Keep a distance. Thank you. || ft. Javier

Keep a distance. Thank you.

✣ Javier & F03-012 ✣

________________________________________________

Immobile encore quelques instants, j'observe le reflet dans le miroir. Mon reflet, à ce qu'il faut y comprendre. Je précise chaque détail de ce que j'aurai dû connaître pourtant par cœur avec un regard neuf, comme une étrangère qui en dévisageait une autre. Car c'est bien ce que j'étais devenue, depuis quelques heures...une étrangère, orpheline de son passé. Ce visage avait vécu, d'aucuns pourraient le nier sans pour autant avoir subit les affres de l'âge : comment était-il perçu en temps normal ? Était-il souriant ? Sévère ? Ou énigmatique ? Je n'avais pas la réponse et je ne savais pas où la trouver. Ni qui pouvait me l'apporter.
Appuyée contre le lavabo de la salle d'eau de mon logement, je fermais les yeux, essayant en vain de chasser ces douleurs qui ne m'avaient pas quitté depuis mon réveil mais qui semblaient tout de même commencer à s'estomper légèrement. Que convenait-il de faire ? Une petite partie en moi persistait à croire que cette mascarade prendrait fin bientôt. Mais du reste, je devais bien me rendre à l'évidence que ce rêve était bien trop persistant pour en être vraiment un. Et si se réveiller une nouvelle fois, empirait davantage les choses ? Elles étaient déjà bien assez désagréables comme ça. En effet, j'avais bien tenté de m’acclimater du mieux que j'avais pu, mais je fus obligée d'accepter le fait que j'avais vraisemblablement manqué certains détails...et que j'en avais déjà subis les conséquences. Force était de constater que les premières privations étaient arrivées plus vite que je ne l'aurait souhaité, le plateau obstinément vide que j'avais reçu au repas le prouvait bien. Était-ce ainsi que les choses se déroulaient ici ? Y avait-il des remontrances à faire quant ma conduite pour que je doive endurer le jeûne dès mes premiers pas dans la ruche ? Car mes voisins ne s'étaient pas formalisés d'une telle injustice..leurs assiettes débordants de mets et légumes divers : champignons, patates douces, brocolis...et bien que ce ne fut pas l'envie qui m'eut manqué à cet instant, je ne fis aucune remontrance, par pure fierté. Je venais de comprendre que la charité n'était pas une chose acquise ici et qu'il me faudra sans doute me débrouiller seule. Mais qu'elle serait alors la suite ? Une mort certaine ? De faibles chances de survie ? Et bien qu'importe, qu’attendons-nous ? Allons-y puisqu'il ne semble pas y avoir d'autre solution.

Je respirais avec lassitude, mettant à mal mes côtes encore douloureuses et pivotais en direction de ma propre chambre. Je m'étais attendue à rencontrer F03-123 mais le logement était désert. A vrai dire, j'avais besoin de solitude et cela m'allait très bien. De toute manière, je n'osais imaginer ce que ma nouvelle colocataire était en train de faire durant son temps libre...qu'elle puisse subitement avoir eu l'idée de monter une chorale dans la pièce centrale ou de la repeindre à l'aide de sa brosse à dents ne m'aurait pas étonné. Oui réflexion faite, j'étais définitivement mieux loin de ça.
Je lissais les plis de ma tenue en coton, bien que celle-ci soit déjà impeccable. Et je le fis inconsciemment deux fois. Cela semblait être quelque chose que j'avais souvent fait par le passé, en tout cas c'était assez naturel. Puis, je me glissais sous les couvertures, me recroquevillant sur moi-même et tournant le dos à la porte pour palier à l'éventuel retour spectaculaire de 123. Mes articulations étaient encore raides et je souhaitais vivement que cela ait disparu demain. Songeuse, je fixais ma main qui reposait sur l'oreiller près de ma joue. Ou plus précisément, j'observais l'alliance qui restait le seul bien que je possédais. De cela non plus, je ne conservais aucun souvenir et c'est sans doute cette constatation-là qui me peinait le plus...si j'étais parvenue à effacer quelque chose d'aussi fort de ma mémoire, comment pouvais-je espérer me rappeler de tous les autres détails de mon ancienne vie ? Je fronçais les sourcils et battis des paupières, encore gênée par la lumière aveuglante. Je n'avais pas trouvé le moyen de l'éteindre, peut-être que cela se ferait tout seul quand viendrait le couvre-feu. Alors, fis de mon mieux pour ignorer ses rayons, et attendis dans le silence, les yeux fermés.

(c) oxymort

Keep a distance. Thank you.

✣ Javier & F03-012 ✣

________________________________________________

Ainsi prostrée, j'attendais que le couvre-feu s'effectue puisque c'était apparemment de cette manière que les choses fonctionnaient ici. D'une certaine manière, j'avais hâte que cela se termine, peut-être qu'une fois la nuit véritablement entamée, je me rendrai alors compte que tout ceci n'avait été qu'un cauchemar particulièrement réaliste et persistant. C'était tout ce que je pouvais espérer de mieux.
J'entendis la porte du logement s'ouvrir et en moi-même, je pensais que 123 avait fait des progrès de discrétion comparé à l'entrée qu'elle m'avait réservé le matin-même. Peut-être était-elle trop échevelée à cette heure pour faire valoir son enthousiasme débordant ? Bien que cela était tentant, je résistais à l'envie de jeter un coup d’œil, préférant enfouir mon visage dans l'oreiller. Mais à ce moment-là, ma propre porte coulissa et avant que je puisse envisager la possibilité d'une intrusion de ma nouvelle colocataire, ce fut une voix masculine qui rompit le silence.
Aussi stupéfaite que cette voix inconnue, je me raidis en laissant échapper un léger cri de surprise avant de remonter instinctivement la couverture sur moi bien que je fus tout ce qu'il y avait de plus présentable. Le sursaut que je venais de subir avait eu le mérite de réveiller mon cœur qui palpitait désormais à un rythme de croisière assez élevé, si bien que pendant quelques instants, je ne sus quoi dire et me contentais d'écouter les excuses qu'il me présentait. Puis, je haussais les sourcils, ne sachant pas vraiment si je devais me sentir offusquée ou non : ❝A vrai dire puisqu'il s'agit de ma chambre, ça me semble plutôt cohérent.❞ fis-je, l'ai interdite. Je le dévisageais de la tête aux pieds : il était relativement jeune, la trentaine tout au plus et avait l'attitude d'un habitué des lieux. Ce qui me laissait à penser que l'intrus était ici depuis un bon moment déjà. D'ailleurs, peut-être qu'il avait pris l'habitude d'avoir ce lit en particulier, et c'est pour cette raison qu'il avait espéré le réclamer ce soir. Mais je ne céderai pas mon bien -le seul bien- que j'avais, si aisément !

Il recula d'un pas, pour me signifier son erreur puis passa rapidement la tête par l'embrasure avant de désigner la chambre de 123. Je fronçais légèrement les sourcil, croyant déceler le profiteur qui sommeillait en lui. Oui c'est vrai, cette chambre est vide pour le moment, mais cela ne signifie pas qu'elle est libre pour autant. Je le jaugeais du regard quelques instants avant de déclarer : ❝Vous savez, ce n'est pas vraiment comme ça qu'on procède, lorsque l'on veut partager le lit de quelqu'un...❞. Humour ou pas, je n'avais pas sourcillé car l'imprévu de la demande me laissait perplexe. Et puis, je crois bien que l'humour n'était pas mon fort...enfin même s'il était toujours possible de faire des efforts en ce sens. Peut-être qu'il fallait que j'y travaille ?
Je me redressais alors enfin, adoptant une position assise parmi les couvertures. C'est vrai, je n'avais pas le tutoiement facile ais après tout, ce n'était pas beaucoup plus impersonnel que de s'apostropher avec une suite de chiffres, ce qui était en vigueur dans cet endroit. Visiblement, quelqu'un ici nous prenait pour des codes barres.  

(c) oxymort

Keep a distance. Thank you.

✣ Javier & F03-012 ✣

________________________________________________

Ma remarque lui décrocha un léger rire : finalement oui, il subsistait bien quelques fragments de mon humour perdu. Ce n'était pas ce que j'aurai voulu recouvrer en premier, mais je prendrai bien évidemment les choses comme elles me viendraient. Enfin j'espérais que le prochain souvenir me sera plus utile...
Quoiqu'il en fut, l'homme n'avait pas l'air particulièrement ravi que je lui rappelle que cette chambre était la mienne. Et que ce lit aussi d'ailleurs, mais c'était d'autant plus vrai que j'étais déjà moi-même dedans. Un fait qu'il n'avait pas manqué d'observer avec application, bien que j'eus remonté les couvertures...mais contre tout attente, il m'affirma qu'il n'essayait pas de me..péquoi ? Plaît-il ? Il fallait tout de même avoir un sacré toupet pour s'inviter et tenir un langage pareil ! Et après on s'étonne : moi, mal à l'aise ? Balivernes. J'avais haussé les sourcils et même entrouvert les lèvres en quête d'une répartie bienvenue, mais je restais un peu saisie par sa familiarité. Aussi, je ne ne parvins à dire que : ❝Vraiment ? Et bien... et bien tant mieux ! Parce que vous vous y prenez très mal, jeune homme !❞ Mal à l'aise, non mais pas du tout. Je ne vois absolument pas de quoi il parle. Surtout qu'il venait de s'approcher du lit encore davantage. Ne pouvait-il pas rester sur le pas de la porte ? Finalement c'était très bien comme ça, je n'avais plus rien contre : allez allez, ouste ! Je n'aurais peut-être pas dû dire ça, après tout peut-être que ça lui avait donné l'envie d'essayer d'autre techniques, ou d'autres pratiques douteuses, que sais-je ! Peut-être qu'il avait pris ça pour une invitation ? Je repliais mes jambes sous moi et voûtais mes épaules par réflexe pour me recroqueviller légèrement.

De là, il m'annonça que je ne pouvais pas dormir là. Parfaitement, comme ça, de but en blanc et sans explications. Je m’offusquais, les lèvres pincées : ❝Je vous demande pardon ? Et pourquoi ne pourrais-je pas dormir ici ? ❞ Je croisais les bras avant d'enchaîner : ❝ D'ailleurs, puisque vous en parlez, c'est exactement ce que je comptais faire. Et sans réclamer votre permission, qui plus est.❞ Et oui, les choses se passeraient ainsi quand bien même il ne serait pas satisfait. J'en venais même à me demander si tout allait-bien là-haut pour lui, car ses propos étaient si ahurissants. On m'avait donné un lit et j'allais m'en servir. Fin de la discussion..

Puis sans détour, il me saisit le poignet. J'ouvris grand les yeux que déjà il me tirait hors du lit. ❝ Mais enfin, lâchez-moi !❞ protestais-je, me prenant les pieds dans les draps. Je trébuchais -empêtrée- avant de m'en défaire tant bien que mal en me cognant contre le mur, et d'être finalement traînée hors de la pièce. Je ripostais en me débattant et en essayant d'abattre mon poing valide sur lui, mais force était de constater que je n'avais pas l'habitude de m'en servir. Aussi, je n'étais pas certaine qu'il eut senti quelque chose.
Nous nous retrouvâmes sur le balcon, désert, et il m'entraîna ainsi jusqu'au logement voisin, complètement sourd à ma rébellion. Il s'avéra que le logement en question était vide. Evidemment. Pourquoi n'étais-je pas étonnée ? Cet homme avait visiblement des idées pas très catholiques derrière la tête, et ce depuis le début. Une fois relâchée, je me tournais vers lui. Je le pointais du doigt en enfonçant mon index dans sa poitrine, oubliant toute retenue : ❝C'est quoi votre problème à vous ?❞ J'étais véritablement indignée et comme à chaque fois que cela se produisait, j'arborais une sorte de moue sur les lèvres, comme c'était le cas présentement. ❝Je n'ai jamais vu un tel comportement de toute ma vie, et croyez-moi : ce n'est pas un compliment.❞. Se retrouver catapultée dans un endroit inconnu le matin et s'en faire kidnapper proprement le soir même, je crois que la palme de l'infortune me revient haut la main. Ne pouvait-on pas me laisser un peu de côté ? J'avais eu ma dose, merci bien.

(c) oxymort

Keep a distance. Thank you.

✣ Javier & F03-012 ✣

________________________________________________

Dire que j'étais hors de moi était un euphémisme. C'était bien pire que ça, en réalité. Et mon index menaçant qui s'agitait sous son nez en était la preuve. Cela aurait suffit à en calmer plus d'un : mais pas lui. Oh non...lui, il se contenta tout bonnement de me rire au nez. Parfaitement ! Son air réjoui acheva de mettre mes nerfs à mal et je me sentis bouillir à l'intérieur tant et si bien que je sentais l'une de mes veines battre contre ma jugulaire. Et le clou du spectacle fut lorsqu'il m'annonça que j'étais une sorte de clown. Au moins tout aussi drôle. MOI, J’ÉTAIS DRÔLE ? Je ne savais pas ce qui me retenait de l'étriper tout net, pourquoi ne l'avais-je pas déjà fait d'ailleurs ?
Mais avant que je puisse songer à faire quoique ce soit pour lui faire ravaler ses moqueries, un signal retentit, me faisant sursauter et toutes les lumières s'éteignirent brusquement. La fin de sa phrase flotta quelques secondes alors que je m'accoutumais à l'obscurité soudaine. C'est vrai, on y voyait plus rien et c'était assez problématique car bien que je savais où il s'était posté -contre la porte, sans doute pour m'empêcher de partir- je n'étais plus en mesure de surveiller ses faits et gestes. Et cela me contrariait. D'autant plus que je l'entendis pouffer à sa propre blague. Monsieur serait-il en manque de public ? Comme c'était étonnant...

❝Mais bien-sûr ! Et vous remercier pour quoi exactement ? D'être soudainement apparu tel un preux chevalier sur son fidèle destrier blanc et de vous être acquitté ce kidnapping bien en règles ?❞ Je peinais à me calmer, ma respiration courroucée allant de concert avec mes battements encore rapides de mon cœur. Il enleva la main qu'il avait posé sur mon épaule -merci- et ses gloussements de caille s'évanouirent enfin. Quel grand que voilà.
Puis, il se mit alors en tête de m'expliquer la situation et je me renfrognais en constatant que, comme par magie, les détails semblaient fortement l'arranger. Pas de lumière et surtout, pas d'interrupteur hein ? Ce n'était pas nécessaire, je voyais suffisamment clair dans ton petit jeu. ❝Comme c'est pratique, n'est-ce pas ?❞ fis-je avec ironie en lui faisant comprendre que ses plans avaient été découverts. Je n'étais pas née de la dernière pluie, ces techniques douteuses n'étaient résolument pas novatrices du tout. Mais cela avait au moins eu le mérite de stopper mes cris et le volume de ma voix avait nettement baissé, à défaut de rester cassant et sec comme le désert.
Je n'avais pas bougé, de peur de heurter quelque chose car dans le feu de l'action, ne n'avais pas pris le temps d'étudier mon nouvel environnement. Aussi, je croisais les bras, bien décidée à rester plantée là en signe de révolte. Parce que ça oui, j'étais révoltée sans aucun doute. Et cela ne faisait que commencer car il poursuivait ses raisonnements tordus. ❝Ben voyons.❞ lâchais-je avec dédain. ❝Si je comprends bien, vous êtes en train de me dire que nous avons chacun une chambre bien à nous, mais qu'il faut tous les soirs la léguer à quelqu'un d'autre pour passer la nuit avec des inconnus ? Dans le noir ? ❞ Je respirais profondément, tentant de prendre les choses posément alors que mon instinct premier me dictait de l’assommer une bonne fois pour toute. ❝Je suis peut-être nouvellement arrivée ici, mais ça ne veut pas dire qu'on peut me faire avaler n'importe quoi. Admettez simplement le fait que je ne sois pas intéressée et nous en resterons là. Il est inutile d’aggraver votre cas en inventant ce soit-disant système de règles pour vous couvrir. C'est ridicule. Ceci n'est pas un jeu, Monsieur.❞ concluais-je, hautaine avec une point de théâtralité.

(c) oxymort