Close to heaven

J'aime manger. Depuis le temps, ça n'est plus une surprise pour personne. Ce qui n'est pas plus surprenant, c'est que je n'aime pas faire du sport. Malheureusement, dans cette Ruche de malheur, les menus sont contrôlés et certainement pas par moi. Aussi, si je veux manger un peu mieux, il faut que je garde mon corps sous contrôle. Et ça passe par faire du sport. Cercle vicieux? Peut-être un peu. Toujours est-il que depuis que j'ai pris conscience de ça, j'ai décidé d'être plus assidue dans l'espace sportif. Courir est ennuyeux, mais c'est le plus efficace pour stabiliser mon poids. Courir a également un avantage certain: moins de nuit à tourner dans le lit et à chercher le sommeil.

Depuis les dernières modifications du règlement, j'ai déménagé dans le salon. L'avantage de vivre seul dans mon logement, je fais un peu ce que je veux. J'ai donc installé la table basse contre le mur du fond, et collé les deux canapés pour former un lit de fortune, encadré de dossiers et d'accoudoirs. J'ai également emprunté la couette de l'autre chambre pour épaissir l'assise et la rendre plus confortable; et j'ai pris les oreilles pour remplir le côté tête. Du coup, dormir-là est loin d'être désagréable, même si les quatre oreillers ne sont pas très utiles. Je bouge peu la nuit. Ils se tiennent entre eux. Et cette nuit ne fait pas d'ombre aux autres. Plongé dans la pénombre, enroulé dans ma couette, je ne me suis pas fais prier pour sombrer avec lourdeur dans les bras de Morphée. Seul, je n'ai pas à m'inquiéter de prendre toute la place. Ou de ronfler, même si je ne ronfle pas. J'ai juste une respiration forte. Alors pourquoi est-ce que dans mon rêve, j'ai la sensation de glisser?

Et puis ça me heurte. Je sursaute. Le réveil vif. Le cœur qui part comme une voiture de course en sentant cette présence à côté de moi. - Sorry... Couldn't sleep. - Pat. C'est Pat. Jesus... - Soufflé-je en me détendant, le souffle malgré tout rapide. - You scared the hell out of me. - Le ton aurait été plus sec en pleine journée, mais encore ensuqué par le sommeil, il est étrangement neutre. Comme détaché. Tactile, au moins pour m'assurer qu'il est bien là et que je ne suis pas fou, je trouve son bras et le suis jusqu'à son visage. Mes doigts sentent ses cheveux. Il est bien là. C'est bien lui. Je reprends ma main. - What's wrong? Bad dreams?

No... I told you, I can't sleep. I'm sorry, I woke you up. - Ah, oui, c'est vrai qu'il a dit ça. J'étais encore loin à ce moment-là. Quoi que si on est parfaitement honnêtement, je le suis encore maintenant. Un peu. Il ne faudra pas longtemps pour sombrer à nouveau. Enfin, si on continue de parler, je risque de perdre le fil de mon sommeil, mais avec un peu de chance on s'arrêtera là. - Can I stay? - Il aurait dû commencer par ça. J'aurais probablement moins sursauté. - Please? - Un soupir m'échappe. Pas pour ce qu'il demande, non, ça je sais déjà ce que je vais lui répondre. Pour la méthode. S'il s'était annoncé avant de s'inviter, tout ce serait mieux passé. Je n'aurais pas bondis. Mon cœur n'aurait pas lâché. Je n'aurais pas eu la peur de ma vie d'abeille. Et, oui, j'inclus les événements de l'infirmerie, donc imaginez. - Sure. But don't ever startle me like that.

Ceci dit, je me retourne dans ma position d'origine et enfonce ma tête dans l'oreiller. Pat bouge un peu, le temps de s'installer, et s'arrête également. J'aurais aimé pouvoir dire l'avoir entendu s'endormir, enfin calmé ou apaisé, mais la vérité c'est que j'ai sombré avant lui. Vite et bien. Un sommeil de plomb jusqu'aux premières lueurs du matin. La lumière envahie à nouveau l'espace et je grimace en glissant la tête sous la couette. On aurait dû fermer les volets. La sensation d'un corps dans mon dos, un bras qui glisse contre mon torse. J'en saisis la main par habitude et en resserre l'étreinte. Encore un moment au fond du lit avant de me lever pour préparer le petit déjeuner. L'avantage de notre petite dynamique, c'est que nous travaillons essentiellement le soir. Parfois l'après-midi. Lui il a le choix ses heures de toute façon. Moi, avec le bar, ça dépend des semaines. Mais de façon générale, on a toujours nos matinées pour... Attendez.

Les paupières qui papillonnent un peu, je lève le nez. Une fenêtre rectangulaire ouvre le mur, surplombant le lit de fortune. Les jambes dépassent de la couette, entrelacées. En face, un écran de télévision diffuse en muet le film qu'on a oublié d'éteindre en se couchant. La porte entrouverte laisse filtrer le son diffus des voitures qui défilent dans la rue. Un ronflement attire mon attention, l'éloigne de l'étrange environnement. Tête endormie Cheveux blonds en bataille. Son bras encore sur mon ventre. Quoi?
Je sursaute. Les yeux grands ouverts agressés par la lumière qui vient tout juste de s'allumer. La lumière de la Ruche, une torture pour les rétines. Au moins, à dormir dans le salon, Aleksa me laisse tranquille. Paupières plissées, je lève les yeux. Pas de fenêtre au mur. Pas de télé en face. Bien sûr. On est dans la Ruche. Pourquoi est-ce que j'entendrais des voitures au loin? L'espace d'un instant, j'ai perdu pied. Incapable de savoir où j'étais. Incapable de définir le réel du rêve. Pourtant il y a une constante. Ce bras sur mon torse. Cette présence contre moi. Pas de ronflement. Peut-être l'ai-je réveillé en sursautant? Je me retourne, m'échappe de son bras se faisant. Pat. Constante du rêve à la réalité.

...what? Something's wrong? - Il a de petits yeux, perles bleues encore rougies. Ses cheveux sont en bataille. Le teint palot et les lèvres claires. Il a bavé. Il a ronflé. Cet homme est déplorable. Pourquoi je continue de le fixer? Il essaye de se redresser, mais la friction de sa chemise prise dans le drap l'en empêche, alors il s'enfonce un peu plus. Un abandon qui me tire un demi-sourire. - Woke up on a dream. - Dis-je simplement, la voix enrouée. - Thanks... by the way. - Je secoue la tête. - Don't mention it.

Qu'y aurait-il de problématique à tout ça? Il n'arrivait pas à dormir, il est venu dormir ici. Et alors? Qui ça dérange? Il m'a fait peur, certes, mais il ne m'a pas dérangé pour autant. - It was like seeing two places at once. - Continué-je au sujet de ce rêve, me mettant sur le dos, regard rivé vers le plafond  blanc. - There was a window above the bed, and a wall with a door instead of the corridor. - Ma main s'aventure à l'air libre, index désignant le mur en face. - And a TV, right there. - Naturellement, mon regard se vide. - I could hear the sound of cars, driving outside. And the light was so... natural. Like... - Le regard revient, se tourne vers lui. - Not directly onto us, but it definitely was the real sun. I mean, the sun from the dream. - Les images sont si claires, si vives dans ma mémoire. J'oublie toujours mes rêves quelques secondes après m'être éveillé, mais celui-là s'accroche. Il perdure.

Me défaisant de cette scène étrange, je me recentre sur lui. Le corps toujours allongé mais la tête tourné dans sa direction. Les mains sur le ventre, à travers la couette. - Did you ever have one of those? A dream so clear it feels real?

Au fur et à mesure de ses mots, c'est comme si l'appartement m'apparaissait. Comme si je le visitais. Un pas après l'autre. Le couloir, le studio, les fenêtres externes et la guitare posée-là, attendant d'être usée. - I know I lived there. I remember the town. - The one with the red bridge. Yeah, it feels familiar. - L'image est schématique dans mon esprit, mais l'idée de la ville me dit quelque chose. - The living-room is on the right, another window. Lots of books. - J'ai continué d'avancer dans mon esprit, et lorsqu'il prononce les mot, moi je voyais déjà la scène. Le canapé, la télé au cœur de la bibliothèque. - I don't know if I'm right, it just feels right. - Pas de réaction. Pas un mot. Mon esprit est piégé dans l'image. Dans l'appartement mental. Je me sais capable de me projeter dans ma propre tête. Oublier ce qui m'entoure au profit d'un monde chimérique, mais tout semble différent cette fois. Trop... concret.

We knew each other, right? We forgot, like everything else, but, deep down... I knew it. - ... and there's the kitchen, in the same space. With a counter to separate the two sides. And stairs... outside. Like it was on the first floor or something. Yeah... - Je retrouve son regard. M'y perd un instant. - We can't imagine the same place and not share it somehow, can we? Can't be that random. But how? - Abandonnant cette position sur le dos, je pivote dans sa direction. - I can see the flat. I can picture it in my mind. I can hear the noise around it, the smell of coffee or the sound of guitar playing in the background. But it's just... an image. I don't see the context. Why I'd be there, or you. I mean, sure, there's the obvious but... - L'évidence, oui. Parlons-en.

Cette familiarité lors de notre première rencontre. Le confort, comme si tout était normal. Comme si tout était... bien. Puis ce baiser si hasardeux, comme une impulsion. Une force supérieure. Ce malaise ensuite, mais ce besoin de le voir, le regarder, le surveiller aussi. Et puis notre conversation après la destruction de l'infirmerie. Cette facilité à m'ouvrir à lui, comme s'il était le seul à qui je pouvais parler comme ça. Depuis le premier jour, il a toujours été là, dans un coin de mon esprit. Et maintenant ça? L'évidence. L'évidence aurait dû frapper plus tôt. - What if we were together before? We knew each other, that's obvious, but... it feels like there's more to remember. - Se souvenir. L'appartement du rêve. - Do you think we knew this place? Maybe you lived there? And I came? Or the other way around? You're the musician. It was probably your place, with the guitars and the studio. Make sense.

I don't think you'd be sleeping in my bed if we were only friends and... - I don't see why not, but yeah, it feels different. - Mais au final, il confirme. Pour lui aussi, il semble que ce rêve n'est pas qu'une invention. Il semble même qu'il y avait quelque chose entre-nous par le passé. Moi seul, j'aurais pu imaginer des choses, mais si nous avons la même opinion, basée sur les mêmes informations, ça ne peut qu'être vrai, non? On ne peut pas inventer la même chose. C'est impossible. Hein?

Honestly... I'm lost. I don't know what to do with this and... I'm trying to remember your name and, it's blank. I'm so sorry... - Il fuit mon regard. Pourquoi? - You don't have to. - Dis-je simplement, tendant la main pour le forcer à tourner la tête vers moi. - I told you before. I never wanted to remember in the first place. Turns out I probably remembered first what I really wanted to forget. - Mon... travail. Appelons ça comme ça. Alors que faire du reste? Le nier? Le refouler, ou en tout cas essayer? Serait-ce malpoli? Irrespectueux? Ou peut-être devrais-je simplement laisser les choses me revenir et les accepter. Après tout, ce sont des fragments de mon passé, et surtout une chose sur laquelle je n'ai que trop peu de contrôle. Et s'il existait un bouton pour définitivement stopper la souvenance, est-ce que je le presserais? Est-ce que j'effacerais mon passé?

Don't beat yourself up about that. Besides, it's more important to know that our.. attraction, since the beginning of all that crap, wasn't random. Don't you think? - Attraction? J'aurais dû dire familiarité. Confort? D'un autre côté, c'est pas faute de l'avoir embrassé. Plusieurs fois. Et à chaque fois, ça semblait tellement naturel. - Don't guilt yourself for something you have no power over. - Dis-je en laissant mes doigts glisser le long de son visage, repoussant ses cheveux derrière son oreille. - You're cute when you worry.

Wait... I... I need to tell you something. - Sa main sur mon poignet fige la mienne. - There's no good way to say this so... - Mes doigts se crispent, rompent le lien avec sa peau. Erreur. Illégalité. Territoire occupé. J'ai déjà couché avec des hommes mariés, des femmes mariées, mais dans tous les cas il s'agissait du boulot. Une transaction. Quelques billets contre mon consentement. Ces souvenirs-ci sont clairs. L'infidélité n'avait aucun cours. On me payait pour rendre un service, le reste était  bien leur problème. Là, c'est différent. Là, ce n'est pas un boulot. Ce n'est pas une transaction. Là, c'est moi. Lui. Et Killian. Et son air désolé n'entre pas dans la balance. - And, Killian's just a friend now. Whatever was... is gone. I'm just relieved he got some of my memories back. - Mais qu'en sait-il vraiment?

Pat ne m'a jamais donné de raison de douter de sa parole, mais le problème n'est pas là. Killian ne m'a jamais donné de raison de douter non plus, mais là encore, le problème n'est pas là. Il n'est pas dans le choix conscient de mentir, mais dans l'aspect inconscient de ne pas savoir. Il dit qu'ils sont justes amis maintenant, que ce qui était n'est plus, mais qu'en sait-il? L'amnésie nous a privé de nos souvenirs et de nos sentiments, jusqu'à ce que le temps nous les rende. Jusqu'à ce jour, bien des choses sur nous-mêmes nous étaient inconnues. Maintenant, elles sont évidentes, mais quelques minutes plus tôt nous étions dans le noir. Pourquoi cette histoire avec Killian ne suivrait pas la même pente? Pourquoi, un jour, dans un futur plus ou moins proche, tout ces sentiments et ces souvenirs ne leur reviendraient pas en pleine face? Chamboulant tout ce qui a été construit jusque-là? Me laissant sur le carreau?

Je retire ma main. Pas d'un geste brusque comme si son contact me brûlait, mais dans un mouvement pensif, presque hors de mon propre corps. Je m'asseoir sur le lit. - And that is why I never wanted to remember anything... - Ironisé-je en secouant la tête. Nous aurions tous pu reconstruire quelque chose ici. Vivre dans le présent, mais non. Il a fallu que le passé nous rattrape. Il a fallu que le passé vienne tout complexifier. Tout envoyer bouler. Et maintenant quoi? Je tourne la tête dans sa direction générale, laisse mon regard courir sur lui sans jamais atteindre son visage. Et maintenant, quoi. Je me traîne jusqu'à l'accoudoir du sofa, tâche de me mettre debout. Ce lit de fortune était confortable, maintenant il est... trop petit pour deux.

Doigts nus. Peau intacte. Extrémités calleuses dû à l'usure des cordes, mais au-delà de ça, rien. Quoi que je n'en sois pas fier, maintenant je peux le dire: quand on fait mon boulot, on relève des détails. On voit ce que d'autres oublient de voir. On se souvient. Tout ça, pour sa propre sécurité. On lit les visages et apprend des gestuelles. On connait une personne avant qu'elle ait ouvert la bouche. Depuis que je l'ai rencontre cette première fois, à côté de l'Espace Sportif, et déjà à ce moment-là, il ne portait aucune alliance. Pas le moindre anneau. Et maintenant que j'y repense, pour avoir vu Killian de prêt plus d'une fois, il n'en a jamais porté une non plus. Bien des personnes dans ce trou arrivent avec des bijoux, et les alliances demeurent. Parfois au doigt, parfois autour du cou, mais jamais ignorées. Sauf si oubliées? Je ne peux réfléchir qu'avec ce que je vois, et ce que je vois, c'est ça. Alors quoi? Se seraient-ils séparés par la suite? Divorcés peut-être? Et le fils, dans tout ça? Où est-il? Qu'est-il devenu?

Debout dans le salon, devant les sofas réunis, c'est la première fois depuis cette nuit que je réalise. Je suis nu. Je dors nu. Ce n'est pas la première fois qu'on me surprend ainsi, mais ce n'est pas la pudeur qui me caractérise. De toute façon, il a déjà tout vu, non? Son regard, pourtant, me donne l'impression d'un feu sur ma peau. Je n'ai jamais voulu me souvenir, parce que j'avais peur de mon passé. Peur de comprendre toutes ces images qui me harcelaient. Et maintenant que les choses commencent à revenir, elles me font toujours aussi peurs. Mais peut-être que je ne devrais pas avoir à les craindre... - Fear of the unknown is stupid... - Finis-je par dire. - I was thinking, maybe you just don't remember still having feelings for him. Still having a life with him. But with that way of thinking, anything is possible. I could be married too and still be unaware of it. I'm doubting your certitudes but don't even question my own. - Prenant une profonde inspiration, je passe mes deux mains dans mes cheveux en bataille. - If you two are sure to be just friends now, I don't see why I should question it. Besides... - Je pivote, lui fait face. - I could have six wives, douzens of children, and yet here I stand. The past is the past as long as it stays there, right?

Ca... meron ? - Bug. Vide. Tétanie et vague froide. Oui. Oui, c'est ça. Cameron. C'est mon prénom. Il n'y a aucun doute sur le sujet. De quoi me tirer un sourire, et puis mon regard suit le siens. - Oh, that's how you remember?! - Mais il continue déjà. Il cherche à me rassurer. Me dit que ce qui est passé est passé. Je sais sans le formuler que je ne serais jamais rassuré, pas pleinement, tant qu'il ne se souviendra pas de ce qui s'est passé entre eux. Parce que tant qu'on aura pas la preuve d'une séparation, plus ou moins officielle, je serais incapable de ne pas me dire, et si le souvenir de leur amour revenait? Et s'ils étaient encore ensemble avant l'amnésie et que la mémoire revenait corrompre le présent? Et si, au final, je devenais la troisième roue du carrosse? Je lui fais confiance pour ne pas s'en souvenir maintenant et être honnête, mais dans le futur? Qui dit que la situation ne changera pas? - Except for my son, of course. - Obviously.

Il est sorti du lit de fortune, totalement habillé au point que je me sente plus nu que je le suis déjà. En l'espace d'un instant, de quelques mots, je me sens gêné. Timide. La proximité désormais sans les barrières du doute. Seul l'air nous sépare désormais. - The 'now' me is here with you. - Et de moins en moins d'air. Il saisit ma main. - I sound cheesy I know. - Sourire irrépressible. La tête qui penche légèrement sur le côté. - You're cute when you're cheesy. - Je dépose un baiser sur sa joue, innocent. - Hey, Patroclus. I'm Cameron. Nice to meet you. - Et puis je m'éloigne. - And that's all you're gonna get for now, 'cause I really need to brush my teeth. - Et je tourne les talons, direction la salle de bain. Les toilettes, les dents, un coup d'eau pour discipliner les cheveux et un coup sur le visage pour... Certainement pour finir de me réveiller. Tout cette conversation a eu vite fait de tuer toute particule de sommeil en moi.

Qu'est-ce que j'y peux moi. Peu importe ce qu'il fait, il est mignon. Je ne suis qu'un homme. Et cet homme tourne les talons et traverse le couloir pour rejoindre la salle de bain. Porte fermée, soupir, sourire indétrônable. Si je gardais un air "normal" jusque là, maintenant seul, le calme a disparu au profit de l'expression naturelle de mon rythme cardiaque qui s'envole. Une porte. C'est tout ce qu'il a suffit pour que l'information monte au cerveau. Comme si tout ce qui s'était passé dans le salon ne m'avait atteint qu'une fois seul. Que s'est-il passé, d'ailleurs? Qu'a-t-on vraiment accomplis? En dehors des souvenirs, je veux dire. Mon prénom, c'est bien. L'appartement, mieux. Mais le reste? Le reste aurait pu évoluer, changer ou rendre les choses étranges, mais non. C'est comme si on nous donnait une autorisation. Moi qui m'inquiète du passé venant me mettre sur la touche, me voilà entrain de penser que le passé vient cautionner notre présent. Où est la logique? Y'en a-t-il une?

J'ai rarement pissé avec le sourire, et pourtant c'est arrivé. Me laver les dents a eu des airs de préparation. Et finalement, j'ai décidé qu'une douche rapide serait bien plus salvatrice qu'une bête volée d'eau fraîche. Je fais vite. Je ne veux pas qu'il parte, ou pire qu'il m'attende trop longtemps. Lorsque je sors de là, les cheveux qui gouttent et la serviette autour de la taille par réflexe, le lit est fait. Et il est toujours-là. - You've been busy. - Dis-je en me rapprochant, observant les canapés avant de revenir à lui, sentant le vide dans mon estomac. - How about this. You go wash a little while I get dressed, and we can go downstairs get breakfast. There's an extra toothbrush, since I am alone here. - Je n'attends pas vraiment de réponse. - Actually, you don't really have a say in this, 'cause I'm famished. Sorry. - Mais pas vraiment.

L'abandonnant à ses affaires, je retourne dans la chambre. La serviette suspendu à l'angle du lit, je m'habille. Je prends mon temps, même si c'est pas le large choix qui m'en demande. Inutile de courir, ce n'est même pas sept heures du matin. Patient, je l'attends dans le couloir. Il n'a pas pris de douche, mais j'ai entendu l'eau couler. Et lorsqu'il sort, je remarque les quelques éclaboussures sur le col de sa chemise, ainsi que ses cheveux humides. Un sourire passe sur mes lèvres. - Ready? - Prêt. Alors je pose la main sur la poignée et.. - Wait. - Je me retourne, glisse ma main sur sa nuque et étouffe ses lèvres d'un baiser. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il se retrouve coincé entre le mur et moi, une position maintenue quelques longues secondes avant que l'air ne revienne nous séparer. - Better. - Dis-je en replaçant ma chemise correctement. - Now we can go. - En route pour un bon ptit déj!