Supermassive Black Hole

La chambre redevient calme. Je ne dis rien. J’entends sa respiration chahutée. Il halète. On dirait un animal, qui a soif, ou qui a peur. J’attends un nouveau cri de panique. Ça ne va pas tarder. J’ai remarqué qu’il y a une sorte de tempo. Ça m’est apparu tout à l’heure. Entre deux de ses crises j’ai compris quelque-chose. Tout à un rythme, dans le corps humain, même l’angoisse.

J’attends encore un peu, au cas où. J’entends le bruissement des draps. Je me demande si les autres ont entendu aussi ? Ou bien si c’est comme dans la “salle trop grande”. Je me fais la réflexion seulement maintenant, que non, je n’ai jamais entendu le voisinage de la zone 5. On est tous isolés les uns des autres. Tout à coup, je me retrouve aveuglée. Aie. La lumière électrique est violente. Je referme les yeux en vitesse. Donc on est bien le matin… déjà.

Je sens que cette journée va être très longue. Je repousse la couverture. La température est équilibrée dans l’appartement. Mais je frissonne un peu. Je sais que c’est parce que je suis fatiguée de ne pas avoir dormi. C’est comme ça de toute façon. Je sens que de toute façon, je suis habituée à jouer avec mon sommeil. Je crois que j’ai eu l’habitude de raboter les nuits.

Punaise ! Je sursaute ! 211 hurle comme un homme damné. Je sens mon cœur qui carbure à 300 à l’heure. Il m’a fait peur! C’est un nouveau cauchemar. J’hésite. Mais je trouve ça dur pour lui. Je ne le connais pas. Il ne me connaît pas. Mais peut-être que si il entend une voix humaine ça peut l’aider à sortir de cet état. Je n’en sais rien.

_“Hé...” Je n’ai pas envie de l’appeler 211. C’est tellement impersonnel. Je ne crois pas que ça aidera dans ce contexte en plus. Je pose ma main sur son bras. Je caresse lentement ce bars. L’image de moi-même entrain de faire ça sur un autre bras me frappe. … Est-ce que c’est un souvenir ?! Bon, je verrais cela plus tard. “Ça va aller… Tu n’es pas tout seul. Houhou… Hé… Réveilles-toi….” Je ne sais pas ce que je peux lui dire d’autre. Je me sens soupirer. On est tellement inutile quand on ne sait rien.

Le pauvre… Il a l’air tétanisé. Je vois sa glotte bouger. Il ressemble à un animal totalement paralysé par la lumière… La lumière qui est quand même super agressive je trouve.

_“Prends ton temps. C’est rien. ” Le tutoiement m’est venu sans que je cherche. Dans un moment comme ça je pense qu’on peut avoir envie de complicité. Même si elle est un peu factice. Mais tout de même on dort dans la même pièce. C’est d’ailleurs que maintenant que je me rend compte qu’il ne porte rien sur lui. C’est un peu gênant. J’essaye de ne pas le lui montrer. Histoire de ne pas en ajouter sur son dos. Ce n’est pas si grave. On est tous fait pareils.

Une vois dans mon dos me fait me retourner de quart. Un homme que je connais seulement de vue dans les couloirs. Je suis incapable de le nommer. J’ouvre la bouche pour lui répondre. Mais 211 me devance. Alors, je le regarde parler.

_“Ce n’est pas grave. Ne t’en fais pas pour ça.” Je lance un regard vers notre visiteur. Je secoue doucement la tête en signe de compassion. “Un cauchemar. … Il a un sommeil agité depuis qu’il est arrivé. ” Je sens un mouvement, pudique, j’aide à ce qu’on lui recouvre le corps. Je comprends que ce soit important pour lui. Il doit déjà se sentir tellement vulnérable. Je lui adresse un sourire pour être rassurante. Il n’y a pas de danger là. On est entre nous. Je parle alors un peu plus fort pour que tous les deux puissent m'entendre. Je voudrais que notre voisin soutienne mon discours. Que ça lui donne plus de poids. “On est tous perdu quand on arrive ici. On sait ce que c’est. Il faut le temps d'acclimatation. ” Je me redresse lentement. Je vais voir si j’ai une bouteille d’eau dans la salle pour lui. Après un truc comme ça boit ça fait du bien. Je le sais d’expérience.

_“Est-ce que t’as envie de parler de ton mauvais rêve ?” Ca dépend un peu des gens ça. A lui de voir si ça peut l’aider ou non. Je lance un regard vers le curieux pour l’inviter à carrément venir ici avec nous. Maintenant qu’il est là autant qu’il s’installe une minute. On a tout intérêt à faire connaissance les uns avec les autres. C’est comme ça aussi que l’on est plus fort face à ce qui se passe.

J’hoche du chef pour montrer à 211 que je suis d’accord avec les propos de notre visiteur. Bien sûre ce n’est qu’une idée, une proposition. Qu’il sente que l’on est solidaire avec lui. Parce que je sais à quel point ça peut devenir important dans un moment d’angoisse. Je comprendrais très bien qu’il préfère qu’on le laisse tranquille dans son coin. Rien n’est obligatoire entre nous. Pour une fois que ce n’est pas inscrit dans le règlement...

_“Oui c’est comme toi tu le sens. ” Je regarde 0242 se poser sur le lit sans rien dire. De premier abord il dégage quelque-chose de sympathique. En tous cas il a un comportement et des paroles apaisantes. C’est exactement ce qu’il faut pour aider quelqu’un à retrouver son calme. Alors, bien qu ce ne soit pas exactement ma vérité, je vais dans son sens. “ J’allais me réveiller aussi de toute façon. ” Je leur souris en essayant d’être la plus convaincante possible. Mon coeur est plus calme. Maintenant que la sueur froide est passée ça va beaucoup mieux. “Comme ça, on croise enfin un de nos voisin de chambre. ” Dans le doute, je cherche également une bouteille d’eau pour notre visiteur encore anonyme. Je la lui tend poliment. Pendant une petite seconde mon regard est attiré sur son torse. Je relève tout de suite les yeux. Ce n’était absolument pas volontaire ça.

_“Ah… d’accord. C’est pas grave. ” Même si ça doit être perturbant. Il n’y a pas de doute pour ça. Mais autant ne pas accentuer la perturbation. On a assez à gérer avec soi-même ici. “L’esprit sait ce qu’il fait comme on dit.” Oui ça sonne en “lieu commun”. Je sais bien. Mais je l’ai lu dans un des documentaires de la bibliothèque. Je suis plutôt d’accord avec ça. Je crois que le corps est une machine bien faite de base.

_“On essaye. ” Je ne sais pas qui je suis moi non plus. J’ai un peu de scrupules à dire que je suis “une bonne personne”. Tout ce dont je suis certaine, c’est que depuis que je suis dans cet endroit, je fais de mon mieux pour être une alliée des autres. Je ne suis pas sûre d’être douée pour ça. Mais l’intention est là. “ Autant être unis devant l'inconnu, pas vrai! ”

Pour ce qui est de son hygiène corporelle je me sens beaucoup plus démunie ceci dit. Et pour cause. Je fais en sorte de ne pas regarder trop intensément son anatomie depuis tout à l’heure.

_“ Ca peut te faire du bien oui. Sinon tu vas attraper froid. … Je t’aurais bien proposé de l’aide… Mais je crois que ça serait plus gênant qu’autre chose… Peut-être que toi tu peux ? ” Je fixe notre camarade de couloir, pour voir si cette possibilité le dérange. Je ne sais pas si c’est quelqu’un de pudique ou non. Ce n’est pas évident de se retrouver devant la nudité. “Mais je peux t’attendre. Comme ça on va ensemble prendre le petit-déjeuner ? Je te montre comment ça marche. La nourriture c’est la base surtout pour garder des forces. … Qu’est-ce que tu en penses ? ” Peut-être qu’il voudra rester ici. Mais je pense que c’est mieux d’occuper sa tête à faire autre chose.

Je me sens un peu moins hésitante, en voyant que 42 à l’air d’abonder dans mon sens, encore une fois. Si on est deux à voir les choses à peu près pareil c’est plutôt encourageant. Alors je renforce la proposition d’un sourire que j’espère avenant. Je lance ensuite un regard vers 42 et je lui rend un sourire spontané. Il a l’air sympathique.

_“La nourriture c’est le meilleur des remontants oui. Ca nous fera du bien à tous. ” En plus partager un repas ça nous aidera à échanger dans un environnement moins anxiogène. Ca pourrait faciliter une discussion. Peut-être même aidé un peu 211 à se sentir plus en sécurité. Enfin c’est ce que je lui souhaite. “Oh d’accord. … Mais tu es sûres? ” Je le fixe. Mais je détourne le regard pour ne pas renforcer son malaise. Je vois bien qu’il est empêtré. Je croise le regard de 42 et je lui adresse un sourire un peu gêné.

_“Si ça ne t’ennui pas je préfère quand même attendre qu’il sorte avant de descendre. On ne sait jamais. ” Je regarde la porte close. On entend maintenant l’eau qui coule. Je ne sais pas mais je me méfie. J’ai comme un pressentiment. Je vois qu’il a des signes corporels de dépendance. Je ne sais pas comment je peux savoir ça. Mais je sais qu’il doit être sous addiction. Ce qui va forcément être infernal à gérer pour lui ici. On fera au mieux. “Merci d’être venu voir. ” Je profite que 211 soit sous la douche pour retaper un peu son lit. C’est un détail mais ça compte.

Je retourne vers ma zone. Je cherche la brosse pour mettre de l’ordre dans mes cheveux et faire une queue de cheval. Voilà, déjà, quand j’ai les cheveux en ordre ça va déjà un peu mieux. Je regarde 42. Je ne sais pas qu’il est. Mais, je me dis qu’on peut s’entraider. Parce que ne soyons pas naïf. Une crise d’angoisse comme celle qu’on vient de voir ça ne se règle pas en une matinée.

_“ Je peux t’appeler… si ça recommence ? On ne sera pas trop de deux, je crois. ” Je retape mon lit rapidement. Je cherche l’habit réglementaire pour le passer par dessus ma tenue. Je reviendrais me doucher plus tard dans la matinée ce n’est pas grave. Le temps passe. Les minutes deviennent longues. Je regarde l’heure. Le service du petit déjeuner va finir par fermer. 42 n’est pas le seul à avoir faim. “... Il nous retrouvera... ” Je vais toquer à la porte de la salle de bain pour le prévenir qu’on y va vraiment. Je ne suis pas super tranquille. J’espère que ça ira...

Une fois en bas dans la zone réfectoire, je me met dans la fil avec 42. La majeure partie des gens sont passés. C’est l’avantage d’être arrivés à la faim. Je prend la plus grosse portion possible pour ce repas. J’attrape mon plateau avant d’aller vers une table qui vient tout juste de se libérer.

_“Comment ça se passe pour toi ? ” Ca a commencé sur les chapeaux de roues. Ceci dit, je suis curieuse d'en savoir un peu plus sur lui également. La discussion de base quand on commence à faire connaissance entre cohabitants ou bien codétenus. Tout dépend de comment on veut voir les choses. Je ne suis pas encore fixée sur ça. Je crois que ça dépend des jours. Mais, ce qui est certain, c’est qu’il y a des zones d’ombres ici. Il y a des mystères. Je veux savoir ce que c’est. Je finirais pas trouver.

Je vois 211 qui arrive finalement dans notre direction. Il a l’air un peu moins ahuri. Ce n’est pas la forme olympique. Mais, il n’a plus la couleur d’un cadavre. Un bon repas et ça devrait aller mieux. Je me décale tout de suite pour qu’il ait une place avec nous. Je le soutien d’un sourire amical qui évacue ses nouvelles excuses.

_“T’as l’air un peu mieux. Viens. Installes-toi. ” J’oblique vers 42 pour partager un soulagement muet. Puis, j’essaye d’être la plus naturelle possible. Je ne veux pas faire sentir une inquiétude. “On pourrait aller faire un tour après ? Comme ça on te montrer deux trois endroits à repérer. ”

L’odeur de la nourriture redouble ma faim. Je suis contente d’être posée devant le repas du matin.

_“Peut-être que je suis surprotectrice ? Je lui demanderais. ” Je ne sais pas si j’en fais trop ou pas assez pour la sécurité de 211. Je ressent une sorte de responsabilité à son égard. Un élan protecteur qui m’est venu dès que j’ai vu sa tête affolée tout à l’heure. C’est comme si, je sais, sans savoir, ce que cela fait d’être dans un crise de panique. Même plus que ça de vivre cette perte totale de contrôle, sans savoir qui appeler à l’aide ou contre quoi on se bat exactement. Mais je ne saurais pas bien l’expliquer à 42. Donc je ne dis rien de tout ça et on va au réfectoir.

_“Depuis hier ! ” Je me rend compte que j’ai haussé la voix. C’est la surprise. Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit fraichement débarqué. Il a l’air si calme. On peut dire que 211 et lui sont un ying et un yang. J’attrape mon jus en écoutant. “J’ai eu ça aussi dans les premiers jours. J’ai lu quelque-chose là dessus. Le métabolisme s’active pour s’adapter à la nouveauté. ” C’est ce que je fais le plus, après l’activité sportive, bouquiner. Il y a un fonds important dans l’espace commun. Je me dis, avec espoir, que je n’aurais pas le temps de tout lire avant de partir d’ici. Ca me donne une horizon qui me fait un peu moins peur. “Heureusement qu’on a perdu que la mémoire...” C’est vrai, j’y ai pensé. On aurait pu être privé de la parole, ou pire encore de la vue. Là on aurait été vraiment, vraiment vulnérables.

Je rend un sourire encourageant à 211. A la réaction de 42 je ne dis rien. C’est vrai que la Ruche est visible d’ici. Pour moi c’est mieux de parcourir l’espace pour le retenir et se familiariser. Mais, je n’insiste pas. Il fera la découverte quand il le voudra. Je les suis des yeux. Je regarde leurs dos pendant que 42 parle. C’est bien. Les liens se créent. On pourrait mettre en place un accueil des nouveaux. Ca pourrait aider.

_“Tant mieux. ” Je regarde 211 s’asseoir. La douche lui a fait du bien. Mais il reste faible. Les garçons ont raison une visite peut attendre. “D’accord. De toute façon, si tu as des questions tu pourras les poser. Le bracelet-montre peut aussi servir de communicateur. Il suffit que tu donnes le numéro de la personne. ” Je tend mon poignet devant lui pour faire une manipulation. Je me souviens alors que 42 est aussi un nouveau et je me décale pour qu’il puisse lui aussi voir. Je demande à parler à 88 avec la formule de base. La montre s’active. Je coupe. “On est jamais vraiment seul. ”

Je reprend le déjeuner. Les réactions de 211 me touchent. Il a l’air malade. On aurait juste envie de lui conseiller d’aller s’allonger et de dormir pendant au moins 24h00. J’espère qu’il pourra le faire une fois revenu à la chambre. Je ne sais pas si Aleska intervient sur le temps de sommeil ou pas.

_“Il faut que tu te reposes. En remontant je prendrais mon carnet. J’irais dans le salon. Tu seras tranquilles. … et puis si tu as besoin de quelque-chose ? Même de compagnie ? Tu m’appelles… Ok ? ” Je lui souris amicalement. J’ai ensuite un petit moment d’hésitation et je regarde 42. Est-ce que ce soutien est un peu trop protecteur encore ? Je ne sais pas quelles sont les limites…