Approche discrète (Ft H08-44)

Querido Diário,

Ca va faire maintenant 4 jours que je suis arrivé dans cet enfer et je commence à me faire à l'idée que personne ne viendra me sauver. Je vais certainement finir ma vie ici, piégé et malheureux à regarder l'herbe pousser sous mes pieds parce que c'est bien la seule occupation qui ne m'effraie pas pour l'instant. Oui, je regarde vraiment l'herbe pousser. Littéralement. Ne me juge pas, mais cette Serre est l'endroit qui m'effraie le moins. Enfin, quand je dis Serre, mais ça ressemble plus à un terrain vague qu'à autre chose. Pas d'arbres. Presque aucune plante. De l'herbe. Ca me rassure quand même, étrangement. Le meilleur, c'est le dôme de verre qui sert de toit : regarder le peu de nature visible arrive à me calmer. Ca et le ciel étoilé la nuit. Ah oui, je dois le préciser : je dors ici, maintenant. J'ai découvert qu'on était obligé de dormir avec quelqu'un sauf exception comme le sol de cette pièce. Ca n'a pas l'air agréable comme ça, mais c'est toujours mieux que de partager un lit avec un parfait inconnu qui pourrait être un meurtrier psychopathe ou un pervers sexuel. Je frissonne rien qu'à l'idée...

Enfin voilà, ma base est ici désormais. J'y passe mes journées. Je lis, je regarde l'herbe, je profite de la tranquillité. Je sursaute quand quelqu'un s'approche trop près de moi. Mais ça n'arrive pas très souvent, les gens n'ont pas l'air de s'intéresser à cet endroit. Pas ceux qui sont bruyants et hyperactif en tout cas. Aujourd'hui en est le parfait exemple : presque personne ou uniquement de passage pour prendre l'air (dans un environnement clos et sans air frais mais que serait ma vie sans ironie ?). Les seules qui ont l'air de rester pour de bon, c'est le couple de jeune femme assises dans l'herbe. Inconnues toutes les deux. Enfin, je dis ça mais je n'ai encore parlé à personne alors forcément... Je ne sais pas si c'est parce qu'elles sont installées au lieu de juste passer, mais il y a quelque chose qui me dérange beaucoup avec ces deux là mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus...


Ok, diário. Update de la situation :

Les jeunes femmes sont restées plusieurs heures à faire des trucs que font les gens heureux, à savoir rien de plus productif que moi : se parler, s'embrasser, regarder les fleurs (un coin avec des panneaux à retenu leur attention, il faudra que je m'y intéresse) et re s'embrasser. Je ne sais pas si ça me dérange parce que je n'ai aucune interaction avec personne ou si c'est parce qu'elles sont intimes ? Quel est mon niveau de sociabilisation ? J'espère que ce n'est pas la vue de gens qui se parlent qui me dérange, parce que dans ce cas là j'ai un vrai problème... C'est sûr que c'est ça avec ma chance. Quelle est l'autre option ? Suis-je homophobe ? Ca m'étonnerait mais peut-être que je ne me connais pas assez. Tiens, de l'ironie, encore une fois...

Ah, il faudra résoudre mon potentiel problème d'intolérance plus tard parce qu'il y en a une qui a l'air de s'en aller. La rousse. Je la regarde partir et ma sensation de malaise se renforce. Peut-être que j'ai un problème avec elle en particulier ? Je me concentre sur sa partenaire en remettant mes lunettes en place. Premier constat, elle est terrifiante. Voilà. Bon, ce n'est pas vraiment révélateur parce que je trouve tout le monde terrifiant dans cet endroit, mais elle dégage quelque chose d'encore plus terrifiant. Sa posture peut-être ? Sa carrure ? Son charisme naturel ? (Je touche les bas fonds de ma confiance en moi en écrivant ses lignes mais en même temps, je ne peux pas me mentir, je suis intimidé par à peu près tout.)

AAAAAAAH diário, panique ! Elle a regardé vers ici !!! Est-ce qu'elle a regardé vers ici ? J'essaie de ne pas paraître suspect en me concentrant sur ces lignes mais... MAIS JE SUIS PAS SUSPECT !!!! Pourquoi je m'emporte ? Est-ce que je devrais paniquer ? Non, je devrais partir ! Abandonner mon lieu de prédilection et m'enfermer dans une chambre disons un jour ou deux, le temps qu'elle m'oublie ! Combien de temps on peut vivre sans manger ? Au secours...

Starbuck

Querido Diário,

Bon, elle s'en va. Tout va bien. Elle vient de fermer son livre et de prendre sa couverture. Finalement, pas besoin de m'emballer comme ça, il s'agissait juste d'une coïncidence. Pourquoi est-ce qu'elle s'intéresserait à moi de toute façon ? Je ne la connais pas, on ne s'est pas croisé avant, elle n'a aucune raison de m'en vouloir pour quoi que ce soit. Tout va bien, elle va sortir et...

Et elle vient de se réinstaller dans l'herbe... Entre moi et la sortie. C'est bon, c'est sûr, je vais mourir. Elle doit être une tueuse avide de sang et elle a choisi sa prochaine proie. Et il fallait que ça tombe sur moi... Quelle heure est-il ? Presque 16h, diário, l'heure où on peut agresser les gens... Je ne sais pas pourquoi je suis resté là, j'aurais dû partir m'enfermer dans ma chambre au lieu de rester là. Et voilà, maintenant je vais payer ma naïveté en mourant dans cette serre sans même me rappeler qui je suis, ni ou je suis... Quelle tragédie...

Je fais semblant d'être très pris par ma rédaction mais je la vois du coin de l'oeil. Elle me regarde. Elle doit se demander comment me torturer. Ca se voit, ses yeux ont ce truc qu'on les tueurs. Ce regard mauvais, je le reconnaîtrais entre mille. J'en suis presque sûr. Elle m'analyse pour mieux m'attaquer. Je devrais appeler à l'aide ! Mais qui viendra m'aider ? Je ne connais strictement personne. Est-ce que j'aurais dû me faire des amis ? Non, pas des amis, restons prudents. Des connaissances ? Oui, oui voilà.

ELLE VIENT DE SE LEVER ! ELLE VIENT VERS MOI ! CETTE FOIS C'EST SÛR C'EST LA FIN !

Bon, qu'est ce que je fais ?

LISTE DE MES DERNIÈRES VOLONTÉS

• ...Je trouve rien n'a dire à part "Ne mangez pas mon cadavre s'il vous plaît...
  

J'ai vraiment rien construit depuis que je suis là... En même temps, à quoi ça aurait servi, j'ai tenu quatre jours avant la mort, c'était pas la peine de beaucoup s'impliquer...


Ok, diário. Update de la situation :

Je t'écris ses lignes toujours depuis la serre. Finalement, je ne suis pas mort... Je vais te raconter en gros ce qu'il m'est arrivé, fais comme si tu étais là :

Elle s'est approché de moi et s'est poliment présentée comme 'Startbuck' avant de me demander si j'étais nouveau ici. Bon, alors, au début j'ai failli faire un arrêt cardiaque. Puis je me suis demandé si je devais lui répondre ou tenter de l'ignorer. J'ai même hésité à lui parler en langage des signes en prétextant être sourd muet. Je sais toujours pas bien pourquoi j'ai décidé de lui répondre tout court : "Euh... Oui... Euh... Enchanté. Enfin... Enfin oui... Je suis 44 je... Je suis arrivé il y a quatre jours..." Alors première constatation : j'ai la gorge sèche. Possiblement parce que je n'ai pas ouvert la bouche depuis mon arrivée ici. Avant, je ne m'en étais pas rendu compte... Aussi, mon accent anglais a une pointe d'espagnol dedans alors je suppose que je suis espagnol d'origine ? Ca fait un mystère résolu.

Deuxième constatation : Je ne suis pas très éloquent. Alors c'est peut-être lié au fait que j'étais mort de trouille en ouvrant la bouche, tu me diras, mais bon. J'ai quand même réussi à l'interroger à mon tour, ceci dit ! "Pardon mais... Pourquoi tu viens me voir moi ? Je suis... Je suis pas très intéressant et on se... connaît pas ?" C'est pas très éloquent non plus, mais au moins, j'ai dit le fond de ma pensée. C'est vrai, quoi ? Pourquoi moi ?

Starbuck

Querido Diário,

Cette femme est décidément très particulière... Elle vient... Parce qu'elle ne s'est pas encore présentée ? Mais les autres personnes de cet endroit non plus ne se sont pas encore présentées et ça me va très bien ! J'aurais pu lui faire la remarque, mais elle mentionne que quelque chose l'intrigue et tout de suite, mon cerveau se lance dans une liste de toutes les choses horribles qu'elle pourrait mentionner. Une espèce de liste sadique du style :

- Tu as de beaux cheveux, je vais te les couper et m'en faire une perruque.
- Tu n'as pas encore payé tes impôts alors que tu squattes mon territoire à moi, cheffe de gang de la Ruche.
- Ta tête ne me plaît pas, et si je te l'arrachais ?
- etc.

Oui, je suis désolé, c'est parfaitement possible. C'est même du domaine de la certitude. Je me crispe sur toi, diário, t'empoignant fermement en attendant que le couperet tombe. (Désolé pour ça, d'ailleurs, tu ne mérites pas telle torture mais je ne pouvais pas faire autrement, c'était soit ça, soit la panique totale et la crise de spasmophilie...)

Et finalement non. Elle veut juste savoir pourquoi j'avais le regard pausé sur elle et sa compagne. Je fronce les sourcils à la remarque. Que répondre à ça, moi-même je ne suis pas certain de pourquoi je les observais. Je la regarde sans la voir quelques secondes, réfléchissant à une réponse appropriée. "J'en sais rien." Silence total, je comprends tout de suite que ce ne sera pas suffisant. "Désolé, mais vraiment, je ne peux rien dire de plus. Je ne me souviens de rien du tout et je ne parle à personne ici. Tout ce que je sais, c'est que la Serre me rassure et que je passe le plus clair de mon temps ici à lire, à écrire ou simplement à regarder le monde. Et aujourd'hui, il s'avère que celles que j'ai observé, c'est vous. Rien de mal, je n'ai pas d'explications. Peut-être que vous me rappelez quelqu'un. Peut-être que dans mon ancienne vie j'étais pro-homosexualité et que je suis inconsciemment content de vous voir. Ou peut-être que c'est l'inverse même si je ne ressens pas particulièrement d'animosité envers vous. Alors vraiment, ton avis vaut le mien si tu peux deviner..."

Et ça, diário, c'est le plus que j'ai parlé à un autre être humain depuis que je suis arrivé ici. Je la fixe maintenant en me demandant si j'aurais dû être aussi sincère. Elle n'a pas l'air commode et je n'ai pas vraiment été rassurant, juste honnête. Alors je rajoute : "Mais tu n'as pas à t'inquiéter. De toute façon je regardais plus ta compagne que toi." Et dès que les mots quittent mes lèvres, je les regrette.

Starbuck