Three days of the Condor

J'ouvris doucement les paupières et me remuai en grognant. Encore un jour dans ce trou, songeais-je avec amertume lorsque je reconnus la couleur des draps et la fermeté du matelas. J'eus un profond soupir et me retournai pour contempler le plafond. Je n'écoutai même pas la voix d'Aleksa, trop préoccupé par les sombres pensées qui me pesaient.

Les souvenirs de la veille. Les corps, les regards vides, les machineries. La réaction des personnes présentes. Je fermai les yeux en me demandant si nous étions tous condamnés à se murer dans le silence et à évoluer vers l'impassibilité. L'insensibilité. Second soupir. Que nous réserverait cette journée ? Je songeai au devenir des dépouilles de la veille un court instant, puis interrompis mes réflexions : je ne voulais pas savoir, en fin de compte.

Je me redressai sur le lit et m'étirai avant de sortir de la chambre. Je ne savais plus où j'avais décidé de passer la nuit, mais je m'étais assuré que le logement soit vide jusqu'à la fermeture des portes. Tout en me dirigeant vers les toilettes, je me reniflai les aisselles et enlevai la chemise en réponse à ma grimace. Après avoir évacué la bile stagnant dans l'estomac et avoir uriné sans baisser la lunette du wc, je quittai la pièce tout en abandonnant le reste de mes vêtements dans le couloir. Nu comme un vers, baillant sans distinction et tout en pétaradant impunément jusqu'à la salle de bains, je me rendis compte du plateau plein de nourriture laissé au sol. « Mh, sympa le p'tit déj en chambre ! » lâchais-je pour moi-même. Convaincu que ce n'était pas la place pour de la nourriture, je pris soin de déplacer le plateau et de le déposer jusqu'à la table de salon. Il y avait des croissants, des pains au chocolat et du jus d'orange. Mais je distinguai aussi une tonne d'aliments dont certains auraient pu me donner l'eau à la bouche si je n'avais pas été si proche du vomi matinal. J'étais habitué, jusqu'à présent, aux menus repas riches en oméga 3. Des repas trop sains, à mon goût. Aujourd'hui, il semblait que ça soit jour d'orgie.

Le lard braisé me faisait de l'oeil et je me promis de le déguster plus tard dès que mon estomac se serait remis en route. En attendant, je repartis vers la salle de bain et m'y enfermai afin de me débarrasser de la répugnante odeur de poireau. Sous l'eau de la douche, je me remis à penser aux événements de la veille ainsi qu'aux derniers jours depuis mon réveil dans cette infrastructure infernale. Moi qui prenais la Ruche pour un endroit relativement bénin... J'en étais désormais à considérer ce lieu comme un endroit hostile dont il fallait nous échapper. Mais où était le "nous" dans cette histoire ? Certains résidents semblaient n'avoir rien à faire de la situation. Je songeais au sale type de la veille, le super tatoué qui se fichait complètement de voir des robots traîner des cadavres à la vue de tous, sans ménagement ni respect aucuns. J'eus un soupir. Il fallait que je trouve des personnes de confiance dans la Ruche. 12 ? 322 ? Je me promis d'aller les trouver plus tard dans la journée afin de discuter avec eux de mes arrières-pensées.

Soulagé d'avoir défini un premier objectif pour la journée, je poursuivis mes réflexions, plus légères cette fois, tout en me complaisant à traîner sous la douche. Après tout, je n'avais pas à payer la facture d'eau et personne n'attendait derrière la porte pour se laver.

Three days of the Condor

Je me plaisais à rester sous l'eau chaude en n'écoutant que mes pensées. Ainsi que les exclamations perçues de loin. Je songeai que les voisins commençaient à se réveiller mais j'eus vaguement l'impression que les cris se rapprochaient. Probablement qu'ils étaient dans le couloir, juste à côté de cette salle de bains. Peu inquiété par ces bruits, je poursuivis mes instants de réflexions jusqu'à ce que je sois réellement tiré de mes songes par le bruit d'un tambourinement intempestif de la porte. J'ignorais depuis combien de temps exactement cela durait et ne me pressais pas pour aller voir ce qu'il en était. Je distinguais mal ce qui se disait à l'extérieur. La personne folle furieuse qui avait pris la porte de la salle de bains pour un punching-ball ne faiblissait pas, ce qui eut don de m'agacer et d'interrompre ma douche. Je coupai l'eau, attrapai une serviette et me séchai rapidement le corps. La voix de l'autre côté de la pièce m'indiqua qu'il s'agissait d'une jeune femme, mais je ne saisissais rien de ce qu'elle racontait avec ses histoires de bulles et de p'tit déj.

Bon sang, quel était ce délire ? C'était bien la première fois qu'on venait m'interrompre le matin, et cela ne m'aida pas à évacuer toute la frustration accumulée la veille. Je supposai qu'il s'agissait d'un des locataires du logement et m'énervai à l'idée qu'il vienne me déranger juste pour pouvoir utiliser sa propre salle de bains. J'enroulai ma serviette négligemment autour de la taille et ouvris la porte violemment. « Putain il doit y avoir 40 salles de bains dans cette Ruche de l'enfer et il faut ABSOLUMENT que tu viennes dans CELLE-CI ce matin ?! » Mon visage et mon ton étaient durs, cependant je lus immédiatement l'anxiété qui se dessinait sur le visage de la jeune résidente aux mèches dorées. Trop tard. Aussitôt mes traits s'adoucirent. Y avait-il eu encore une catastrophe ce matin ?