Trust is the key that opens all doors. || ft. Doc

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✣ Doc & F03-012 ✣

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Un éclat de voix particulièrement perçant me vrilla les oreilles et je tournais une énième fois la tête vers la fontaine ridicule où chantaient encore les plus fêtards de la ruche. S'ils étaient tous persuadés d'être des Bacchus en herbe, beaucoup s'étaient cependant calmés. Ou du moins, ils avaient été coupés net dans leurs élans, brutalement rappelés à l'ordre par leurs limites physiques. Non, ce n'était pas beau à voir, même de là où j'étais. Peut-être même exclusivement de là où j'étais car une chose était sûre : tout serait certainement oublié de leur côté. Maux de tête mis à part. Justes séquelles de tant de hardiesse.

Il est vrai que j'avais été pris de court. Si j'avais voulu inspecter cette espèce de mixture douteuse, je n'avais cependant pas eu le temps d'approcher la fontaine plus avant, car les curieux sur la ruche étaient bien trop matinaux pour ce qui était de goûter à des choses inconnues. Car j'estimais que d'ingurgiter ce mystérieux rafraîchissement sans s'interroger relevait de la pure inconscience. Surtout lorsque l'on savait comment fonctionnait la ruche et qui tirait les ficelles. Autant de raisons qui m'avaient poussé à rester en retrait. Ainsi, j'allais satisfaire ma curiosité en observant tout ce remue-ménage que ces cobayes consentants allaient m'offrir aujourd'hui.
Car du remue-ménage, il y en avait eu tout au long de la journée, ah ça oui ! Entre les exhibitions en tout genre et autres grivoiseries, les chansons douteuses et les levés de coudes à outrance...la décadence était bien au rendez-vous.

En ce sens, une cellule particulière avait été aménagée dans l'infirmerie. Certains y résideraient pour le restant de la soirée, et il valait mieux les savoir là que dans les chambres que l'on devait toujours partager ensemble. Un frisson me parcouru le dos rien que d'y penser. Brrr. En tout les cas, rien n'était à déclarer au sujet de la boisson. Du moins, rien qui ne soit étranger aux effets habituels de l'alcool sur l'organisme.
Un énième tintement d'un verre s'entrechoquant avec un autre me décida à lever le camp. J'avais appris tout ce que je voulais savoir et en l’occurrence rien d'anormal n'était à déclarer, si ce n'est la couleur étrangement vive de la fontaine. J'avais juste loupé une occasion de participer aux festivités mais le temps n'était pas au regrets. Au moins aurais-je la certitude de m'endormir sereinement ce soir.

Je me levais, lissais les plis de ce triste pantalon assigné et pris la direction des escaliers pour regagner les logements. Je vis alors une silhouette se tenant un peu plus loin, lourdement accoudé contre la rambarde du balcon. Tout dans sa posture indiquait son état passablement éreinté et c'est ce qui me détourna de ma destination pour m'approcher davantage de lui. Visiblement plongé dans ses pensées, il observait le spectacle proposé au rez-de-chaussé et soucieuse de ne pas le déranger trop brusquement de sa rêverie, je m'annonçais à demi-voix: ❝Est-ce que...tout va bien ?❞ fis-je, attentive. Puis, je m'appuyais sur la rambarde à mon tour, contemplant à ses côtés la fontaine qui crachait toujours son venin pourpre. ❝C'était une bien étrange attraction, n'est-ce pas ?❞ déclarais-je en la désignant d'un petit hochement de tête. Je glissais un bref regard vers son profil courbé, jaugeant si ma compagnie était de trop. J'espérais que ça ne soit pas le cas, je ne souhaitais pas imposer ma présence mais je comprendrai qu'entamer une conversation ne soit pas dans ses projets immédiats.

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The more you trust your intuition, the more empowered you become, the stronger you become, and the happier you become. -- Gisele Bundchen

Cette journée est épuisante. Quand nous nous sommes levés avec 66 nous avons tout de suite pensé à organiser l’infirmerie pour essayer de ne pas laisser mourir bêtement les autres abeilles. Elle n’était pas convaincu que sa présence soit utile, moi oui. Tout simplement parce qu’avec le tatouage qu’elle a sur elle j’étais persuadé qu’elle pourrait s’en sortir et je ne me suis pas trompé, la voyant être aussi à l’aise entre les murs blancs de notre local de soin. Enfin soins… Comme on peut… Nous avons été aidé par 211 qui s’est découvert aussi des réflexes de docteur et a été plus compétent que moi sur les besoins de la journée. Même si je connais les soins il a clairement été plus un généraliste que moi qui penche sérieusement vers la chirurgie vu mes capacités et la jeune femme que j’ai souvent contre moi et qui porte mes marques.

Il y a plus de monde qu’on ne l’avait prévu et la journée est passée à la vitesse de l’éclair, faisant des pauses les uns après les autres pour manger jusqu’à une bonne heure avant le couvre feu. Nous avons commencé à remonter les malades vers leur chambre pour faire de la place pour les prochains, s’arrangeant pour mettre un malade non loin d’une personne en état histoire qu’ils soient au moins deux et puisse s’entraider au cœur de la nuit comme on ne peut pas veiller sur eux à ce moment là. On peut toujours essayer de dormir dans une chambre de l’appartement des gens vraiment malades mais ça ne risque pas d’être si simple si jamais on doit courir à en aider juste avant que les portes se ferment. Autant essayer de faire au mieux. Surtout qu’à part les mettre en pls et leur faire de l’eau on n’a pas grand-chose de mieux. Le réveil va être difficile demain pour beaucoup de nos semblables.

Je viens de remonter un jeune homme vraiment pas en état dans une des chambres et décide de faire une pause en revenant sur le balcon. De là je peux observer qui nous allons avoir besoin d’aider. J’ai transpiré dans ma chemise à force aussi je rêve d’une douche, surtout que le tissu colle à mes cicatrices et je défais quelques boutons avant de tirer un peu dessus, m’appuyant contre la rambarde. Je ferme quelques instants les yeux, soupirant doucement pour me détendre et ressens de nouveau cette présence que je ressens depuis mon retour d’infraction. Un soupire, un léger murmure, un épiderme qui frôle le mien et ce parfum… Un petit sourire nait sur mes lèvres alors que je penche légèrement la tête sur le côté comme si ma joue allait toucher une peau si aimée mais je ne rencontre que le vide et ton arrivée finit de me sortir totalement de mes songes.

Je t’observe, surpris de ne pas t’avoir entendu venir, et te souris avec douceur. « Oui je vais bien merci. Et vous ? » J’observe de nouveau la fontaine à mon tour. « Oh oui. Ce n’est pas la première et ce ne sera pas la dernière » Je n’ai pas vécu la première mais j’ai vécu les autres et me demande ce que sera la prochaine. « Une magnifique étude de la réaction de l’être humain face à la plus importante drogue de ce monde. » L’alcool. Je ne m’en suis pas approché moi mais je dois le sentir quand même comme j’ai géré des gens alcoolisé toute la journée. Je te laisse t’installer à mes côtés, aucunement dérangé d’avoir de la compagnie. « On m’appelle Doc. Et vous ? Je ne crois pas que nous ayons eu le plaisir de nous rencontrer encore. »

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Soucieuse de ne pas le déranger, j'avais ménagé mon entrée du mieux que j'avais pu mais malgré cela, il était évident que je venais d'interrompre le fil de ses pensées. Des pensées agréables car un fin sourire s'étirait sur ses lèvres, offrant un contraste notable avec ce corps éprouvé. Et moi, inquiète, je venais de gâcher ces précieux instants de félicité, pourtant si rares ici sur la Ruche. Un point de culpabilité naquit dans ma poitrine.
Néanmoins, celui-ci s'atténua lorsqu'il se tourna vers moi, non sans une certaine douceur dans le regard. Il dégageait une impression de calme et de paix, sentiments dont j'avais été privée au vu des récents événements. Mais les rires s'étaient finalement tus, et les fanfaronnades extravagantes aussi. Seul le ruissellement ininterrompu de la fontaine continuait de nous bercer en contrebas.

Si je m'étais préoccupée de le voir ainsi, il m'affirma qu'il se sentait bien, du moins autant que cela était possible. Courtois, il me retourna la question, à moins que ça ne soit par habitude. En tous les cas, il ne semblait pas réfractaire à engager une conversation ce qui acheva de me rassurer tout à fait. ❝Je vais bien également.❞ répondis-je simplement. Aussi bien que l'on puisse aller dans un endroit comme celui-là. A l'étroit sans aucun doute, mais il faudra l'accepter. Ce choix ne nous appartenait pas, comme dans beaucoup d'autres domaines d'ailleurs. Et la fontaine en faisait partie. Elle était apparue le matin, sans que personne n'eut pu le prédire et sans aucune raison évidente si ce n'est qu'apporter l'art de la débauche sous sa coupe. Peut-être était-ce un test, mais peut-être ne sera-t-elle même plus là demain. Les choses ici semblaient dénuées de toute logique.
Intéressée, je croisais les mains par-dessus la rambarde, mes coudes au repos sur le parapet. Sa réponse avait quelque chose de détaché et de désinvolte et c'est sans doute ceci qui avait piqué ma curiosité. Il était le premier qui parlait de la ruche avec autant de flegme, et je n'osais imaginer le temps qu'il avait déjà passé dans ces murs. Peut-être qu'un jour j'adopterai le même ton, quand la surprise aura laissé place à la lassitude. Je hochais la tête pour signifier mon accord :
❝J'ai bien peur que dans ce cas, les résultats de cette étude ne soient guère concluants.❞ Ce n'avait été qu'une succession sottises en tout genre, que j'avais longuement observé en gardant mes distances. Boire à en perdre la raison n'était plus de mon âge et je n'avais de toute façon, pas été tentée par cette expérience. ❝Il faut croire que l'être humain retombe bien trop aisément dans ses anciens travers. C'est le seul enseignement qu'on puisse en tirer, si c'était-là le but de la manœuvre d'aujourd'hui.❞ Je repensais aux jeunes gens que j'avais croisé en bas dont les idées n'étaient plus très claires, à l'homme d'un âge déjà certain et qui avait divagué en me faisant ses avances, ainsi qu'à tous les autres qui avaient vraisemblablement terminés leur journée à l'infirmerie...

Mon voisin se présenta alors, et je me tournais alors en affichant un petit sourire mutin : ❝ Le plaisir est partagé. J'ai beaucoup entendu parler de vous, Doc et je me décourageais de ne pouvoir encore mettre un visage sur votre nom.❞ Il est vrai que plusieurs personnes l'avaient déjà mentionné et jusqu'ici, je me contentais d’acquiescer sobrement, dans l'attende notre rencontre future. ❝ Vous pouvez m'appeler F03-012 car je n'ai de mon côté, rien de plus original à vous proposer.❞ On ne m'avait pas donné de surnom à l'heure actuelle. Peut-être que ça viendra, peut-être pas...après tout les choses étaient ainsi faites et je n'allais pas les forcer.

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Ma question n’est pas juste courtoise, elle est réelle. Je ne suis pas homme à perdre du temps face à ce qui ne m’intéresse pas et si la politesse est, pour moi, quelque chose de très intéressant pour poser les bases d’une relation correcte je l’utilise toujours correctement. Quand je ne me soucie pas des gens je suis courtois mais je ne poserais aucunement une question dont la réponse ne m’intéresse pas. Je ne pense pas que cela ait toujours plu aux gens qui m’entouraient mais faudrait que cela m’importe pour me contrarier aussi je me contente de sourire avec douceur à ta réponse avant de regarder de nouveau l’état des gens en bas et la fontaine. Je me souviens de son état avant qu’elle soit brisée puis une fois brisée et désormais aujourd’hui elle semble être encore une autre entité. Comment est-ce possible de préparer tout cela sans que nous entendions rien ? Je ne comprends pas. Encore une question qui viendra se rajouter dans mon carnet de notes déjà bien rempli.

Encore une expérience. L’être humain face à la drogue la plus violente et importante de ce monde. Pas besoin de m’en souvenir pour le savoir, cette journée est parfaite pour réveiller la mémoire de tout le monde. « Je n’en suis pas si sûr » Je réponds avec calme en restant observateur. « Cela dépend ce qu’ils voulaient vérifier exactement en nous mettant devant une ancienne dépendance ou une nouvelle. Sans mémoire il est intéressant de voir si les anciennes addictions reviennent tout de suite, si elles sont liées justement à des souvenirs ou si certaines personnes peuvent y venir au vu de la situation sans y avoir jamais songé avant. C’est très intéressant. » Tout est intéressant de toute façon dans ce qui est en train de se passer. Je suis en effet assez posé et calme face à tout cela, j’essaie de comprendre ce que nous vivons en observant moi aussi mes camarades et leur réaction alors je me rends compte qu’il y a énormément à dire face à ce qui vient de passer. Je ne juge pas leurs actions, je peux comprendre que ce soit un travers accessible facilement. Surtout quand on nous l’offre ainsi.

Je me tourne pour me présenter et ne cache pas être surpris de ta réponse mais un petit sourire se dessine en miroir du tien. « Enchanté 12, si vous permettez que je raccourcisse votre matricule. » Habitude que j’ai prise, ayant la chance de ne pas être encore tombé sur un homonyme. « L’originalité n’est pas indispensable, ce n’est pas un matricule ou un surnom qui détermine une personne » Je me contente de répondre simplement en t’observant, tirant de nouveau légèrement sur ma chemise pour qu’elle ne colle pas à mon torse, le haut de ma peau dévoilant certainement quelques cicatrices. Pour moi ce n’est pas parce qu’on nous a ôté nos souvenirs, prénoms et noms que nous avons perdu notre identité. Je n’avais donc pas de soucis avec mon matricule et ce surnom donné par les abeilles me convient mais représente plus ce que je sais faire que ce que je suis. Même si je commence à penser que cela a été toute ma vie. « Vous avez appelé 66 tout a l’heure n’est ce pas ? Pour cet homme tombé dans la fontaine. » J’étais en train de m’occuper d’une autre personne en même temps mais je me souviens du message désormais.

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Quant à mon évident parti pris sur la question de la fontaine, Doc me soumit une réflexion qui ne manqua pas de piquer ma curiosité. Je le considérais un instant, le regard dans le vague pour mesurer la porté de sa théorie. ❝Je n'avais pas envisagé les choses sous cet angle.❞ admis-je avec un hochement de tête approbateur, et munie désormais d'une vision passablement moins étriquée sur cette affaire. ❝Pensez-vous que cela n'aurait pu être qu'une expérience de plus ? Destinée à vérifier si notre amnésie resterait hermétique face à ces déviances ? Comme vous, j'ai la sensation qu'ils cherchent davantage de réponses à notre sujet. Ils ont dû comprendre que la mémoire s’accommodait plus facilement des habitudes et des gestes qui pouvaient nous être usuels...❞ De ce que j'avais pu voir pendant le temps que j'avais passé dans ce sanctuaire de la débauche, personne ne semblait avoir recouvré quoique ce soit ce qui devait vouloir dire que dans un passé relativement proche, aucun d'entre eux ne devait être porté sur la boisson. ❝...car d'après ce qu'on dit, certains d'entre nous auraient déjà recouvré quelques brides de souvenirs.❞ Mais dans ce cas, pourquoi risquer de réitérer l'opération ? Si leur but premier avait été de couper tout lien avec le passé, il n'était pas judicieux de nous donner des outils pour casser ces objectifs. Tout ceci n'avait aucun sens. Comme tout le reste d'ailleurs. Cet endroit était rempli de non-sens.

Ma remarque lui arracha un autre sourire, mais je n'avais pas dit cela dans le but de lui plaire, ou de le flatter. Je n'avais fait qu'exprimer l'idée que je m'était faite de lui, sans pour autant le connaître. Visiblement, c'était un homme apprécié, et estimé dans la Ruche et je comprenais aujourd'hui pourquoi. ❝Bien-sûr.❞ fis-je simplement. Que l'on m'interpelle par une suite de deux ou 5 chiffres m'était égal et l'effet restait le même. Mais si c'était un moyen de rendre les choses plus confortables et pratiques pour les autres, je n'y voyais pas d'inconvénient.
❝Vous avez sans doute raison...et j'imagine que ça se traduira avec le temps.❞ Pour l'heure, je n'avais pas la sensation de posséder une empreinte quelconque, ou d'en laisser une autour de moi. Peut-être que je ne m'en rendais pas compte ? Ou peut-être que c'était une volonté inconsciente de ma part, qui refléterait mon espoir de partir de cet endroit au plus vite ? Comme une identité éphémère.

Au souvenir du message envoyé plus tôt, je ne pus retenir un discret rire et pour cause : il n'avait pas été transmis dans les formes. L'intention était bonne pourtant, mais j'ai cruellement manqué de technique sur ce coup-ci. Mais 66 avait réparé ce léger incident et j'étais maintenant plus à-même de m'acquitter de ces choses en toute sérénité. ❝ Oui. Je n'étais assurément pas en mesure de maîtriser la situation toute seule. C'était la meilleure chose à faire, bien qu'elle ait dû pour cela, s'absenter de votre côté durant quelques instants.❞ déclarais-je en reconnaissant bien volontiers avoir eu recours à la facilité. Mais pour la sécurité de tous, c'était mieux ainsi.
Mon regard s'était attardé sur le haut de sa chemise ouverte et inévitablement : sur les plaies encore à vif pour la plupart, qui couvraient le haut de son torse. Gênée, j'avais l'impression d'avoir aperçu quelque chose que je n'aurais pas dû voir. Aussi, je détournais les yeux et ne le mentionnais pas, de peur d'être impolie et indiscrète. Peut-être ne souhaitait-il pas parler de tout ceci, et sans doute avec raison. Car ces entailles n'étaient certes, pas communes.

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C’est bien pour cela qu’il est intéressant de discuter et que je pousse les gens à le faire : pour découvrir d’autres façons de voir les choses et de s’interroger sur ce qui est en train de se passer dans cet endroit. Après il n’est pas obligatoire de changer ses idées mais au moins cela apporte une autre vision d’un événement et donne un point de vue différent. Personnellement je trouve ça très intéressant car je sais, par exemple, que je suis un homme plutôt terre à terre aussi la façon de voir un événement de 66 ou Sixteen par exemple est totalement différente et intéressante. Cela ne me fait pas forcement changé d’idées mais me permet de mieux orienter mes recherches et réflexions. Et je pense que cette expérience est plus compliquée que ce qu’on en pense parce que le jeu avec nos mémoires complexifie les choses. Certains de nous vivent dans la peur de leur passé, d’autres dans leur recherche et d’autres encore pensent que c’est le moment de s’en créer des nouveaux et de tout recommencer. Cela change alors énormément les résultats d’un tel événement.

Une expérience de plus ? Oh oui… « J’ai déjà vécu une expérience. Je me suis réveillé un jour après 19 heures de sommeil dans un cube avec une autre personne de cet endroit pour y passer la soirée. Nous sommes des sujets d’expérience pour eux. » Et je le dis de façon très calme, sans tension ou stress. « J’en ai discuté avec une psychologue et elle pense que notre perte de mémoire est une façon de nous mettre tous au même niveau pour voir comment nous allons agir. Le mieux aurait été de faire cela avec des enfants pensait-elle » Et j’ai trouvé cela très intéressant. « Car notre passé à tendance à revenir comme nous avons déjà bien vécu. Pour ma part je suis a plus de la moitié de mon espérance de vie aussi les réflexes de mon existence restent, même sans les souvenirs » J’ai su automatiquement soigner les gens qui en avaient besoin par exemple mais, comme je le disais il y a peu, il est facile de se souvenir quand on est médecin. Pour des gens avec des habitudes ou compétences moins évidentes, les souvenirs peuvent rester protégés plus longtemps. « Notre corps a ses instincts en effet. Et certains d’entre nous ont des flashs. Des situations précises ravivent les souvenirs » C’est très intéressant. A vrai dire je trouve cette expérience fascinante, je dois l’avouer.

Les représentations faites je me souviens d’avoir entendu ton matricule ce soir, en discutant avec 66 qui devait aller chercher quelqu’un près de la fontaine. « Vous avez bien fait. Nous avions organisé l’infirmerie pour cela. » Il était évident qu’il y aurait des débordements avec toute cette quantité d’alcool et nous avons été bien occupés 211, 66 et moi-même. A aller et venir pour prendre soin des gens : aller les chercher, aller les coucher, etc. C’est notre travail après tout, mon amie reprenant ses réflexions d’infirmière qu’elle n’avait pas oublié non plus. Ton regard sur le haut de ma chemise ne me dérange pas, je ne cherche pas à cacher les marques sur mon torse. « Parmi les expériences pratiquées j’ai aussi pu tester les punitions suite à une infraction. Je vous le déconseille » Je n’ai pas de honte à avouer que j’ai fait une infraction et maintenant que j’ai eu le déplaisir de tester les conséquences je préfère que les gens soient au courant de ce que ça peut entraîner. Je sais que nous avons tous eu des punitions différentes et ne peux m’empêcher de me demander pourquoi j’ai eu celle-ci. Oui même un homme aussi calme que moi peut, hélas, aller contre les règles. Je ne suis pas parfait, je ne l’ai jamais été.

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Si mon but initial avait été de m'inquiéter de l'état de Doc, la conversation qui s'en découlait maintenant était à la fois stimulante et fort intéressante. Je pressentais que l'expérience de ce dernier pouvait m'en apprendre davantage sur le fonctionnement de cet endroit et pouvait influencer sur ma façon de voir les choses. Car j'étais toute disposée à me référer à ce que je pourrais appeler son ancienneté en tant qu'abeille. Et qui plus est, il semblait avoir cette capacité à appréhender les événements en tout objectivité et avec calme. Ce dont les gens ici n'étaient pas toujours en mesure de faire, bien malgré eux. Ou peut-être était-ce simplement que je n'avais pas encore rencontré les bonnes personnes, ou encore, que celles-ci n'étaient pas encore arrivées..
Le médecin confirma ma théorie selon laquelle, nous n'étions que des cobayes et partagea son précédent vécu et la scène dont il avait lui-même été témoin. J'avais froncé les sourcils, en quête d'une logique que je ne trouvais malheureusement pas. Je secouais la tête avant de murmurer, plus pour moi-même : ❝Tout ceci n'a définitivement aucun sens.❞ L'idée d'être subitement devenue un vulgaire sujet de recherches ne m'enchantais guère et je gardais le silence quelques secondes. J’espérais sincèrement avoir eu mon quota de surprises, mauvaises nouvelles...appelez ça comme vous voulez, mais il semblerait que je ne sois pas au bout de mes peines. Chaque nouvel élément ravivait ce sentiment d'horreur dont j'avais été l'esclave à mon réveil et plus le temps passait et moins je m'y acclimatais. Devait-on s'en réjouir ? Peut-être bien, en un sens. C'était le signe que j'étais en mesure de conserver ma lucidité et que je n'étais pas entrain de me laisser endormir par cette routine rocambolesque.

J'eus alors une expression affectée lorsque Doc étaya ses propos, un peu à la manière d'une thèse. ❝Quelle idée affreuse ! N'est-ce donc pas déjà suffisamment terrible pour envisager de faire subir cela à des enfants ? Quelle genre de psychologue était-ce là ?❞ L'idée m'était intolérable, bien que j'en comprenais la logique. A contrecœur, je dus bien admettre que cela faisait sens : ❝Ceci dit effectivement, peut-être que les résultats auraient été moins risqués de cette façon...❞ S'il est plus aisé de retrouver des sensations ou des souvenirs, il est en revanche quasiment impossible d'en créer de toutes pièces si ceux-ci n'ont pas encore été vécus. De nouveau, je me murais dans un silence introspectif et je me surpris à remettre chaque élément en question, et ce, jusqu'à ma réaction elle-même. Avais-je eu des enfants, avant ? J'étais bien incapable d'envisager un semblant de réponse...mais une chose était sûre, c'est que si ça avait été le cas, j'espérais qu'ils resteraient loin d'ici, où qu'ils fussent à l'heure actuelle. Pour leur bien. Et même si je devais renoncer à nos retrouvailles.

J'écoutais attentivement car la suite n'était pas moins intéressante et ses paroles me firent reprendre un peu d'espoir bien que je n'avais pas la moindre idée de comme je pouvais provoquer ma propre mémoire. Je n'étais certes plus dans la vingtaine, ni même dans la trentaine mais il fallait croire que mon existence précédente à moi devait se révéler plus complexe à entrevoir. Ou plus singulière encore, et peut-être était-ce pour cette raison que je n'avais pas encore songé à expérimenter ces retranchements. Enfin...c'était le cas de beaucoup d'entre nous, aussi il ne servait à rien de m’apitoyer sur mon sort. En tout les cas, j'avais bien entendu ses arguments et je comptais méditer là-dessus pour espérer avoir ma chance, moi aussi.
❝Quand bien même, j'aimerai savoir quels ont été leurs critères de sélection. Après tout, nous ne sommes qu'une petite minorité à avoir été placés ici. Je me demande si cela ne pourrait pas être une autre piste à approfondir...❞ concluais-je en me redressant un peu plus pour me détourner de la fontaine.

J'eus un sourire appréciateur. ❝Et je devine aisément que la journée n'a pas dû être de tout repos pour vous.❞A défaut d'être agréable car à mon sens, il n'y avait pratiquement rien de pire que de se voir affubler de ce genre de patients trop insouciants pour savoir se tenir et trop irresponsables pour savoir s'arrêter le moment venu. Heureusement qu'il subsistait de bonnes âmes comme eux pour se soucier de tout ceci, car je restais convaincue que nous étions responsables des conséquences de nos gestes. Aussi puérils soient-ils. Et c'était un grand service qui leur avait été rendu aujourd'hui.

Sans doute avait-il croisé mon regard lorsque celui-ci s'était imperceptiblement posé sur les lacérations de son corps. Je n'avais pas à rosir de ma curiosité et pourtant, mon malaise était palpable j'en étais certaine. ❝ Excusez-moi, je ne voulais pas paraître indiscrète.❞ fis-je doucement. Par réflexe, je levais les yeux vers l'écran où défilaient précisément les règles qui nous étaient imposées à tous. Ainsi, c'était de cette façon qu'ils espéraient maintenir l'ordre. J'eus une grimace scandalisée. ❝ J'ignorais que nous en étions réduits à cela. Ces façons de faire sont vraiment...❞ Je cherchais mes mots, incapable de traduire convenablement le choc que je ressentais. C'était primitif. Barbare. Détestable. Je repris contenance et me tournais vers lui : ❝ A qui devez-vous toutes ce...ces marques ?❞ demandais-je, sans toutefois oser les regarder de nouveau. J'avais déjà la sensation de franchir certaines limites privées, il ne me semblait pas judicieux de le questionner quant aux raisons qui lui avaient valu cette sanction. C'était personnel, sans aucun doute. Trop personnel pour moi.

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Oh si cela a un sens, je doute que des personnes suffisamment intelligentes pour organiser tout ça n’aient pas un plan particulièrement bien établi mais le souci est qu’il est flou pour nous. A dessein certainement puisque nous n’avons aucun souvenir et que l’expérience serait faussée si on savait exactement vers quoi cela doit mener ou bien ce qu’on attend de nous ou pour quelle raison nous sommes enfermés. Cependant tout ceci frustre car nous nous sentons juste comme des humains lambda ne sachant pas de quoi demain sera fait et quel événement va apparaître. Comment réagir ? Comment aider ? Comment mener ? Beaucoup de questions en suspens auxquelles il est difficile de répondre et ce n’est pas en parlant avec les autres que les réponses viennent plus nombreuses que les questions mais c’est ainsi. Nous sommes à un moment où nous collectons les informations et peut être qu’une théorie finira par ressortir des autres. Il y a tellement à penser et à dire. Mais puisque tu es là depuis peu je partage avec plaisir ma propre expérience, calmement. Nous sommes quelques uns dans la ruche à observer, à noter et essayer d’en faire ressortir des informations importantes.

Je repense à la conversation avec 23 quelques instants et ne m’émeus pas particulièrement de ce que je dis. Ce n’est pas une surprise pour moi que j’ai peu d’empathie envers les autres et encore moins envers les enfants. « C’était en effet dans l’idée d’avoir une personne plus malléable. » Ce n’est que cela qu’elle voyait et je peux comprendre sa réflexion. Mais il y a certainement une raison à cela aussi. Avoir des enfants veut dire avoir du monde pour s’en occuper car ils ne peuvent pas se gérer tout seul quand ils sont petits et vu que nous n’avons aucune interface humaine, ça ne devait pas les arranger. Ou alors, comme nous le disons au début, c’est pour vérifier comment nos souvenirs, habitudes, addictions reviennent auquel cas il faut avoir un panel complet d’âge pour l’étude. Mais des enfants auraient pu être intéressants. Des adolescents en tout cas. J’hoche la tête à ton questionnement sur pourquoi nous. « Je pense que cela découle de pourquoi nous sommes ici. Soit c’est nos actions qui nous ont conduit ici, soit c’est un événement extérieur, soit nous avons signé pour cela. Il y a de multiples solutions. Je n’ai pas l’impression qu’on représente chacun une minorité, certains types se recroisent. » Ça semble plutôt aléatoire. Et pour demander aux gens faut qu’ils se souviennent donc c’est encore un blocage.

La journée n’a pas été de tout repos en effet mais je m’en doutais dès le réveil en voyant la fontaine d’alcool. Je ne jette pas la pierre aux gens je sais que les tentations sont inévitables pour certains. Quand on n’a plus rien, il est facile de se raccrocher à une sensation connue même si celle-ci vous rend malade et vous affaibli devant les autres. Je ne suis pas homme à avoir besoin de cela mais il faut de tout pour faire un monde. Comme je ne suis pas homme à aller contre les règles et pourtant je porte les marques de la punition que j’ai reçue. Ne jamais dire jamais. « Répondre à la violence par la violence. C’est une des notions les plus ancrées dans l’humanité ». Œil pour œil, dent pour dent comme tout le monde dit. C’est ce que j’ai subi, c’est leur façon de faire comprendre que les sanctions sont violentes donc qu’il est important de respecter les règles. Cela fonctionne sur de nombreuses personnes. Je doute pour d’autres mais soit, ils le découvriront tout seul. « A une des personnes qui veillent sur nous. Je n’ai pas vu son visage je sais juste que c’est une femme. Une femme ouverte à la conversation d’ailleurs et très claire sur le fait que les règles sont faites pour être respectées et les défier ne nous apportera pas de réponses. » Je réfléchis quelques instants à cette conversation. « Je pense réellement que ce n’est pas en les défiant qu’on obtiendra quelque chose mais nous avons eu peu d’occasion de leur parler dans d’autres circonstances pour le moment. » Un jour je testerais de demander si on peut leur parler mais pour le moment je préfère observer. « Ils sont juste observateurs de nos comportements » Nous connaissent ils vraiment ? Je ne sais pas.

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