Wish I could turn back time to the good old days

Date du 21 mars.

Dur et mouillé. C'est ce qui décrit le mieux la surface qui s'étend sous lui. 626 avait repris connaissance depuis seulement quelques secondes et n'avait pas encore ouvert les yeux. Sans qu'il comprenne bien pourquoi, ça lui était impossible. Du moins pas physiquement, mais psychologiquement. Une peur bleue, viscérale, l'en empêchait. Des flashs lui revinrent en mémoire. La fête. Son logement. Aleksa. La prison. La peur de mourir noyé. La peur de mourir de la main d'un fantôme. Puis celle de finir dévoré vivant. Des larmes commencèrent à couler sur ses joues sans qu'il en soit vraiment conscient. Qu'allait-il découvrir ou ouvrant les yeux, cette fois ci ? Était-il encore sur le sol de sa prison ? Son coeur se serra. Son imagination, faute de savoir où il était et ce qui l'attendait, s'était décidée à rivaliser avec la perversité du Créateur et imaginait les pires scénarios possibles. Au point où finalement, ouvrir les yeux et affronter la réalité ne faisait plus si peur, face à rester cloîtrer dans son esprit. Comme si cela pouvait changer quelque chose, il décida de n'ouvrir qu'un œil. Dieu merci. Il était dans son logement. Au sol, certes, mais dans son logement.

Précautionneusement, il entreprit de se relever mais à peine tenta-t-il de prendre appuie sur sa jambe droite qu'il chuta. Il grogna et opta finalement pour la position assise et malgré la peur de ce qu'il allait découvrir, remonta le tissu couvrant son mollet. Une longue succession de trous parsemait sa peau. De très nombreux et fins trous s'enfonçaient dans sa chaire et ses muscles, formant clairement les marques qu'aurait laissé une mâchoire. Une grande mâchoire avec d'innombrables aiguilles en guise de dents. Bordel, tout ça n'avait pas été qu'un cauchemar dû à l'alcool. C'était réel.

Il se traîna en rampant jusqu'à sa douche. Le jeune homme activa l'eau et, prostré sur lui-même, la laissa ruisseler. Peut-être réussirait-elle à effacer tout ça ? Les marques. Les souvenirs. Quelle drôle ironie. Il en voulait à la ruche pour lui avoir volé sa mémoire et pourtant, là maintenant, il donnerait beaucoup pour qu'elle recommence. Mais il n'était pas dupe. Il savait bien que l'eau n'avait pas ce pouvoir. Au moins à présent, il ne saurait dire s'il pleurait ou non. Puis aussi, elle aiderait pour l'odeur. Il puait. Vraiment. Un mélange d'urine et de vomi qui auraient macérés trop longtemps ensemble. Trop longtemps... Bordel, combien de temps était-il resté dans son cachot ? Impossible à dire. Tout ce dont il se souvenait était la pièce dans laquelle on l'avait enfermé. La même qui avait menacé de le noyer en se remplissant encore et encore d'eau. Celle dans laquelle la présence, créature ou peu importe comment on pouvait appelé ça, l'avait attaqué. Il ne se souvenait pas ce qui avait pu se passer avant ou bien après... Fichu montre qui n'affiche pas la date. Ça au moins, ça aurait pu l'aider.

Les gens avaient dû s'inquiéter pour lui, le chercher. Du moins... il chercha des personnes qui auraient pu s'inquiéter pour lui. En vain. Bien sûr, il y avait 903. Elle était son amie, la seule qu'il avait ici. Elle, elle avait dû s'inquiéter pour lui. De plus, elle savait qu'il avait prévu de dormir dans son logement, elle avait certainement dû faire le lien avec sa disparition. Mais en dehors d'elle... Désespérément, il chercha un autre nom, un autre matricule à ajouter à la liste. Les gars de la soirée gars ? Non. Il s'était contenté d'y participer pour avoir de l'alcool et s'était au strict minimum de la sociabilisation nécessaire pour cela. Doc ? Peu probable, surtout si on partait sur le fait qu'il avait bien compris que 626 avait tenté de se payer sa tête. Son coloc ? Pour ce qu'il en savait, il était certainement mort, ayant lui aussi disparu d'un jour à l'autre. Les gens qu'ils croisaient chaque jour au détour de la ruche et auxquels il n'offrait qu'un visage fermé en réponse de leur sourire ? Plus son passage en revue des gens qu'il avait pu croiser avançait et plus il fut obligé de l'admettre. Une fois 903 retirée de l'équation, il ne comptait pour personne ici. Sa mort serait passée inaperçue aux yeux de tous et tous dans la ruche auraient continué leur vie normale. Peut-être pire, la ruche sans lui se serait peut-être mieux portée. L'impact de sa vie était quantifiable et le résultat proche de zéro. Au moins, à présent, il était fixé. Oui, il pleurait. Au final, l'eau n'avait pas lavé ses souvenirs mais ses illusions, les laissant s'échapper par la bonde de la douche avec l'eau troublée de sang.

626 resta longtemps sous sa douche à baigner dans son traumatisme et son mal-être. Il aurait d'ailleurs pu y rester pour toujours que cela n'aurait pas changé grand chose, au final. Mais la morsure à son mollet lui faisait mal. Il devait s'en occuper. Avec beaucoup de précaution, il parvenait à se tenir debout mais s'habiller ne fut pas une mince affaire. Il hésitait entre tenter lui-même de faire un bandage avec du tissu ou bien aller à l'infirmerie. Le soucis avec ce dernier choix serait les questions qu'on lui poserait assurément et auxquelles il ne voulait pas répondre.

Du bruit, derrière la porte de sa chambre. Dans SON salon. Qui pouvait bien être chez lui et surtout POURQUOI ? Le créateur venait finir le travail ? Il attrapa son oreiller, prêt à défendre sa vie à cloche pied. « Qui est là ? Et qu'est-ce que vous foutez dans mon logement ? » Cria-t-il assez fort pour qu'on l'entende à travers la porte.

"On n'est pas sensé dormir dans nos logements respectifs, t'as pas entendu parler de la nouvelle règle?"

... Cette règle à la con. Comment aurait-il pu l'oublier quand c'était celle qui lui avait valu un passage par la case prison ? Pourtant, il restait convaincu que son idée pour la contourner était valable. Le créateur était simplement un mauvais perdant.

626 reposa le coussin qui lui servait d'arme sur son lit. Entendre du bruit alors qu'il ne s'y attendait pas lui avait foutu la frousse, ais il devait admettre que ça n'avait au final rien d'étonnant que quelqu'un d'autre se trouve ici. S'il ne sortait pas tout juste d'une expérience traumatisante et qu'il n'était pas terrifié que le créateur vienne terminer le travail, il l'aurait bien vécu. Le jeune homme claudiqua jusqu'à la porte de son logement et resta un instant la main sur la poignée. L'ouvrir et aller à la rencontre de l'autre personne serait un bon pas vers son idéal de ne pas être simplement oublié s'il venait à disparaître. Car oui, des études avaient montré que se présenter et parler aux gens aidait dans le processus de faire des rencontres et voir même des amis. Mais faire cela revenait aussi à se montrer faible face à quelqu'un d'autre et ça, il le vivait mal rien qu'à y penser. Si seulement 903 était là... Ça aurait été tellement plus simple, avec elle.

"Pourquoi toi t'es dans ton logement? Tu viens d'arriver?"

"Et pourquoi tu poses tant de questions ?" ne put-il pas s'empêcher de penser. Et il s'en voulu aussitôt. C'était avec ce genre de comportement qu'il s'arranger toujours pour éloigner les autres loin de lui.

"J'étais en train de partir de toute manière."

Il lâcha un grand soupire et fini par ouvrir la porte le séparant du salon. Contrairement à ce qu'il venait d'annoncer, il n'avait pas du tout l'air de partir, cet inconnu. C'était peut-être pas plus mal. Difficile de faire la causette avec quelqu'un n'étant plus présent. Là au moins 626 n'aurait pas d'excuse pour éviter de sociabiliser. Il aurait voulu avancé d'un pas assuré mais c'était à peine s'il pouvait poser son pied au sol, alors il se contenta d'avancer dans ce qui semblait être l'hybride d'un cloche pied et d'un boitement. « Je connais la règle, ouais. J'avais juste... autre chose en tête. » L'homme dans son salon ne lui semblait pas familier et comme 626 était là depuis quelques mois déjà, ça laissait peu d'options. « Je ne suis pas nouveau mais toi si, je me trompe ? Je crois pas t'avoir déjà vu. »

626 avançait lentement, prenant appui sur le mur. D'instinct, il ne se serait pas rapproché de l'inconnu mais resté debout étant une torture, il se traîna jusqu'au canapé d'en face et s'y laissa tomber. Il ne remarqua pas la blessure du garçon lui faisant face, bien trop petite pour son attention bien trop accaparée par sa propre blessure.

« 626. Et bienvenue dans mon magnifique salon ! Je t'offrirais bien à boire et à manger, mais bon, tu connais le principe. »

Il se doutait que les questions sur son boitement prononcé ne tarderait pas à arriver. Ou bien son invité serait-il trop poli pour oser ? En tout cas lui ne se serait pas privé.