AU REVOIR A VOUS \\ H01-262

le temps passe de manière étrange, ici. je ne sens pas les minutes s'écouler. pourtant, avec une régularité métronomique, la lumière s'allume et s'éteint, marquant une nuit factice et une journée tout aussi artificielle. du coup, je ne dors absolument pas comme "on" nous l'ordonne. je passe mes "nuits" allongæ sur le lit qui m'a été attribué, à fixer l'obscurité ambiante et à penser. souvent, je ne pense à rien. je sonde mon cerveau à la recherche d'une bribe d'information, d'un souvenir. parfois, je réfléchis à ce lieu étrange, cette "ruche" auto-proclamée. aux gens que j'ai croisé, à ma conviction première d'être décédæ et de me trouver au purgatoire, et la remise en question immédiate de cette théorie par l'espèce de "tremblement de terre" qui a secoué ma deuxième "journée" mécanique. ce qui revient souvent, c'est mon besoin de rationnaliser, et cette manièe que j'ai de théoriser les choses de façon formelle.
mais cette "nuit", je n'ai pensé à rien. j'ai cherché le sommeil, une fois n'est pas coûtume, car mon corps entier réclamait de dormir. j'ai mal aux bras, mal aux jambes, alors même que je fais partie des chanceuz qui n'ont pas subi de dommages importants quand la ruche s'est mise à trembler, le plafond à pleuvoir sur nos têtes, la nourriture à flamber. mais mes yeux se rouvraient systématiquement, fixaient le plafond à peine visible. je me les frotte une fois de plus. j'ai envie de pleurer tant ils sont secs. mais le sommeil se refuse encore et toujours à moi. quand l'horloge à mon poignet indique six heures, je me redresse. le couvre-feu est terminé. encore une fois je me demande pourquoi je respecte les règles établies par les panneaux d'affichage. j'ai si souvent envie de déambuler pendant les périodes "nocturnes", si souvent envie de profiter du calme de ce moment particulier, quand les autres abeilles bercent l'atmosphère de leurs respirations endormies. mais je ne m'y suis pas encore résolux.
je sors du lit et j'enfile machinalement mon pantalon gris, le même que la veille malgré l'insistance de la voix pour que je me vête d'habits propres plus régulièrement. que voulez-vous, le familier est confortable, rassurant. même si tous les pantalons sont identiques, celui-là commence à s'imbiber de mon odeur, à prendre la forme de mes fesses. je retrouve la tache sur mon genou que j'ai fait en mangeant une soupe à la tomate. je retrouve les plis des manches de mon t-shirt, pile là où je les retrousse. et puis, c'est facile d'enfiler le pantalon au pied de mon lit. c'est naturel. puis je me glisse hors de mon logement sans bruit, ne souhaitant pas déranger mon colocataire, un jeune garçon pour qui j'éprouve une tendresse instinctive. la ruche s'éveille lentement mais peu nombreuses sont les abeilles à quitter leur nid dès que le couvre-feu est levé. je suis presque seulx. j'évite les silhouettes que j'aperçois, souhaitant profiter de ce moment de flottement. jusqu'à ce que je tombe sur un homme hagard, aux yeux ébahis. une sensation de déjà-vu m'envahit immédiatement et je me rappelle de moi-même, quelques sept ou huit jours auparavant, débarquant sur ce balcon en hurlant ma peur. 111, à ce moment-là, n'avait pas forcément eu la meilleure des réactions. alors je tente de faire mieux, pas encore réveillæ, pas encore en train de théoriser, pas encore en train de calculer ce que l'on attend de moi. je lève la main pour la déposer sur son épaule et d'une voix douce, je demande :
bonjour. tu viens d'arriver ?

262 avait écouté la voix synthétique et s'était dirigé vers la douche avant d'enfiler une nouvelle tenue. Qui que soient ceux qui l'avaient enlevé, il ne voulait pas les contrarier. L'eau chaude de la douche lui permit d'atténuer sa nausée mais le fît davantage réfléchir sur sa condition : pourquoi était-il donc là ? Pourquoi prenait-t-on tant soin de lui tout en lui effaçant tous ses souvenirs jusqu'à son nom ?
Ces question restèrent sans réponse et il dût se résigner à attendre pour obtenir des réponses. Il enfila sa nouvelle chemise qui était exactement la même que celui qu'il venait d'enlever puis se redirigea vers la pièce où il s'était réveillé.
La porte était maintenant ouverte et la lumière venant de l'extérieur était vive, il fallu plusieurs secondes à 262 pour s'y habituer. Une fois fait, il prit une profonde inspiration et franchit le pas pour découvrir ce qu'il pensait être une aide pour répondre à ses questions.
C'était tout l'inverse, alors qu'il pensait se diriger vers une pièce qui ressemblerait à celle dans laquelle il s'était réveillé il y a quelques minutes, il trouva une pièce immense et ronde. Il jeta des regards vifs çà et là sans pouvoir se concentrer suffisamment sur aucun des points de la pièce qu'il voyait, il pouvait simplement remarquer des meubles, des escaliers et ... des personnes. Qui étaient donc toutes ces personnes ? Se doutant qu'il ne s'agissait probablement pas de ses ravisseurs, autant de personnes pour une seule personne était improbable, surtout pour lui, ses doutes se renforcèrent et sa crainte également, il n'était pas la seule victime, il n'était pas le seul qui intéressait ses ravisseurs, prenaient-ils leurs victimes au hasard ? Y avait-il un quelconque lien entre lui et toutes les personnes qu'il voyait dans la pièce, qui pourrait intéresser quiconque ? Difficile de répondre à ces questions alors qu'il ne se souvenait plus de son passé.
D'un coup, il sursauta lorsqu'il sentit quelqu'un saisir son épaule, il se retourna brusquement et retira immédiatement la main qui venait de se poser sur lui, il détestait qu'on le touche, il ne savait pas si cette caractéristique était déjà présente avant son amnésie mais elle était présente en ce moment.
BONJOUR. TU VIENS D'ARRIVER ?
La question était pourtant rassurante mais elle ne calma pas 262. La personne en face de lui ne paraissait pourtant pas vouloir son mal à priori, son visage avait même l'air rassurant bien qu'il fût au premier regard difficile de déterminer son sexe ce qui avait un côté troublant. Pouvait-on de toute façon être calme dans sa situation ? Enfermé dans un endroit qu'il ne connaissait pas, totalement amnésique.
Cependant, dans un second temps, il se rendit compte de la rudesse de sa réaction, il avait même reculé inconsciemment d'un pas lorsqu'il vît le visage de la personne à qui appartenait la main qui s'était posée sur son épaule. Gêné à la fois par son impolitesse mais également son manque de connaissance sur sa situation, il rougit légèrement. Il se racla alors la gorge, depuis combien de temps n'avait-il pas parlé ? Puis il répondit :
"EXCUSEZ ... EXCUSES-MOI ... OUI, JE VIENS DE ... D'ARRIVER, JE VIENS DE ME RÉVEILLER EN FAIT ... HUM HUM JE SUPPOSE QUE VOUS, ENFIN QUE TU ... ENFIN QUE VOUS, il pointa du doigts toutes les personnes qui se trouvaient au centre de la pièce en face d'eux EN TANT QUE GROUPE ... ENFIN, ON EST TOUS DANS LE MÊME BATEAU ?"
Il n'arrivait pas à être clair dans ses propos, la sensation de nausée lui revenait pendant qu'il parlait, l'obligeant à se tenir contre le mur, il essaya de camoufler cela en une posture décontractée en croisant les jambes mais ça n'allait ni avec ses propos ni avec le manque d'assurance avec laquelle il parlait.

face au mouvement de recul du nouvel arrivant, je m'empressais d'ôter ma main de son épaule. la dernière chose que je souhaitais était de causer davantage de malaise. la situation en offrait suffisamment comme ça. sagement, je mis mes mains dans mon dos, accrochant mes deux index en un geste qui devenait habituel. je me contentais d'observer le jeune homme brun, attendant patiemment qu'il me réponde. je ne voulais pas le brusquer, et souhaitais m'adapter à sa réaction, quelle qu'elle fut.
EXCUSEZ ... EXCUSES-MOI ... OUI, JE VIENS DE ... D'ARRIVER, JE VIENS DE ME RÉVEILLER EN FAIT ... HUM HUM JE SUPPOSE QUE VOUS, ENFIN QUE TU ... ENFIN QUE VOUS, EN TANT QUE GROUPE ... ENFIN, ON EST TOUS DANS LE MÊME BATEAU ?
un sourire doctoral étira mes lèvres. il comprenait plus vite que moi, visiblement. son regard clair et vif brillait d'une intelligence que j'avais très clairement la flemme de déployer. je hochais de la tête avant de répondre.
en effet. je n'en sais pas beaucoup plus que toi, mais n'hésite pas à me poser des questions.
puis je me rendis compte qu'il ressentait encore les effets de l'éveil. personnellement, la nausée avait vite laissé la place à la peur, à la panique, mais je me rappelle tout de même de l'amertume sur mon palais et de la chute que j'avais fait aux pieds de 111. est-ce que tu voudrais de l'eau? ça aide pour la nausée, affirmais-je sans avoir la moindre idée d'où me venait une telle certitude. tout comme je n'avais pas hésité à remettre en place l'os de 69, je n'hésitais pas cette fois à me tourner vers la porte du logement le plus proche et de le pointer du doigt. on peut trouver un robinet juste là, ou je pivotais sur mes talons, vers l'espace ouvert, en dessous du balcon circulaire : descendre aux fontaines à eau. il doit également y avoir un repas qui t'attend si tu as faim. de nouveau, je lui souris, tentant de mon mieux d'être calme et rassurantx. j'ignorais tout à fait si cela fonctionnait, mais essayer, c'était tout ce que j'avais à offrir.

@H01-262