enfermé, était la nourriture. Tout simplement immonde. Rien d’étonnant, puisqu’elle sortait de distributeur. Certes, elle était équilibrée, mais à quel prix. Son estomac, toujours sensible après le choc de son arrivée, n’avait pas particulièrement apprécié le traitement. Barbouillé, et quelque peu agacé de n’avoir pas pu apprécier ce rare plaisir de la vie qu’était un repas, il avait décidé d’aller immédiatement se coucher. Sa chambre était la 3-F, et il la partageait avec deux autres personnes, qu’il avait croisées sans pouvoir faire plus ample connaissance.

Cependant, les avoir croisés lui permettait d’être en mesure de les reconnaître. Et le l’homme d’une trentaine d’années, particulièrement grand, qui se tenait devant la porte, ne ressemblait en rien à l’homme asiatique et à la jeune femme qui partageaient son logement.

505 fronça les sourcils. Est-ce que cet homme tentait de les cambrioler ? Il n’avait pas d’affaires personnelles, certes, mais ses colocs, peut-être ! Si quelque chose venait à disparaître, il serait immédiatement le premier suspect, ce n’était pas bon du tout ! Il secoua la tête. C’était bien sa veine, tiens. Lui qui voulait simplement vivre une vie tranquille, passer une nuit tranquille, digérer tranquillement cet horrible repas... Il ne se laisserait pas faire !

Il se redressa de toute sa hauteur, roula ses épaules pour tenter de paraître aussi impressionnant et dissuasif que possible, et s’avança. « Hey » lança-t-il, attrapant d’une main aussi ferme que possible le bras de l’homme qui s’apprêtait visiblement à entrer dans le logement et en le tirant en arrière un peu plus violemment qu’escompté. « Où est-ce que vous pensez aller comme ça. Ce n’est pas chez vous. »

Le mouvement à la périphérie de son champ de vision n'était autre qu'une autre personne, une abeille perdue qui s'avançait vers lui pour l'intimider de toute sa hauteur. Et étrangement, 9 avait beau faire 1m90, cela fonctionna. Il paniqua un peu, se recroquevilla légèrement pour se faire plus petit (mec, tu fais quasi deux mètres, personne n'y croit), et chercha derrière lui si l'homme qui l'invectivait n'avait pas parlé, par hasard, à quelqu'un d'autre.

Mais il n'y avait personne, et c'était bien à 9 que l'homme s'adressait. Il fut tiré en arrière, assez violemment pour devoir suivre le mouvement, pas assez pour ce que ce soit vraiment menaçant. 9 recula jusqu'à s'appuyer sur la rambarde et bredouilla un début d'explications :

— Mais... Je sais... je...

Ok c'était bien confus. Il essayait de réfléchir, de savoir pourquoi on lui attrapait le col pour un truc qui n'était pas répréhensible. Au contraire.

— Faut bien que je dorme quelque part...

Les règles étaient claires à ce propos : il y avait un couvre-feu, et il convenait d'être dans un logement pour dormir. Impossible de squatter un des canapés de l'aire salon pour la nuit. De plus, il y avait la règle qui interdisait de rester dans son logement la nuit, alors, 9 n'avait pas vraiment le choix. À moins qu'il ait mal compris ? C'était bien possible aussi, il n'était pas vraiment à l'aise à l'écrit, il l'avait vite appris.

— On peut de nouveau dormir dans nos logements ? Ou est-ce que j'ai manqué quelque chose ?

Il préférait donner à l'homme le bénéfice du doute, quand bien même il ne l'avait pas abordé poliment. À ce propos d'ailleurs...

— Enfin, tu aurais pu être un peu plus sympa, tu m'as fait mal !

C'était pas vraiment vrai : ça tirait un peu, mais 9 n'aimait pas la sensation. Ce n'était pas agréable, quand bien même ça ne faisait pas exactement mal. Il n'arrivait pas à mettre un mot sur cette sensation, si ce n'est qu'elle était... intrusive. Quelque chose en lui sonnait l'alarme, et il n'aimait pas ça, pas plus qu'il n'aimait l'existence même de cette alarme. Pourquoi devait-il être aussi méfiant ?

505 observa, pas peu fier, le long géant qu’il venait de surprendre se recroqueviller légèrement. C’était assez satisfaisant de voir un homme plus jeune et avec bien 20 centimètres de plus que lui agir comme s’il était intimidé. Était-il intimidant ? Il bomba un peu plus le torse et fit un pas vers le jeune homme coincé contre la balustrade. Bon, ce n’était pas un comportement très malin, d’essayer de jouer les gros dur sans savoir si on en était un, une petite voix dans son cerveau admettait. Mais… il n’allait pas lui faire de mal. Juste l’intimider un peu pour qu’il ne retente pas de venir fouiner dans des affaires qui n’étaient pas à lui. Il était important d’apprendre les règles à la jeunesse.

« Faut bien que je dorme quelque part... »

Alors pour le coup, il était perplexe. Quelque part ? Dans sa chambre, semblait être la bonne solution. Est-ce que cet homme n’avait pas reçu d’attribution de chambres ? Est-ce qu’il y avait des SDF dans cette mystérieuse ruche ? Ce n’était pas impossible. Peut-être pour les prisonniers les moins importants ?

« On peut de nouveau dormir dans nos logements ? Ou est-ce que j'ai manqué quelque chose ? »

De quoi parlait-il ? Pourquoi ils ne pourraient pas dormie dans leurs logements ? ça n’avait pas de sens, c’était leur logement. Il s’en souvenait très bien puisque, tout juste arrivé, le moment où on lui avait attribué cette chambre était très frais dans son esprit. Est-ce que l’autre essayait de l’entourlouper ?

« Enfin, tu aurais pu être un peu plus sympa, tu m'as fait mal ! »

505 se rembrunit immédiatement. Il ne manquerait plus que ce jeune délinquant aille se plaindre de violence alors qu’il l’avait juste tiré par le bras.

« Si tu ne veux pas d’ennuis, ne va pas fouiner chez les autres. C’est quoi cette histoire comme quoi tu ne peux pas dormir dans ton logement ? Tu t’es fait virer par tes colocataires ? » Il le regarda de haut en bas et renifla. Pas étonnant. Le délinquant devait occuper une certaine place, avec sa hauteur. Il n’en voudrait pas chez lui non plus. « Quoi qu’il en soit, ce n’est pas bien malin de tenter de faire n’importe quoi. Qui sait comment nos kidnappeurs réagiraient à te voir dormir là où tu n’es pas censé être. »

Il resta fermement planté entre le jeune homme et la porte, prêt à intervenir si l’inconnu tentait sa chance et fonçait vers la chambre. Est-ce que 505 savait se battre ? Très bonne question. Son interlocuteur n’avait pas l’air particulièrement agressif, si les choses en venaient aux mains, il s’en sortirait. Sans doute.

Oui, 505 était intimidant. Depuis qu'il était arrivé, 9 n'avait pas encore expérimenté d'échanges violents. Il n'avait pas croisé grand-monde à vrai dire, et ne s'en portait pas plus mal. Il avait l'impression d'être un peu à part de cette Ruche, et moins il intéragissait avec les autres, mieux il se portait. Cette rencontre lui prouvait qu'il avait raison.

Il se recula jusqu'à la rambarde, regardant de haut l'autre comme s'il se faisait attaquer par une oie. Est-ce qu'il allait le pincer ? Pour le moment non, et puis, il posait des questions bizarres. Est-ce qu'il n'avait pas compris quelque chose...?

— Hein ? Non, je me suis pas fait virer par mes colocs... Et puis je veux pas fouiner, faut juste que je me trouve une chambre, t'es bizarre toi !

Ouais bon là, c'était l'hôpital qui se foutait de la charité : il s'était vu, lui cette asperge de presque deux mètres, à essayer de paraître tout petit ? Sans évoquer même ses traits bien peu racoleurs... Cette Ruche était remplie de beaux gosses et de mannequins. Clairement, il n'y avait pas sa place.

9 ignorait toujours, comme la plupart des autres abeilles, ce qu'était cet endroit, mais jamais il n'avait pensé à un kidnapping. En tout cas, pas en ces termes. Un enlèvement par les aliens ou la CIA, ou les aliens de la CIA, oui, sûrement, mais de simples kidnappeurs ? C'était fort peu probable.

— Mais il n'y pas de kidnappeurs, enfin je crois pas, j'en ai jamais vu...

Quant à dormir ailleurs que dans le logement qui lui avait été attribué, c'était dans les règles. Peut-être que l'homme en face de lui les avait mal lues ? Ou pas du tout ?

— Et puis, la règle précise qu'on doit dormir ailleurs, sauf si y a eu un changement ! Pourquoi tu m'attaques moi ? Tout le monde découche !

C'est vrai ça, pourquoi lui ? C'était une façon de lui dire qu'il était moins discret que les autres, c'est ça ? Et bah c'est comme le prendre par le bras, c'est pas très sympa !

Bizarre ? Lui ? 505 estimait qu’il était l’une des personnes les plus normales qu’il avait croisées jusqu’à maintenant dans ce lieu particulier, merci bien. Non pas que les autres personnes étaient méchantes, mais elles étaient… étranges. La différence culturelle, sans doute. Lui, il était un homme raisonnable avec la tête bien droite sur les épaules. Et lui, il savait où était sa chambre, ce qui n’était clairement pas le cas de son interlocuteur.

« Et puis, la règle précise qu'on doit dormir ailleurs, sauf si y a eu un changement ! Pourquoi tu m'attaques moi ? Tout le monde découche ! »

La règle indiquait qu’on devait dormir ailleurs que dans sa propre chambre ? C’était absurde ! Est-ce que cet homme pensait vraiment qu’il allait gober ça simplement parce qu’il venait d’arriver ? Tout le monde découchait peut-être, mais tant qu’ils découchaient dans des endroits où ils étaient les bienvenus, tout était bon.

« Tu voulais rentrer dans ce logement ? Et bien viens donc. Les règles y sont affichées, nous pourrons y vérifier ensemble ton explication absurde. Pourquoi il faudrait dormir ailleurs, ça n’a aucun sens. »

505 l’attrapa par l’oreille -elle était bien haute, mais il n’avouerait pas qu’il avait dû monter sur la pointe des pieds- et entreprit de le trainer vers l’intérieur du dortoir avec la ferme intention de vérifier les dires du jeune homme sans lui laisser la possibilité de filer en douce.

Les interrogations assaillaient le petit cerveau de 9, qui se demandait bien qui était cet homme qui se permettait de lui faire la morale à propos de règles qu'il avait manifestement mal lues. Bon, il avait réussi à lui mettre le doute, mais 9 restait à plus de 80% sûr qu'il avait raison dans l'affaire. Il essaya de raisonner l'homme, en lui disant qu'il y avait une règle à suivre dans la Ruche qui leur interdisait de dormir dans leur logement, aussi stupide que ça puisse paraître.

Si 9 s'attendait à ce que la réponse de l'homme soit véhémente, il n'avait pas prévu de se faire tirer son immense oreille. Non mais sans déconner, elles étaient déjà énormes, si on pouvait ne pas tirer dessus, ce serait sympa... 9 n'avait même pas remarqué à quel point l'autre devait se mettre sur la pointe des pieds pour le faire, mais se sentit comme rabougri par le geste. Et assez étonnamment, il se laissa mener dans le logement, parce qu'il n'y avait effectivement pas de meilleure solution que d'aller vérifier directement le panneau d'affichage des règles.

— Mais rien n'a de sens ici... !

C'était une défense un peu faible, mais plutôt réaliste : la Ruche ne cherchait manifestement pas à faire sens, quand on y réfléchissait bien. Mais il entra dans le logement avec l'homme et planta son regard sur le panneau. En vérité, il était surtout soulagé d'être dans un logement parce que l'heure avançait, et qu'il ne voulait pas se retrouver en infraction. Oui, il était toujours sûr d'avoir raison.

Le panneau affichant les règles défilait, et même si 9 n'était pas très bon lecteur, il s'écria en voyant passer la règle, écrite en anglais, du logement :

— Tu vois ! Interdiction de dormir dans son logement ! Mais il faut quand même être dans un logement entre 22h et 6h, donc tout le monde joue aux chaises musicales ! Tu me crois maintenant !?

Évidemment, 9 ne s'était pas du tout posé la question de si l'homme pouvait lire l'anglais. C'était la seule langue que lui comprenait, alors peut-être que c'était un genre de langue commune à l'écrit ? Après tout, pourquoi pas ?

Le jeune homme se laissa faire sans se débattre, ce qui était plutôt une bonne chose, vu sa taille relativement impressionnante. Après, il n'avait pas l'air d'un caractère très bagarreur, malgré sa tentative de tenir tête à 505 avec ses idioties.

« Mais rien n'a de sens ici... ! »

Bon point, en effet, concéda mentalement 505 en observant le texte sur l’écran. C’était le texte qu’il comprenait quand il se concentrait, et ses yeux scannaient l’écran avec attention. Il lut la phrase. Une fois. Deux fois. Trois fois. Merde. Le règlement annonçait bien qu’il était interdit de dormir dans son logement. Ça n’avait juste… pas de sens. Était-ce une sorte de torture psychologique pour essayer de déstabiliser les prisonniers, de les faire vivre dans le doute et l’incertitude ? C’était la seule explication. Ça, ou le jeune homme était un hacker de génie, ou de mèche avec leurs kidnappeurs. Dans ce cas, c’était un excellent acteur. 505 lui lâcha l’oreille pour s’approcher et mieux voir. Relire une 4e fois cette règle absurde ne ferait pas de mal, car quelle que soit la langue affichée, bien qu’il puisse la lire, ce n’était pas sa langue natale, donc il pouvait toujours envisager une mauvaise compréhension. Mais non, rien à faire, c’était toujours la même et quand, au bout de quelques minutes, l’écriture qu’il comprenait apparue, elle indiquait bien la même chose.

C’était vexant. C’était très vexant. 505 n’aimait pas être vexé. Il sentait ses joues brûler, et un feu de colère mal placée monter en lui. Ses yeux tombèrent sur une autre règle absurde. Les agressions physiques sont désormais permises de 16h à 22h uniquement. Puis sur l’heure. A peine un peu plus de 21h15. Ce garçon voulait se fier à des règles absurdes ? Très bien.

Son poing partit tout seul.

Il fallut attendre un moment avant que l'homme ne puisse lire, comme l'avait fait 9, que les règles de la Ruche étaient réellement insensées. Quelque part cela fit tilt dans l'esprit de 9 que cette langue écrite qu'il pouvait lire n'était manifestement pas universelle. Cela dit, il rangea bien vite cette nouvelle dans un coin de sa tête, car cette dernière fut soudain percutée par le poing vengeur de 505.

9 recula mais pas assez pour ne pas prendre le coup : il atterrit sur le coin de sa mâchoire, lui arrachant un cri. Il leva les bras dans une posture défensive, tout en reculant et en sortant du logement où ils étaient entrés, se remettant ainsi en danger :

— MAIS LAISSE MOI JE VOULAIS JUSTE DORMIR POURQUOI TU ME FRAPPES !?

Il continua de reculer jusqu'à sentir la rambarde dans son dos, et se décida à répliquer : il tenta d'attraper les petits poings de son vis-à-vis, sans succès. La vitesse n'était semblait-il pas son point fort, même s'il sentait son corps se tendre étrangement. 9 n'était pas sûr de savoir ce que ça voulait dire, mais il prit une posture bien plus stable que celle qu'il avait avant, et s'apprêta à encaisser les coups qui tarderaient sûrement pas à pleuvoir.

La sensation de son poing frappant la mâchoire du jeune homme surprit 505, qui se retrouva à deux doigts de s’immobiliser et de s’excuser. Mais la honte d’avoir frapper quelqu’un sans réelle justification se joignit à celle d’avoir eu tort, et son embarras grandissant l’obligea à continuer dans son erreur.

Il suivit donc son adversaire, ressentant un petit sentiment de victoire mal placée de savoir que, malgré tout, il avait quand même réussi à faire partir l’inconnu de sa chambre. Au début, il n’avait pas été certain de se lancer dans un combat qu’il pouvait gagner. Après tout, l’autre homme était bien plus grand que lui. Mais en voyant son adversaire échouer à arrêter ses poings, il se trouva encouragé.

« J’espère que ça t’apprendra à traiter tes aînés avec plus de respect ! »

Le jeune homme se trouvait maintenant collé contre la barrière, sans pouvoir reculer. 505 en profita pour tenter de lui donner un coup à l’estomac. Il ne vit pas le subtil changement de position de son adversaire et mis dans le coup autant de force et aussi peu de finesse qu'il en était capable.

L'homme continuait inlassablement son assaut, mais 9 le regardait de façon de plus en plus incrédule, réalisant qu'il n'avait finalement pas si mal. Pas que les coups ne faisaient pas mal, pas vraiment (bon c'était pas ouf non plus) mais cela tenait davantage à la capacité d'encaisser de 9. Son grand corps encombrant s'était apprêté à recevoir les coups, et il le faisait avec brio, comme s'il y était habitué. Est-ce qu'il avait fait du karaté avant la Ruche ? Ou c'était juste des bagarres de bar ? Aucun souvenir ne revenait : 9 était toujours dans le flou le plus total à ce propos.

Mais il encaissait. Si bien qu'il se dit qu'il pouvait bien tenter de répliquer. Ses poings, postés en défense, le démangeaient, et semblaient savoir mieux que lui comment voler dans la face de l'homme qui l'avait attaqué sans raison.

— Ouais bah le respect ça se mérite aussi !

Quelque chose disait à 9 qu'il n'avait jamais été très porté sur le respect des aînés, ou du moins, pas uniquement parce que c'était des aînés. L'excuse était pourrie, et là tout de suite maintenant, il se disait qu'il n'avait pas envie de s'écraser devant quelqu'un qui se foutait manifestement de lui. Il avait le sentiment qu'il le regretterait bientôt aussi, mais il était parti sur sa lancée, et il avait du mal à s'empêcher de ne pas continuer.

Le coup partit enfin. Puisqu'il n'avait rien de rapide, il serait semble-t-il facile à parer à défaut de l'esquiver, mais 9 y avait mis pas mal de puissance. En fait, plus qu'il ne le pensait.

HRP:

505 n’était définitivement pas un combattant professionnel, décida-t-il quand son cerveau arrêta de vibrer. Alors certes, avec un peu de recul, le coup n’avait pas été rapide, et il aurait sans doute pu l’esquiver s’il était concentré même sans être Bruce Lee, mais il avait été tellement aveuglé par la rage… Sans compter que le gamin en face n’avait pas fait mine d’essayer de répliquer depuis le début de l’assaut. Bref. Il venait de se faire frapper par un grand insolent qui se croyait clairement meilleur que tout le monde.

505 porta la main à sa tête et recula de quelques pas pour reprendre ses esprits sans risquer de se prendre immédiatement un deuxième coup en pleine face.

« Espèce de petit… » cracha-t-il avant de se reprendre « de grand artichaud. »

Jaugeant rapidement la distance, il décida que puisqu’il ne connaissait aucune technique de combat, autant y aller à fond n’importe comment, et se jeta sur son adversaire avec autant de puissance que possible dans le but de le plaquer au sol.

HRP:

Son poing atteignit sa cible, contre toute attente. 9 commençait à comprendre que ce n'était sûrement pas le premier coup de poing qu'il donnait de sa vie, et peut-être pas le dernier non plus. L'homme en face n'avait pas l'air de vouloir s'arrêter de se battre, et ne faisait rien pour calmer la situation. Bon, pour être honnête, 9 non plus.

Il s'était contenté d'encaisser jusqu'à ce qu'il ne puisse plus, et maintenant c'était advienne que pourra. Il avait été poli mais il avait aussi ses limites... L'homme en face de lui l'insulta (ce qui laissa 9 de marbre) et au lieu de le frapper, se jeta sur lui.

Dans un réflexe dont il ignorait la provenance, 9 fléchit les jambes, se mit légèrement sur le côté et se prépara à recevoir la charge. Il n'allait pas l'arrêter, même s'il aurait sûrement pu... Ce n'était pas efficace. À la place, il prit 505 par les épaules et ne brisa pas son élan, au contraire. Il s'en servit contre lui, s'écartant tel le torero qui mettrait un coup de pied dans le fondement du taureau qui lui fonçait dessus.

— Laisse-moi tranquille, t'as déjà perdu papy ! Je veux pas te blesser moi !

Le coup de poing était déjà beaucoup pour 9, qui n'aimait pas spécialement découvrir cette facette violente de lui-même. Il soupçonnait qu'il n'y avait pas que des soirées en club dans ses souvenirs, et qu'il n'avait pas appris à se battre uniquement pour le fun. Si ce genre de souvenirs pouvaient restés enfouis, ce serait sympa, merci et des bisous.

Tout pris qu’il était dans son élan, 505 ne pu rien faire pour empêcher son adversaire de le manipuler gaiement, et se retrouva donc comme un… comme un con, il faut bien le dire.

A cette humiliation s’ajouta les paroles du jeune homme. Pas le blesser ? Pas le blesser, lui 505 ? Comme si cet ignoble bout de ficelle prématuré pouvait le blesser, lui, un adulte parfaitement formé ? Scandaleux. Il tenta un coup de poing mais, malheureusement, les bras de son adversaire étaient plus loin que les siens, et il ne put l’atteindre.

Vaguement refroidi, il fit un pas en arrière, comme pour arrêter le combat, et croisa les bras.

« Bon, je vois bien que tu sais que tu vas perdre, même si tu essaies de faire passer ta lâcheté pour de la bienveillance envers moi. Je ne vais pas continuer à attaquer un adolescent sans défense, et j’accepte donc ta défaite. » Il plissa les yeux. Ça ne pouvait pas suffire. Son honneur était en jeu, il devait montrer qui était le mâle alpha dans cette histoire. Il scanna l’homme du regard. Il n'avait pas l'air d'avoir grand chose sur lui. « Je te laisse tranquille si tu me donnes… ton t-shirt, et ta chambre pour la nuit, puisqu’on ne peut pas dormir chez soi. »

C'était un peu cuit pour le pauvre 505 qui, s'il s'entêtait, allait finir par avoir très mal. Et 9 avait beau ne pas beaucoup l'aimer, il était sincère en disant qu'il ne voulait pas le blesser. De plus, il ne restait plus beaucoup de temps avant que le couvre-feu ne tombe : tout ceci était un gros gâchis de minutes.

Le vieux se calma un peu, et reprit la parole. 9 ne cacha pas sa perplexité, mais ne chercha pas non plus à argumenter. Aussi improbable que cela puisse paraître, il se fichait de gagner ou de perdre, il se fichait même de la fierté de son adversaire du soir. Il voulait juste qu'on le laisse tranquille, et qu'il puisse rejoindre un logement avant d'être puni.

— Ah bah euh... ok.

Tant qu'il lui fichait enfin la paix ! Il pouvait se donner le beau rôle, faire comme s'il était le roi du monde, 9 en avait bien peu à faire. Bon, il tilta aussi pour le t-shirt (la chemise ?) et la chambre, et fronça les sourcils.

— Mais...

C'était stupide : il y avait plein de chemises pour tout le monde (et la sienne ne lui irait sûrement pas) et de toute façon, comme il le disait, il ne pouvait pas dormir dans sa chambre alors... Pourquoi la demander ? Vraiment, cet homme était compliqué. 9 se dépêcha cependant de retirer sa chemise.

— ...D'accord.

Il la donna ensuite à 505, en espérant qu'il s'en aille vite. Histoire qu'il puisse rejoindre un autre logement libre avant que ne sonne l'heure.

505 se retrouva avec une chemise sur les bras, questionnant un peu ses choix de vie. Qu’allait-il faire de ça ? Il en avait déjà suffisamment. La brûler, par mesquinerie ? Etait-ce seulement autorisé ? Il faudrait qu'il se renseigne. En lisant les règles avec attention. Cela lui évitera sans doute de nouvelles rencontres de ce type, qui pourrait faire croire à son entourage qu'il était un idiot.

Malgré tout, il ne pouvait cacher sa satisfaction à voir le grand benêt au milieu du couloir, à moitié dévêtu et l’air confus. Il était victorieux.

« Bien, tu as fait le bon choix. » Il se passa la main dans les cheveux d’un geste qu’il voulait classe et dominant. « Tu peux donc partir. J’espère que tu as retenu ta leçon, et que tu n’iras plus déranger tes ainés. »

Il se détourna de l’homme et se dirigea avec nonchalance vers ce qu’il espérait être la direction de son autre trophée : la chambre qu’il occuperait donc pour la nuit.