Mad World || Feat. Doc

Que fais-tu... J'ai fermé les yeux. L'impression de quelques secondes, plusieurs minutes en réalité. J'observe ma montre et remarque qu'il est presque l'heure du couvre-feu. Je suis assis sur l'un des canapés de l'espace commun. Livre à la main. Crayon coincé entre deux pages où j'ai commencé à annoter en marges des mots qui ne font le moindre sens. Pas davantage que cette voix m'ayant fait ouvrir les yeux que j'ai visiblement halluciné. Ne trouvant pas âme qui vive à observer du regard face à moi, à côté de moi. Mes doigts trouvent mes yeux pour les frotter, étirer mes traits fatigués. Les cernes ce creusent. Le corps se relâche. L'épuisement prend le pas sur l'énergie absente en mes veines. J'essaie de comprendre et je n'y arrive pas. Je cherche, mais je ne trouve pas. De tous les romans présents mon regard n'a été attiré par rien. De tous les ouvrages sur l'anatomie aucun n'a semblé porteur de quoi que ce soit. La majorité des livres je ne les comprends tout simplement pas. Allemand. Je note des mots en allemand. Je fais la lecture en allemand, et pourtant... mon esprit ne pense pas en allemand. Il voit les mots. Il écrit les mots. Il essaie de prononcer les mots. Ma bouche se mouve de la bonne façon, mais la tonalité sonne si fausse à mon oreille. Je ne comprends pas. Que cherches-tu... Mes yeux se ferment fortement. Mes paupières se serrent. Je dois dormir. L'épuisement aura raison de moi à coups de mirages que je ne vois pas. Je me lève donc en déglutissant. Prenant appuis sur le canapé pour me stabiliser, les jambes déjà partiellement ensommeillées. J'emprunte l'escalier. Un marche, une seconde, une suite de mouvements pour monter sans savoir où je vais aller. Je ne comprends pas l'urgence de nous offrir une chambre si on ne peut pas y dormir. Je ne comprends pas la nécessité de nous faire chercher et présumer d'un endroit pour trouver un sommeil un moindrement paisible. Le sommeil ne vient pas. Le sommeil est agité lorsqu'il offre la chance de m'englober. Des flash. Des images. Des bribes de je ne sais quoi que je ne peux pas décrire. Des lumières qui se succèdent. Des voix qui raisonnent. Des couleurs qui se mélangent. Et je suis incapable de creuser, de me convaincre à le faire. Je crains.

Je crains l'ouverture de cette porte que je pousse. Un choix aléatoire. Une obligation au vue de l'heure avancée. Il reste bien une heure, mais je n'ai pas envie de fouiller. J'ai envie de me poser. J'ai envie de me laisser sombrer sans savoir si mon corps va y arriver. Je somnole toute journée puis arrive la nuit et je peine à arrêter ma tête de tourner. Je me remémore les heures passées. Les gens que j'ai croisé. Les moments que j'ai passé. Les mots que j'ai laissé devant mes yeux défiler. Je retrouve tout ce que j'ai laissé derrière dans l'espoir d'être passé à côté d'un détail quelconque. Rien. Jamais rien. La porte encore ouverte j'écoute, j'attends. Je n'entends rien et la referme doucement derrière-moi. Sans doute cet endroit n'est-il pas vide, mais ça suffira. Je ne me sens plus de bouger, de chercher encore. J'aimerais que ce soit si simple que chambre obtenue chambre gardée, mais cet endroit n'est que simplicité dissimulée sous complexe non assumé. Je commence à avancer, explorant les environs pour voir si quelqu'un a déjà trouvé refuge en ce murs. Trouvant un homme que je ne connais pas dans le salon et me confondant en excuse d'emblée. « Désolé de déranger. Une chambre est libre? » Qui est-il...

Doc. Ça ajoute au malaise. Ça ajoute à l'impression malsaine que cet endroit dégage. Ça me soutire un frisson alors que mon regard dévie en direction de la chambre qu'il me pointe. Un endroit où dormir. Là est réellement le seul souhait que je souhaite combler à l'heure actuelle. Je reporte mon regard sur lui. Le fixe du vide de ce gouffre en mon esprit sans savoir plus amplement quoi dire. Me présenter également. Sans doute. Même si je ne sais jamais quels mots utiliser. Il n'utilise pas cette suite successive de lettres et de chiffres pour sa part. Il semble plutôt afficher haut et fort son occupation. Quoi d'autre? Est-il lié à cet endroit d'une quelconque façon? Est-il l'un de ces médecins en blouse blanche que j'appréhende voir arriver à tout moment? L'impression est la même. La familiarité est la même. Les marques à mes bras et mes cuisses ne mentent pas. Quelque chose ne va pas avec moi et cette impression d'asile me pèse pour que tout le reste. Elle m'est largement plus familière que tout le reste. Comme tout le reste je n'arrive à en soustraire mon esprit qui ne cesse d'y penser. D'analyser. Imaginer le pire de cette situation qui m'échappe et où je ne sais pas quoi faire. Ma main se passe en un geste mécanique dans ma nuque alors que j'ose lui répondre de cette seule appellation qu'on a daigné m'offrir. « H04-8. » Tout aussi mécanique. Si inhumain. Ce n'est qu'un numéro de dossier, un numéro de patient dont je ne sais pas comment me débarrasser. Tout comme je ne sais pas quoi faire de cette discussion qui se profile. Je pourrais me contenter de me diriger vers la chambre et simplement terminer ce combat que je ne suis pas prêt à réaliser. J'hésite. Ma main serre le livre à couverture souple dans ma main. Si fortement que le crayon que j'y avais glissé tombe au sol. Je soupire, me penche, l'attrape. Je me demande si je ne devrais pas profiter de ce titre de 'Doc' pour poser des questions justement. Contenter mon esprit qui n'est pas près de me laisser dormir de toute façon.

Je mords ma lèvre gercée puis me dirige vers le second canapé pour m'y asseoir. Triturant toujours le livre entre mes mains. Y glissant de nouveau le crayon un peu n'importe où. « Doc c'est pour Docteur? » Que je demande après un moment. Les bonnes manières n'étant visiblement pas un acquis de mon côté. Je suis davantage pointu, direct, méthodique. Je réfléchis oui, trop, mais je demande bien trop franchement même si l'excuse m'est facile. Peut-être pour cette raison. J'ai le sentiment d'agresser les gens. De demander trop froidement. Et pourtant je ne sais pas comment faire autrement. « Vous... » J'essaie tout de même de faire l'effort. De poursuivre un peu et ne pas simplement tourner les talons et aller me coucher en laissant la discussion sur une question dont je ne veut peut-être pas la réponse. « ...travaillez pour cet endroit? » Mes doigts trouvent mon bras que je gratte distraitement, nerveusement. Ma seconde main tient toujours le livre. Le livre trop basique sur l'anatomie qui ne prend rien de plus que ce que mon esprit sait déjà. Rien sur l'amnésie. Rien sur les endroits comme celui-ci.

Mes ongles s'enfoncent dans ma chemise. Dans ma chaire sous celle-ci. Ils agressent durement les marques se trouvant dessous dans lesquelles mes doigts s'enfoncent. Marquant les reliefs alors que je sens mon corps se crisper. Je suis stressé. Je suis inconfortable. Je suis mal à l'aise lorsqu'il confirme le titre de Docteur même si je ne m'attendais pas à le voir poursuivre d'une mention de chirurgien esthétique et plastique. Bien. Je note la mention d'un second nom, mais surtout le fait qu'il semble avoir souvenir de toute ceci. Si lui aussi avait perdu la mémoire évidemment puisque c'est un concept me semblant encore flou. Mes contacts limités n'ont probablement pas aidé à me faire une tête sur le sujet, la généralité dans les environs. À première vue c'est le cas, mais encore là je peux me tromper tant l'incertitude est le sentiment premier à s'éprendre de moi à chaque nouvelle rencontre et chaque nouveau réveil. Chaque matin. Chaque journée. Chaque nuit. Je note également son matricule, son numéro. Un nouveau patient, un nouveau dossier. Que ce passe-t-il ici si même les Docteurs sont cloitrés dans cet environnement aliénant? Il parle des souvenirs et en quelque sorte je suis rassuré d'entendre qu'ils peuvent revenir. La durée de sa présence n'étant assurément pas toute aussi rassurante c'est un fait. « Une semaine. » Plus ou moins. Je compte plus précisément, mais le garde pour moi. Je déglutis et me fait violence pour relâcher mon bras avant de le gratter au sang. Ne voulant pas souiller le blanc de la chemise pour un réflexe malsain que je peine à contrôler. J'essaie d'occuper mes mains contre mon livre, mais l'une retourne dans ma nuque qu'elle gratte tout autant quelques instants. Une autre marque trouvée à force d'ongles dans la chaire que je pourrais difficilement avoir fait moi-même. Je me sens marqué comme une bête sur le point d'être exécutée. Comme une enveloppe de chaire apprêtée.

« Vous ne savez pas non plus pourquoi on est là j'imagine. » Comme personne, mais je demande tout de même. Je trouverai bien quelqu'un qui sait quelque chose à force de questions sporadiques. Je relâche ma nuque. Retrouve mon livre que j'ouvre et feuillette comme si j'y cherchais quelque chose, mais les notes ne me donnent rien. « Je n'ai rien trouvé sur l'amnésie ni les endroits comme celui-ci. Pas dans ce livre, normal vu le sujet. » Je n'ai rien trouvé concernant les asiles non plus, mais l'impression ne me quitte pas. Elle m'agresse tout autant que la blancheur et les lumières au plafond me brûlant les yeux de trop. Le manque de sommeil. Mes yeux rougis. Mes lèvres gercées. Ma bouche sèche. « Il y a tellement de choses que je ne comprends pas. » Et tellement de questions que je ne veux pas me risquer à poser. Les inconnus. L'inconnus. Un défi de trop à réaliser alors que je n'arrive pas même à camper le détail de mon esprit trituré. « Tout le monde est ainsi? Amnésique. » Je serai campé sur ce point. Une semaine. J'aurais pu demander avant, mais non.

Mon regard est fuyant. Je fixe tout de la pièce. Je fixe les lumières. Je fixe les meubles. Je fixe ce Docteur qui appui l'inconnu de l'instant, de l'endroit, des gens. Mentionnant une quelconque forme d'agression psychologique de masse pouvant être en cause de tout ceci. De cette amnésie de masse à laquelle personne ne semble avoir de réponse. Peut-être, mais je ne sais pas. Je n'ai pas demandé. Lui étant ici depuis plus longtemps que moi a sans doute dû le faire. Il aurait pu avoir davantage de réponses, mais ce n'est pas le cas. Il ne sait rien. Et lorsqu'il se lève je ne me raidis que davantage. Déglutissant en posant mon livre près de moi. Déboutonnant le bouton de ma manche pour gratter ma chaire marquée que je m'empresse pourtant rapidement de dissimuler lorsqu'il revient et me tend un verre d'eau. Je le prends, même si ce n'est que pour le poser sur la table devant moi. Croisant les bras contre mon torse en réalisant la présence d'une petite goutte de sang contre ma chemise. Un Docteur. Et même s'il ne fait que dans l'esthétisme, du moins c'est ce qu'il affirme, je ne veux pas qu'il voit. Je ne veux pas qu'il pose de questions. J'aurais sans doute dû le laisser à sa propre lecture et aller me coucher. Sauf que je ne l'ai pas fait et je le regrette un peu. Je me sens coincé dans un piège menaçant de se refermer sur moi. Un piège dans la cage où je suis enfermé. Je serre plus fortement mes bras contre mon torse pour me retenir de recommencer à gratter. Sentant bien que quelque chose ne va pas. Que le stresse me fait agresser en boucle ces marques que je ne peux toujours pas expliquer. Comme si c'était lié. Comme si leur présence avait à voir avec un stresse que je n'arrive pas à contrôler. « Je n'ai pas cherché à m'amuser. » Que je répond à sa question. « J'ai fait un peu de sport pour jauger ma forme. » Je décroise les bras pour reprendre le livre près de moi dans mes mains et le poser contre mes cuisses. « J'ai cherché des réponses dans les livres puisque c'est la seule base de recherche non humaine et me semblant plus fiable. » Plus fiable que la parole de tous ces inconnus. Plus fiable que toutes ces informations que je ne peux pas valider et vérifier. Ils pourraient aisément être falsifiés, mais au moins je peux les pointer du doigt.

Je fixe le verre d'eau sans me risque pour autant. Une paranoïa vrillant mes veines tout autant qu'avec la nourriture que je peine à avaler. Le sommeil n'y est pas. L'énergie pas davantage à l'heure actuelle. Tout me semble suspect d'une façon que je ne peux expliquer. C'est simplement ainsi. Familier. Nécessaire. « Vous faites de la lecture pour passer le temps? » J'ai bien vu le livre dans ses mains, mais j'essaie simplement de changer la cible des questions. « Vous devez avoir vos marques à être ici depuis longtemps, vos passe-temps. » Je continue de pousser tout ce que je peux de son côté. Recommençant à plier la couverture souple de mon livre entre mes mains. Me rappelant trop tard le sang. Repliant de nouveau mes bras contre mon torse sans relâcher le livre. Le regard fuyant de nouveau un peu partout dans la pièce.

Chercher la réponse ensemble. Ce n’est pas une option que j’aspire utiliser. Préférant plus que largement chercher par mes propres moyens. Aspirant éviter qu’une tierce personne dénature la découverte, la réponse. Méfiant de nature tout autant que je le suis en cet instant. Avec lui. Face à sa façon de parler. Face au ton de sa voix. Face à chaque mot s’extirpant de sa bouche comme une évidence. Son regard trouve mon livre, rien à cacher si ce n’est mes annotations. Mon regard trouve le sien qu’il me montre alors que je secoue la tête systématiquement lorsqu’il parle de langues. Il n’y a pas de question. Je n’ai pas à répondre. Et pourtant je me sens le besoin de tenir plus fortement mon livre dans mes mains. Comme si la langue de ce dernier en disait déjà trop sur moi. « Les gens se blessent? » Que je demande lorsqu’il mentionne soigner les gens. Triturant le livre plus fortement. Les muscles de mes épaules douloureusement crispés. Mes dents se pressant les unes contre les autres. Mon esprit ailleurs n’écoutant qu’à moitié la suite de sa réponse. Réalisant trop tard pour la tache de sang. Les gens se blessent. Je fais parti de ces gens. Et même si je suis rapide à croiser les bras dans le vain espoir de le dissimuler, trop tard. Il a remarqué. Il se lève et je ne me crispe que davantage jusqu’à ce qu’il pose sa main contre ma cuisse. M’intimant silencieusement de ne pas bouger là où je veux fuir. M’ordonnant là où je ne veux pas bouger, mais je perds pied. Une vilaine migraine me vrille la tête. Je vois noir. Je ne vois rien.

* * *

Elle le fixe d’un regard brillant, pétillant, un fin sourire s’étirant sur ses lèvres lorsqu’elle posa délicatement le livre à ses côtés avant de tendre le bras dans sa direction. Les épaules détendues et le corps bien droit transpirant une certaine assurance. Roulant d’une grande délicatesse la manche au bouton qui n’avait pas été reboutonné afin de dévoiler les marques d’ongles ayant gratté frénétiquement la chaire jusqu’au sang. Suivant les vieux traits ayant été gravés dans la peau pour y faire perler quelques légères gouttes carmines. Glissant le bout de ses doigts à la surface des marques, un voile de tristesse marquant son regard. « Ce n’est rien. » Mentionna la voix, plus douce, plus aigüe, teintée d’une délicatesse s’écorchant légèrement sur la finalité alors qu’elle porte sa main libre à sa tête en fermant les yeux. Serrant fortement les paupières et tirant les traits.

* * *

J’ouvre les yeux. Le souffle court. Le bras tendu. L’esprit brumeux. Déglutissant en clignant des yeux à répétition. Qu’est-ce qui s’est passé? La fatigue sans doute. Je ne me souviens pas lui avoir tendu mon bras et pourtant. J’évite son regard. Cherche à serrer le livre, mais ne serre que le poing. Le livre n’est plus là. Il est près de moi. « Ce n’est rien. Je dois dormir. » Mon ton est pressé. Tout aussi fuyant que mon regard l’évitant systématiquement. Je porte la main à ma nuque pour la serrer. Fortement. Sans doute trop. Inspirant. Expirant. Je dois dormir.

Un trou noir. Un néant. Une nouvelle amnésie dans celle qui ne s'est toujours pas dissipée. Je n'arrive pas à poser de mots sur ce qui vient de se passer. Sur cette migraine spontanée qui ne me vrille déjà plus la tête. Comme si elle n'avait jamais existé. Ne laissant que cette étrange sensation dont je ne sais comment me débarrasser. Je dois aller dormir. Main contre ma nuque. Essayant si désespérément de trouver une quelconque forme de focus. De trouver comment fuir. De m'éclipser sans davantage de mots. Sans poursuivre cette conversation. La détente n'étant pas une option. Ses paroles ne me rassurant en rien même si je le laisse terminer son bandage. Trop occupé à reprendre mes esprits pour m'en soucier. Trop perdu pour grimacer à la piqure du désinfectant ou la pression contre mes plaies. Mon regard trouvant un point fixe sur le sol. Ma tête se secouant négativement à son questionnement. Le sommeil absent ou presque. Les nuits interminables tout autant que les journées. Mécaniquement je retire la main à ma nuque pour la glisser dans mes cheveux pour n'y laisser que la sienne. Frissonnant. Fermant les yeux et les serrant fortement. Encore. À nouveau. Cette migraine qui reprend le pas et cette nouvelle noirceur qui m'englobe sans me laisser le choix. Le souffle paniqué. Le cœur emporté.

* * *

Elle inspire puis expire doucement en posant une main contre son torse, cherchant à calmer cette peur panique qu'elle espère simplement arriver à apaiser pour retarder ce qu'elle sait inévitablement arriver si elle n'arrive pas à insuffler un peu de calme dans ce corps malmené du stress qui vient le bercer. Prenant quelques instants pour bien camper sa présence avant de relever le regard vers l'homme se trouvant près d'elle en esquissant un sourire. Elle tend les mains dans sa direction pour aller prendre la sienne et la serrer doucement, fixant ses yeux. « Je suis désolé pour tout ceci. Je sais que c'est... particulier et même si vous ne semblez pas vous en formaliser je tiens à vous offrir mes excuses tout de même. Il ne sait pas encore et je crois que c'est mieux ainsi, pour son bien. Ça n'ajouterait qu'un stress supplémentaire sur ses épaules et le sommeil n'étant déjà pas facile ça n'améliorerait en rien la chose. Vous êtes Docteur, vous pouvez comprendre n'est-ce pas? » Elle esquissa un nouveau sourire, caressant la main de l'homme du bout des doigts toujours sans détacher son regard du sien. Toujours si droite et assurée en son attitude comme si elle savait ne rien avoir à prouver à personne. « Puis-je vous faire confiance sur ce point, que vous ne lui mentionnerez pas? Je me doute que dans un environnement si restreint vos rencontres seront inévitables et je ne voudrais pas que votre présence devienne un nouveau synonyme d'anxiété pour lui. »

Sans se faire insistante, sa voix laisse transparaître une certaine dureté, un ordre bien davantage qu'une demande gentiment exprimée. Elle tient à ce que son souhait soit respecter c'est une évidence, pour le bien de tous, mais surtout pour celui de son hôte qui non ne sait pas tout. Il ne sait pas ce qui se trame dans son esprit, ce qui se bouscule en son corps. Il ne sait pas comment tout ceci a commencé ou ce qui a pu en découler et même si pour elle certain souvenirs sont d'une infinie clarté, elle ne compte pas les mentionner. Pas alors que son 'hôte' se trouve dans cet état et qu'il n'a pas trouvé comment gérer cette noirceur qu'il sait pourtant planer au-dessus de son esprit. Celle qu'elle sait pertinemment se solder par la présence d'un indésirable qu'elle n'arrive pas toujours à repousser en ce chaos complexe qu'est cette situation hors du commun. Elle sait qu'ils auront un problème bien pire si son 'hôte' ne se stabilise pas.

Un fin sourire passa sur ses lèvres au geste de l'homme, serrant cette main qu'elle avait glissé contre la sienne. L'englobant de cette chaleur toute aussi réconfortante que cette attitude imposée émanant de lui qu'elle savait avoir provoqué, mais c'était une nécessité à laquelle il acquiesça. Peut-être n'en ferait-il rien, elle ne le savait pas et ne serait pas non plus toujours présente pour le valider et l'empêcher d'exprimer à son hôte ce qui ne pourrait que le tourmenter davantage au fil des jours et semaines à venir. Elle n'avait pourtant pas le choix de lui faire confiance, d'espérer que oui ils arriveraient à se comprendre. « Bien. » Fût tout ce qu'elle lui offrit en guise de réponse, notant la douceur de ses gestes à son égard, ses questions. S'il ne faisait pas preuve d'une véritable considération de l'état de son hôte il était assurément un as dans l'art de le laisser croire. Attristée par les réponses qu'elle se préparait à livrer, l'expression de son visage s'abreuva de cette mélancolie l'ayant fait baisser les yeux un bref instant. Fixant cette main qu'elle continuait de mécaniquement doucement caresser avant de poser de nouveau son regard dans celui de l'homme lui faisant face. « Sa solution est ce qui parle à l'heure actuelle. Il n'a pas été en mesure de s'aider au moment où il en avait le plus besoin. Il n'avait personne d'autre que lui-même pour trouver une solution à un problème pour lequel il était bien trop jeune pour avoir les outils nécessaires en main. Il s'est déconnecté de cette réalité qu'il ne savait pas comment affronter au profit de ma présence, et d'autres. » Elle pince les lèvres à cette mention des autres, de ceux qu'elle ne veut pas forcément voir se présenter en cet endroit tout en sachant qu'elle n'a pas plein pouvoir sur cette possibilité, bien malheureusement. « La meilleure façon de l'aider est d'éviter de le confronter à des circonstances occasionnant une grande quantité d'anxiété, ce qui risque d'être compliqué. »

Elle pose le regard sur les marques à ses bras, les caressant doucement du bout des doigts comme si elle arrivait à sentir le désespoir en chacune d'elles. « La douleur, de le camper dans le moment présent, aide un peu, mais à quel prix... » Elle soupire doucement puis s'efforce de sourire de nouveau. « Si je reste trop longtemps ce sera pire. Je peux l'aider à s'endormir, mais plus l'absence est longue et plus il se sentira déstabilisé lorsqu'il reprendra le contrôle de sa personne. Il se sentait déjà épuisé, ça devrait aller au matin. » Ses sourcils se froncent alors qu'elle use de ses deux mains pour serrer gravement celle de l'homme qu'elle ne veut pas lâcher, pas tant qu'elle lui parle. Y trouvant son appui pour pouvoir poursuivre. « Si moi je suis là c'est que le pire est à venir et je crains qu'il ne puisse pas l'éviter. Les autres sont... instables. Il aura besoin de quelqu'un pour l'épauler, si vous vous sentez de le faire maintenant que vous en savez davantage que quiconque. Et si vous avez besoin de moi... » Elle approche son visage du sien, posant une main contre sa joue tout en approchant sa bouche de son oreille pour y murmurer. « Quelque part en vous, vous savez déjà comment m'appeler. »