Abeilles de Schrödinger ft. H01-88

Abeilles de

Schrödinger

30/01

H01-88 et F01-023

023 se sentait un peu mieux ce jour-là. Suffisamment en tout cas pour sortir un peu et voir du monde, de loin le monde si possible. Le réfectoire aurait été trop bondé alors elle choisit plutôt d’aller la zone créative, un endroit où elle n’avait pas encore mis les pieds. En même temps, ça ne l’avait pas attiré : pas de fibre artistique instinctive en elle visiblement. En arrivant sur place, ce fut confirmé, elle n’avait aucune envie d’attraper de quoi peintre ou dessiner, elle aurait simplement eu l’impression de gâcher ce matériel.
Elle choisit donc de prendre une chaise et d’aller s’installer dans un coin. Autant être active elle-même ne l’intéressait pas, autant elle appréciait de regarder les autres s’appliquer et manipuler soigneusement pinceaux et couleurs. Elle trouvait exceptionnel qu’ils arrivent à réaliser de façon concrète ce qu’ils visualisaient. Elle n’en était clairement pas capable ou alors cela menait à des catastrophes comme le montrait l’expérience avec 003. Chaque jour depuis, elle se promettait intérieurement de ne plus faire d’expérience, plus jamais.

Elle avait encore du mal à parler de ce qui lui était arrivé tant elle en était à la fois traumatisée et honteuse. Heureusement que peu de personne l’avait vue à son retour. Cependant, elle gardait encore sur elle les marques des privations : sa peau asséchée montrait que la réhydratation totale prendrait du temps, ses yeux étaient toujours creusés et cernés et ses lèvres se remettaient visiblement de nombreuses gerçures. Elle était également amaigrie et son visage émacié ce qui était surprenant au vu du soin que la ruche prenait par rapport à leur alimentation.

Elle avait salué de la tête quelques personnes en arrivant mais ne chercha pas à entamer la conversation. Elle n’avait pas envie de devoir répondre à des questions, d’expliquer ce qui lui était arriver et malheureusement, les gens étaient très curieux. C’était normal bien sur mais douloureux pour elle car sa seule envie était de reprendre sa petite vie d’amnésique calme et docile comme elle l’était en arrivant. Au moins, elle ne souffrait pas.

A quel stade en était-elle pour souhaiter non pas de retourner chez elle ou de retrouver la mémoire mais bien plutôt de simplement retrouver les jours apaisés de sa présence dans la ruche ? Dire que cela faisait à peine une vingtaine de jours qu’elle était arrivée. Dans quel état serait-elle au bout de cinquante, cent, mille ?

Si seulement quelqu’un pouvait lui changer les idées... Un homme qu’elle n’avait encore jamais entra dans la pièce. Chose rare, il semblait avoir presque son âge, elle lui sourit, espérant par là inviter à la conversation. Cela ne devait pas donner grand-chose au vu de son physique de mourante.

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F01-023 & H01-88

Creativity has got to start with humanity and when you're a human being, you feel, you suffer. You're gay, you're sick, you're nervous or whatever. - Marilyn Monroe

La zone de détente a ma préférence depuis mon réveil quatre jours auparavant. Je suis bien près des livres, c’est quelque chose de fixe qui n’est pas surprenant. Je découvre chaque jour de nouvelles langues qui me sont compréhensibles. C’est intéressant. Erudit peut être ou professeur comme je le pense depuis plusieurs jours. Mais de quoi ? De langues ? Ca ne me dit rien. Mais il n’y a pas grand-chose qui me dit depuis que je suis ici de toute façon. Parfois j’ai l’impression qu’une personne ou une situation fait tilt à mon esprit et ma mémoire mais impossible de savoir pourquoi. C’est rageant. Même si je sors rarement de mes gonds cela reste frustrant et je me rends compte que c’est un sentiment que j’exècre particulièrement. Un indice encore mais tels les morceaux de pain du petit poucet ils s’égrènent sans que j’ai forcément le temps de comprendre à quoi ils peuvent bien faire référence.

A cette heure là il y a du monde près de la bibliothèque aussi je reste debout quelques instants avant de me décider à rebrousser chemin pour aller voir les autres zones. La zone sportive ne me tente clairement aucunement. J’y viendrais certainement pour entretenir un peu ma forme physique comme il n’y a pas grand-chose à faire dans la ruche mais pour le moment je préfère laisser cela de côté. De toute façon je suis plus posé que sportif. Je me dirige donc vers la zone de créations. Elle ne m’a pas attiré jusqu’à présent. Pourtant j’apprécie le sens du détail, j’aime voir les dessinateurs en train de travailler, les peintres mélanger savamment les couleurs avant de créer mais je ne me sens pas la fibre créatrice pour moi.

J’arrive près des deux tables, curieux. Je fais un signe de la tête aux personnes présentes comme ma taille me rend facilement remarquable. Je suis imposant mais pas impressionnant, en tout cas j’essaie de me rendre toujours plus aimable qu’inquiétant. Mon regard se pose sur toi. Tes signes de déshydratation et amaigrissement interpellent tout de suite mes souvenirs et mon esprit. Ton manque de sommeil aussi. Je n’ai pas encore vu de personnes en si mauvais état dans la ruche même si je me doute ne pas avoir vu tout le monde. Mais vu le soin qu’ils prennent avec notre santé et notre « bien être » -selon eux- je suis surpris de voir quelqu’un dans cet état.

Je m’approche de toi en répondant à ton sourire par un autre doux. Puisque tu ne sembles pas fermer à la conversation je m’installe à tes côtés, posant le livre que je lis en ce moment sur mes genoux. « Attendez-vous que votre œuvre sèche ou êtes-vous aussi peu doué pour le créatif que moi ? » Un petit amusement est audible dans ma voix, je ne parle pas forcément beaucoup si on ne m’y convie pas mais j’ai appris ici qu’ouvrir une conversation pouvait permettre de rencontrer des personnes intéressantes alors je fais un effort. Nous verrons si tu désires parler ou pas. « Vous devriez boire un peu plus, vous semblez bien déshydratée. Il faut boire un peu tout le temps, une eau un peu sucrée ou salée. Rien d’agréable mais ça permet de fixer l’eau… » Bien bien bien… Comment je sais ça moi ? J’en souris légèrement. « Ah excusez moi, il est étrange d’avoir ce genre de réflexes sans savoir d’où cela vient. Peut être étais-je docteur. » Qui sait ? Eux certainement… « Je suis, comme on nous appelle ainsi, H01-88. Enchanté. »

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Ca avait marché, l’homme s’approcha d’elle et entama la conversation. Il a l’air sympathique et a une voix agréable, ça a quelque chose de reposant, sa taille donne aussi une impression de sécurité. 023 sourit, embrasse la pièce de ses bras et répondit :

- Non, du tout, je crains de n’avoir aucun talent dans l’art. Je suis juste là pour regarder. Ca permet de m’occuper un peu, ce n’est pas comme si nous avions énormément de choses à faire dans cet enclos. Et vous ? Une volonté artistique particulière ?

Ce n’était pas de la fausse modestie, elle était vraiment mauvaise. De plus, elle avait encore de léger tremblement suite à son « expérience » et cela n’aurait probablement pas arrangé son cas. Autour d’eux, il y avait une agitation calme car chacun était actif mais concentré sur son œuvre et sur les résultats de celle-ci. De temps à autre, un coup de main ou un avis était demandé mais le lieu restait relaxant. Ca ne devait pas être le cas systématiquement…

Il fit une remarque sur son hydratation, surement due à apparence mais c’était intéressant qu’il ait pu le noter. 023 décida de ne pas donner de détail mais son inquiétude semblait sincère et non teintée de curiosité malsaine alors elle ne voulut pas couper court à la conversation. Avec espièglerie, elle dit :

- Peut-être que je manque de crème hydratante ? J’ai eu quelques petits problèmes au niveau de l’hydratation effectivement, rien de grave. J'ai ... oublié... de boire pendant un temps. Merci pour le conseil, je ne savais pas que le sel ou le sucre pouvait aider. J’essaierai de voir ce que je peux faire pour ça. Oui, vous étiez peut-être médecin ou en tout cas relié à la santé, ce serait très utile pour la ruche en tout cas, on n’est jamais vraiment à l’abri d’un petit incident…

En tout cas, c’était vachement plus utile que ce qu’elle apportait à la ruche, c’est-à-dire rien du tout. A ce niveau, sa mémoire commençait à confirmer son intuition et elle avait de plus en plus de mal à nier l’évidence. Un médecin ne serait pas du luxe, elle ne savait s’il y en avait déjà un mais en cas de blessures, elle avait appris qu’il n’y avait aucune structure ou soins disponibles.

- Je m’appelle F01-023, 023, c’est plus rapide. Ravie de vous connaître également. Je ne crois pas vous avoir déjà croisé, vous êtes enfermé ici depuis longtemps ? Comment ça se passe pour vous ? Vous le vivez… bien ? Enfin, autant qu’on puisse bien vivre le fait d’être séquestré avec des inconnus en étant amnésique.

Un psychologue ou un psychiatre serait bien utile aussi d’ailleurs tant qu’on y était…

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Je souris à ta réponse. Le terme d’enclos me parait assez approprié en effet. Que nous soyons les moutons ou bien les loups, nous sommes bel et bien parqués comme des animaux. « Absolument pas. J’apprécie beaucoup regarder nos artistes créer, les couleurs se mélanger mais je me sens bien incapable de le faire moi-même. Je trouve juste cela apaisant de les voir faire. » En tout cas je serais bien incapable de faire ce qu’ils font. Je sens pourtant que la création ne m’est pas si étrangère mais pas ainsi. Je ne saurais dire ce qu’elle représente pour moi, je sais juste que ce n’est pas mélanger les couleurs ou bien dessiner qui me plait. La musique ? Je ne pense pas non plus mais nous avons peu l’occasion de pouvoir découvrir cela pour le moment. Je me demande si des choses vont évoluer d’ailleurs. Aurons-nous des nouveautés pour nous occuper ? Je l’espère car avec aussi peu d’espace et d’occupations, les tensions risquent de vite apparaître.

Ton teint me donne à penser que tu es déshydratée et certainement anémiée aussi. C’est étrange vu comment nos plats semblent être préparés exprès selon nos besoins. Et sans y réfléchir je te donne quelques conseils, comme si je savais comment faire pour que tu ailles mieux, comme si cette peau abîmée m’était douloureuse pour toi. Elle masque ta beauté et je trouve cela dommage. Des conseils se formulent sans que je n’ai le temps de m’en rendre compte et je m’en amuse, m’excusant tout de même de cette intervention qui peut paraître un peu intrusive. « Je ne pense pas que vous en ayez besoin » De crème hydratante et je te fais un petit sourire malicieux avant de te laisser m’expliquer ton souci. « Je comprends. Il n’est pas facile de vivre ici. » Je mets cet oubli sur le fait qu’il n’est pas facile de se faire à une vie dans cette ruche, ce bunker, qui ne nous permet pas de savoir ce que nous sommes et où nous sommes. Les repaires temporels sont compliqués à avoir aussi. « Boire des jus de fruits peut être ? Nous le pouvons à toute heure je pense » Enfin si je ne me trompe pas.

« Un médecin sans matériel c’est compliqué hélas. Je vais vite me sentir impuissant. » Et c’est un sentiment que je doute apprécier particulièrement. Déjà que les choses qui échappent à mon contrôle semblent me rendre un brin nerveux. « Vous avez raison, appelez moi juste 88 » C’est moins long même si ça reste impersonnel. « J’ai entendu certaines personnes ici se donner des surnoms mais pour le moment je ne vois pas comment choisir » Sans souvenir et sans « amis » pour vous donner un petit nom je trouve cela difficile de trouver un surnom. « Non je suis là depuis trois jours. Et vous ? » C’est étrange. Trois jours et pourtant les journées se ressemblent tellement que j’ai du mal à m’y repérer parfois. Heureusement que nous avons nos montres et que je tiens un journal. « Cela se passe bien. C’est étrange à dire mais même si la situation est totalement étrange, le déroulement de mon existence se passe bien. Je suis pour le moment à la recherche de mes capacités et cela occupe mon esprit. » Espérons que cela dure encore un peu. « Et vous ? Vous trouvez à vous occuper ? »

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Elle aimait aussi les voir s’affairer mais pas tellement par amour de l’art, plutôt parce que cela avait un côté rassurant de les voir s’agiter comme des petites fourmis devant elle. Le fait qu’ils se concentrent et mettent tant d’énergie dans une chose aussi superflue que l’art alors qu’ils étaient tous dans une situation critique – elle avait pu en faire l’expérience – et qu’ils ne savaient ni qui ils n’étaient ni où ils se trouvaient lui semblait particulièrement rafraichissant. Être là, devant eux, lui faisait oublier qu’ils dansaient dans ce qui était probablement le délire d’une taré.

Concernant la crème hydratante, ils s’étaient compris : elle ne voulait pas en parler et le sujet ne serait pas abordé en profondeur. Elle notait cependant très sérieusement les conseils qui pouvaient lui être utiles. Elle n’avait pas non plus pensé aux jus de fruit et ça apporterait de la variété en plus du sucre recommandé.

- Oui, je pense que nous pouvons. Il faudrait que j’aille voir où je peux me procurer ça, surement à la salle à manger. Concernant le matériel, c’est un vrai problème. Je me dis régulièrement que si quelqu’un se blesse sérieusement ou tombe malade, ce sera une catastrophe pour lui… Une femme enceinte pourrait aussi être un problème, je suis bien contente de ne plus être concernée.

Il pouvait aussi y avoir un dispositif du contrôle des naissances implantés dans chacun ou dans la nourriture sans qu’ils s’en rendent compte. Cependant, au vu de la catastrophe récente et de sa propre punition, 023 tendait à penser qu’ils devaient aimer les situations dramatiques et quoi de mieux qu’une césarienne à vif pour mettre un peu d’ambiance ?

- Enchantée 023. Moi aussi, j’ai entendu cela mais rien ne me vient naturellement. J’espère me souvenir vite de mon prénom, je n’apprécie pas vraiment être un numéro.

Si les autres pouvaient se souvenir rapidement aussi, ce serait particulièrement pratique. On ne pouvait pas dire que c’était pratique à retenir. 023 se mit à faire le compte…

- Je suis là depuis… 24 jours. Une éternité. Le temps passe terriblement lentement ici. Tout l’enjeu est justement de trouver de quoi s’occuper. Dans un premier temps, il s’agit évidemment de ne pas s’ennuyer mais surtout, il s’agit de ne pas avoir le temps de réfléchir.

A ce niveau, elle désespérait d’ailleurs. Son état ne lui permettait pas de gigoter dans tous les sens, elle était encore trop à cran mais elle désespérait de son inutilité et de son inaction.

- Parfois, j’ai l’impression que beaucoup d’entre nous prennent cette situation par-dessus la jambe, comme si c’était un jeu, que ce n’était pas grave. J’ai l’impression qu’ils ne se rendent pas compte de la situation. C’est peut-être l’absence de mémoire, leur âge ou alors ils ont l’instinct de survie d’une assiette jetable en carton ? Qu’en pensez-vous ? Vous croyez que nous allons tous mourir ou que nous sortirons ici joyeux et prêts à écrire de nombreux livres pour exploiter notre « aventure » ?

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Je ne sais pas encore ce qui est possible ou pas dans cet endroit comme je suis arrivé il y a peu mais si je peux te conseiller, je le ferais avec plaisir. Après j’accepte que tu n’aies pas envie d’en parler, chacun ses secrets. Je me contente d’observer les créatifs devant moi en te découvrant, discutant de tout et de rien mais finalement toujours des mêmes choses : les souvenirs, ce qu’on pense de cet endroit, ce qu’on espère, ce qu’on redoute. Les sujets qui reviennent toujours vu la situation que nous vivons. Je ne suis pas là depuis longtemps, j’ai encore beaucoup à découvrir et je ne m’ennuie pas. Cette situation était étrange mais pas forcément effrayante pour moi. Peut être que cela viendra. Difficile de savoir. En tout cas je regrette qu’il n’y ait pas de quoi soigner les gens car cela va devenir problématique. Il y aura forcément des blessures, les esprits vont commencer à s’échauffer et nous sommes loin de savoir ce que nous allons subir les prochains jours. « Je le pense aussi » Peut être que les choses changeront… Peut être que nous devrons faire avec les moyens du bord. Clairement ce n’est pas ce que je préfère mais ce n’est pas comme si on nous donnait le choix.

Je peux comprendre que tu n’apprécies pas d’être un numéro. C’est très étrange en effet. Pour le moment rien ne me vient donc 88 c’est bien. C’est toujours mieux que de ne rien avoir du tout après tout. Ça fait machine. Est-ce ce que nous sommes ? Je t’observe calculer. 24 jours… c’est énorme. Pour l’instant j’ai de quoi faire mais d’ici vingt jours, que se passera t’il ? Est-ce que j’arriverais à m’occuper assez pour ne pas m’ennuyer ? Un événement aura-t-il lieu ? « Il ne s’est rien passé depuis tout ce temps ? » M’étant réveillé depuis peu je suis au courant de rien. J’ai entendu une histoire de tremblement mais vaguement et j’ai surtout pris du temps pour comprendre le fonctionnement de l’endroit je dois bien avouer. « Réfléchir est important. Je pense que je vais commencer à noircir des pages et des pages avec mes idées. » Cela ne me fera peut être pas avancer dans ma recherche sur moi mais peut être que cela m’aidera tout de même a canaliser un peu tout ce que je peux penser.

J’observe ceux qui passent à côté de nous, ceux qui créent. Certains ont l’air inquiet, d’autres observent et d’autres rigolent, simplement, comme si tout était normal. Avec douceur et calme je commence à te répondre… « Je pense que nous avons tous notre façon d’appréhender ce qui se passe. Pour certains c’est l’observation, d’autre la réflexion. Certains ont besoin d’agir pour comprendre et d’autres préfèrent détendre l’atmosphère pour aider. » Nous avons tous notre façon d’agir après tout. « Je ne dis pas que certains n’agissent pas comme des enfants mais je pense que nous sommes tous assez différents pour avoir notre façon de réagir face à une situation. Et ceux qui agissent comme si de rien n’était aident peut être ceux qui ont besoin de penser à autre chose. » Non ? Je te souris légèrement. « Et certains ont peut être envie d’avoir une seconde chance. Après tout, c’est peut être aussi ce qu’on nous offre. »

On ne sait rien à cette situation après tout. « Qui vous dit qu’on ne nous a pas mis ici pour protéger le monde extérieur ? Ou que nous n’avons pas choisi de venir ici ? » Nous nous souvenons de rien. « Je ne saurais pas répondre à votre question tant que je ne saurais pas ce que je suis. » Même si cette situation est délirante, je continue de penser que, sans mémoire, il n’est pas possible de savoir la raison pour laquelle nous sommes ainsi. Bonne ou mauvaise ? Car cela fait penser à une prison mais voulue ou non ? Je n’ai pas envie d’en vouloir à une entité que je ne connais pas mais je n’ai clairement pas le même passif que toi dans cet endroit. « Après je suis éveillé depuis peu j’ai moins « d’expérience » que vous sur ce qui se passe. Dites moi ce que vous pensez de tout ça, avec le recul de 21 jours de plus » J’en suis curieux.

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Il était d’accord avec elle concernant le matériel, évidemment. Tout le monde l’était forcément, tout le monde avait dû envisager le cas de figure et espérer ne jamais être blessé par ici. Même le meilleur des médecins ne pouvait rien faire contre une situation grave s’il n’avait pas un minimum de matériel sur lequel s’appuyer.

C’était-il passé quelque chose ? Oui et non, à la fois beaucoup de choses et rien du tout. Dans un endroit confiné comme celui-là, le moindre bouleversement prenait une ampleur énorme pour la personne qui le vivait. Elle en particulier avait vécu quelque chose mais elle aurait préféré que rien ne se passe et qu’elle continue à s’ennuyer. 013 lui avait également rapporté un évènement et cela confirmait l’idée que si quelque chose se passait, cela ne voulait rien dire de positif pour eux.

- Si, il y a eu une sorte de tremblement de terre m’a-t-on dit. Dans le réfectoire, l’une des machines qui distribue le repas est cassée, cela vient de cet événement. Il y a eu des blessés mais je n’étais pas présente, je n’y ai donc pas assisté et je n’en connais pas l’origine.

Forcément, elle avait été punie. Elle avait du mal à se demander lequel des deux elle aurait préféré. Une infection répugnante, un membre cassé ou être affamée et déshydratée pendant de nombreux jours ? Autant choisir entre la peste et le choléra.

- Cela a quelque chose d’amusant finalement. Depuis le début, nous sommes nombreux à attendre que des choses se passent, que la situation évolue mais quand c’est le cas, nous le regrettons.

Elle aussi avait pensé à écrire pour s’occuper au début. Elle avait un peu laissé tomber l’idée par frustration, par refus de son domaine d’expertise au départ et ensuite, simplement parce qu’elle n’en avait plus la force. Elle devrait certainement s’y remettre. Cela pourrait même lui être bénéfique. Elle réfléchit à ce que disait 88 et pensa à 013. La jeune femme n’agissait clairement pas comme une enfant mais elle avait une certaine joie qui émanait d’elle et clairement, 023 y trouvait du réconfort. 88 avait donc probablement raison.

- Oui, après tout, ils sont probablement plus heureux que moi et ce sont donc eux qui sont intelligents dans toute cette histoire.

Elle-même était aigrie et qui n’acceptait pas de voir les autres heureux alors qu’elle-même se sentait si mal. Cela lui fit mal, c’était stupide et égoïste. D’une certaine façon, elle détestait cet homme de lui faire ressentir cela mais d’une autre, elle se sentait libérée d’un poids : si elle ne les méprisait pas, elle pouvait se lier aux autres. Après une ou deux minutes de silence, elle préféra bifurquer sur la perche lancée par 88, elle aurait tout le loisir de réfléchir à sa propre insignifiance une autre fois :

- Je n’avais pas vraiment envisagé la possibilité de la seconde chance. Cet endroit pourrait donc être une sorte de prison ou de purgatoire ? Cela lui donne d’un coup un tout autre sens si on estime que l’on mérite notre sort. Par contre, depuis ces 21 jours, j’ai déjà pensé qu’on pouvait effectivement être là par choix. Je ne sais pas pour vous mais je m’imagine très bien signer pour une expérience de ce genre. La ruche est une merveille pour la recherche avec des possibilités infinies qui pourraient apporter des éclairages dans tellement de domaine : anthropologie, sociologie, psychologie, philosophie, …

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J’hoche la tête à ce que tu m’expliques. Un tremblement ? Alors il y a quand même des choses qui se passent ici sans que ce soit voulu. Quoique. Est-ce véritablement quelque chose qui leur a échappé ? Difficile à dire avec l’expérience que j’ai, je me suis éveillé il y a peu après tout. Je découvre juste que j’ai tendance à réfléchir de façon très posée et cela me permet de rester calme quand je réfléchis aux différentes façons de réagir face à ce qui est en train de se passer. Je ne juge pas. Je ne dis pas que je ne le ferais jamais -même si ça ne semble pas trop être dans ma façon d’être- mais je comprends que les gens ne réagissent pas de façon identique face à ce qui est en train de se passer. Après je ne suis pas là depuis longtemps contrairement à toi alors peut être quand dans une vingtaine de jours je penserais totalement autrement. A suivre…

« Peut être parce que les gens attendent surtout que quelque chose se passe pour pouvoir sortir de cet endroit. Mais toute nouveauté est quand même à prendre en compte ». Je ne me rends pas compte de ce que peut nous apprendre ce tremblement mais soit, je le marquerais. Toujours intéressant de noter les choses « importantes » qui semblent se passer dans la ruche. Un petit sourire apparaît sur mes traits quand tu remarques que les autres sont peut être plus heureux que nous. « Ceux qui se posent moins de questions sont toujours plus heureux que les autres. Mais heureusement que les autres sont là pour faire avancer les choses et faire qu’il y ait de nouveau de quoi sourire. » Chacun à sa pierre à apporter à l’édifice après tout. Peut être pas forcément grand-chose mais c’est ainsi et j’observe de nouveau les artistes, intéressé, me demandant bien ce qu’ils peuvent être. Artiste vraiment ou juste un artiste qui s’est ignoré toute sa vie et qui réalise désormais sa passion, loin du regard des autres ?

Je note que tu changes l’angle de la conversation mais te laisses faire, écoutant avec intérêt ce que tu penses de tout ça. Tout a fait, tout change quand on se dit qu’on mérite peut être d’être ici ou bien qu’on a accepté de venir pour une expérience quelconque. Et on se rend compte que finalement y’a peut être une raison à tout ça. Je ne dis pas ça pour arrêter de chercher des solutions pour sortir mais je suis surtout curieux de comprendre avant d’agir à tout va. Peut être qu’il y a une bonne raison à notre enfermement. « Vous avez raison. » La ruche est un fantastique fourmillement de personnes et cela permet de voir comment les gens se comportent quand ils sont confinés dans un endroit sans leur donner les réponses à leur présence. Voir si on s’entraide, si on reste individualiste. Cela va être très intéressant à étudier, même pour nous. « Ce qui voudrait dire que nous allons avoir des événements pour tester notre cohésion et notre comportement. Ils peuvent aussi choisir de nous laisser nous ennuyer mais je pense qu’il y a plus intéressant à tester avant. » En tout cas c’est ce que je ferais.

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Effectivement, il faut des gens pour que cela bouge, elle était bien placée pour le savoir puisqu’elle avait résolu un mystère de la Ruche. Bon, concrètement, cela ne l’avait pas amenée à grand-chose mis à part un autre mystère et… peut-être la disparition de NB-042. Était-ce à cause de cet évènement qu’elle avait disparu ? 023 n’en avait aucune idée mais elle ne pouvait se sortir cette idée de la tête et c’est ce qui l’avait gardée aussi longtemps éloignée des mystères après la résolution du premier… Peut-être faisaient-ils avancer les choses ou peut-être les faisaient-ils empirer ? Au moins, ils faisaient quelque chose et elle ne pourrait pas vraiment s’en empêcher indéfiniment… En voudrait-elle à quelqu’un qui résolvait un mystère ou réalisait quelque chose qui provoquait un bouleversement négatif dans la ruche ? Elle pensait que non mais il était difficile de savoir quelle serait sa véritable réaction dans ce genre de situation…

- Oui, l’ennui est facile à tester dans d’autres circonstances et pour le tester à fond, autant ne pas mettre de livres, matériels de sport ou salles d’art. Je nous aurais aussi forcé à l’isolement. Seul dans une pièce blanche avec notre porte qui s’ouvre à heure fixe pour recevoir un repas.

Ce n’était même pas difficile à mettre en place : quelques salles et des volontaires suffisaient. Concrètement, les autorisations seraient probablement le plus fastidieux à obtenir pour ce type d’expérience. Ce n’était définitivement pas cela qu’il testait ici mais les possibilités étaient si nombreuses…

En tout cas, c’était intéressant d’avoir ce type de conversation, cet homme était de façon évidente une personne cultivée et discuter des possibilités de cet endroit d’un point de vue purement académique lui donnait une impression de sureté, comme si elle n’en faisait plus partie, qu’elle la regardait de loin et qu’elle n’en était pas actrice. Au pire, elle pouvait se dire que ce qui lui arrivait était pour la science et c’était déjà un élément agréable.

- Il y a probablement une expérience sur la mémoire dans un premier temps. J’ai pu constater qu’elle revenait chez certains d’entre nous. Ce n’est donc pas un manque définitif et soit, ils expérimentent la technique en elle-même soit notre confrontation avec notre passé et notre évolution dans un environnement neutre. Ca aurait été intéressant de faire ça avec des enfants, afin de voir l’impact de la société et de l’inné par rapport à l’évolution de l’enfant.

Bien entendu, pour ça, ils n’auraient jamais pu avoir les autorisations. D’un point de vue purement scientifiques, c’était intéressant, d’un point de vue éthique, ce n’était pas acceptable vu que les candidats ne pouvaient être estimés responsables et capables de prendre la décision de participer de façon volontaire à une telle expérience. Pire, il faudrait les prendre presque au berceau et cela ne leur laissait donc même pas de choix. Elle fit un sourire ironique :

- Oui… et puis, soyons réaliste, la recherche n’a pas assez de fond pour s’offrir des bambins issus du marché noir.

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« Il est intéressant de nous mettre ensemble. L’être humain ne réagit jamais de la même façon en groupe ou seul » Enfin c’est ce qui me vient en premier en tête. Je doute qu’une expérience avec chaque personne dans une case blanche soit vraiment intéressante à part voir comment se passe la réaction des gens face à l’ennui et la gestion du temps. Quand nous sommes tous ensemble cela permet bien plus de données mais bien entendu il y a le souci de s’en prendre les uns aux autres au bout d’un moment, raison pour laquelle il y a certainement cette règle. En fait il y a tellement de supposition qu’il est difficile de savoir dès aujourd’hui les tenants et les aboutissants de cette histoire. Si toi tu te poses autant de questions je ne vais pas trouver des réponses si facilement.

J’hoche doucement la tête. « Oui je pense que les instincts restent. Peut-être la mémoire des gestes aussi. Comme ma réflexion vis-à-vis de votre teint tout a l’heure » Je ne saurais expliquer exactement ce que j’ai pensé face à ça mais ça a été instinctif. Comme savoir ce qu’il fallait faire. C’est étrange mais cela reste clairement au fond de nous, quoiqu’on fasse. Notre corps peut nous faire deviner ce que nous sommes, nos réactions aussi. Il ne manque que les souvenirs pour se rappeler de ce qu’est réellement notre personnalité car sommes nous exactement ce que notre vécu à faire de nous ? Ou avons-nous quand même déjà, au fond de nous, des prédispositions à agir ainsi. C’est un tellement bon sujet d’étude mais cela me dépasse. Tu as l’air bien plus calé que moi sur le sujet.

« Des adultes sont plus faciles à obtenir en effet même si, quoiqu’il arrive, nous aurons tendance à nous rebeller pour la plupart. » Des enfants sont plus manipulables que des adultes je pense. On peut plus facilement les modeler alors qu’un homme de mon âge aura déjà passé la moitié de son existence à vivre selon ses principes donc il sera difficile de lui faire quitter ses habitudes. « Beaucoup de questions très intéressantes. » Je vais me noter tout ça dans un coin de mon carnet pour pouvoir y repenser à tête reposée. Peut être que je pourrais trouver aussi des ouvrages qui parlent de cela dans la bibliothèque. Rien que le fait de voir s’il y en a est intéressant à vrai dire. Cela fera partie de mes prochaines recherches.

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Dans les faits, les deux pouvaient avoir de l’intérêt et ne répondaient pas aux mêmes questions. Les enfants permettaient de voir la différence entre l’inné et l’acquis de la société par rapport à leurs actions tandis que sur des adultes, on pouvait voir ce que donnait une remise à zéro par rapport à leurs valeurs et leurs principes. Tout cela était effectivement très intéressant mais difficile à expliquer, difficile de trouver une véritable réponse à la question de leur raison d’être ici. C’était probablement leur plus gros problème. Peut importe ce qu’on leur faisait vivre, si cela avait un sens. A ce stade, rien n’avait de sens et il n’était pas forcément évident de trouver un sens à sa vie dans un environnement aussi confiné.

- La mémoire des gestes, les réflexes, c’est ce qui nous donnera probablement le plus de réponses par rapport à nous même. Les souvenirs peuvent revenir mais il n’est pas forcément facile de faire la différence entre le rêve, le souvenir et le fantasme.

Quand on est au stade où on espère tellement se souvenir de quelque chose sur nous-même, il ne serait pas étonnant de finir par s’inventer des images qui correspondent à ce qu’on a envie juste pour être rassuré. S’inventer un ancien soi pour donner du sens au nouveau… Est-ce que ce soi inventé est moins réel que le soi oublié ? La question pouvait être posée et méritait réflexion. Elle se posait trop de question, celles-ci étaient beaucoup trop un réflexe pour elle pour que ce soit normal. Elle ne pouvait plus nier ses réflexes.

Elle ferma les yeux et se vit sur une estrade haute de quelques dizaines de centimètres, devant elle : un pupitre et quelques dizaines de jeunes gens, certains l’air intéressés, d’autres endormis, d’autres perdus sur leur téléphone. Derrière elle, un tableau noir où peu de choses sont notées, à peine quelques mots clés : la craie est une infection, elle l’évite au maximum.

Elle rouvre les yeux, elle voit flou et a des points noirs devant les yeux. Elle se tourne vers l’homme à côté d’elle. Elle a la tête qui tourne et a besoin d’aller s’allonger un peu, elle va devoir le laisser. Elle attend que le vertige passe et se relève :

- Merci beaucoup en tout cas, pour la discussion et pour les conseils, cela me sera sans aucun doute très utile. Cette conversation a été très instructive.

Elle chancela un peu en quittant la pièce mais au moins, elle en sortait avec une certitude : elle était professeur de philosophie. S’était-elle construit sa certitude ? Peut-être ? Est-ce que cela avait vraiment de l’importance ? Peut-être pas.

Sujet: Re: Abeilles de Schrödinger ft. H01-88

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