As we fall || Feat. H04-9

Les blackout se multiplient. J'ai cru la chose passagère. J'ai cru la chose être un mirage de mon esprit, mais les évidences étaient autres. Des heures entières. Des journées entières. Un trou noir de temps où je ne sais pas ce qui s'est passé. Couché à un endroit et levé dans un autre. Vêtu ou trop peu. Las ou crispé en ce corps douloureusement tendu qu'est le mien. Je ne comprends pas. Je perds mon journal. Je perds mes choses. Je perds tout espoir de retrouver un semblant de stabilité mentale déjà vacillante. Je m'éveille le ventre bien plein en des endroit bizarres, des positions étranges. Je ne comprends pas. Je suis fou. Et plus je me contente de cette explication plus les familiarités de cet endroit se font prenantes. La blancheur des pièces. La présence de Docteurs. Je me sens tel un patient interné. Ajoutant au malaise qui m'habite. Au stress qui me hante et m'a presque fait ajouter à ces marques à mes bras que j'observe systématiquement le matin. J'ai besoin de savoir. J'ai besoin de comprendre. J'ai besoin de manger. Je ne me sens pas affamé et pourtant je le devrais compte tenu de la si faible quantité de nourriture que je laisse passer le seuil de ma bouche. Si convaincu que quelque chose pourrait y être glissé. Ces drôles de sensations et trous noirs s'éprenant de moi ne faisant qu'ajouter à la paranoïa déjà plus que présente. Je dois manger. Je le sais. Je n'ai pas le choix. Manger n'est que l'obligation à empêcher mon corps de s'effondrer. Ne pas manger pouvant tout autant être la cause de ces absences où je me suis peut-être simplement évanoui du manque d'énergie.

Je soupire. Trouve appui au plancher hors de ce lit qui est le mien et dans lequel je peux enfin dormir semble-t-il depuis peu. Pour une raison que je ne comprends pas. Les chose changent ici et l'instabilité ne me plait pas. J'enfile des vêtements. Toujours les même jour après jour où l'absence de couleur se fait sentir là aussi. Je prends mon journal sous mon oreiller et le glisse sous mon matelas avant de quitter et me diriger vers les machines de l'espace repas d'un pas toujours un peu crispé. Il est près de 7h du matin. Il y a des gens que je ne fixe pas. Prenant mon plateau pour trouver une table libre afin de fixer le contenu de ce dernier. Trop plein. Jus, fruits, pain, céréales et yaourt me toisent du regard et je n'arrive pas même à en saliver. Je n'arrive pas même à me convaincre de manger. J'ai si peur d'encore subir le trou noir. Je ne sens pas la faim démesuré. Je veux simplement comprendre et à me priver de la nourriture je ne sens pas que je vais y arriver. Je prends finalement une fraise après quelques minutes et la glisse entre mes lèvres en expirant ce trop plein d'air que je n'avais pas réalisé avoir accumulé.

Il n'y a rien ici pour se laisser couler. Rien de plus dangereux que les lames de rasoirs que j'ai tenu entre mes doigts sans passer à l'action. Il n'y a rien pour réellement se faire du tord. Une tentative de sécurité. Un poids pour balancer le pesant de l'endroit. Pourtant j'ai cette sensation de ne jamais m'être senti moins en sécurité qu'ici. Ça me prend aux tripes. Me coupe le souffle. Je cesse de respirer et je ne m'en rends plus même compte. Expirant tout naturellement lorsque je glisse cette fraise entre mes lèvres pour laisser sortir le trop plein d'air accumulé. Celui qui devrait m'aider plutôt que m'étouffer. Pourquoi ces idées noires de bon matin? Je ne sais pas. Une promesse de simplicité. Une solution pour tout quitter. La seule porte de sortie qu'on semble enclin à nous donner. La simple pensée de la chose me vrillant le crâne en une migraine que l'arrivée d'un inconnu chasse aussi vite qu'elle est arrivée. Inconnu à bonne appétit que je fixe manger sans un mot. Quelques instants. Quelques minutes. Posant la queue de ma fraise dans mon assiette en détaillant le contenu de mon propre plateau repas. « Rien ne va ici. » C'est une évidence qu'il doit lui-même avoir remarqué, mais pourtant la seule réponse qu'il me semble évident de donner. Extrapoler sur la paranoïa qui me hante c'est autre chose. Je prends ma cuillère entre mes doigts. Étalant le yaourt dans le bol pour en lisser le dessus et en supprimer les remous. Le visage toujours impassible. La conversation devant sans doute se poursuivre. C'est ce qui semble être à la base des conventions sociales de répondre lorsqu'une question est posée. De parler lorsqu'on est accompagné même lorsque c'est contre notre gré. Par politesse. « J'ai faim, mais je n'ai pas envie de manger. » Me lever et quitter aurait été plus simple. Fuir le contact aurait été plus simple. Ce n'est cependant pas ainsi que j'arriverai à creuser plus amplement sur le pourquoi de cet endroit. C'est à force de discussions. De comparaisons. À noter les dires des uns pour les comparer à ceux des autres.

« Je crois qu'ils mettent des choses dans la nourriture. » Je continue. Décidant de pousser plus loin cette hypothèse. Peut-être que lui aussi a expérimenté des choses étranges. Des trous noirs. Des absences inexpliquées. Je ne saurai pas sans demander. « Tu as expérimenté des choses étranges depuis que tu es ici? Des choses que tu ne peux pas expliquer? En dehors du contexte semblant similaire pour tous. » Il me tutoie et je décide d'en faire de même. De m'adapter. Peut-être la réponse sera-t-elle non. Peut-être sera-t-elle oui et je regretterai cette fraise que j'ai ingurgité. Me disant que le trous noirs, la panse pleine et l'hypothèse de gavage seront peut-être à considérer. Peut-être la réponse sera-t-elle oui et je serai en mesure d'ajouter ce point à mes notes. « Tu manges sans hésiter. » Comme si ça expliquait une partie de la réponse. Le fait qu'il n'y a peut-être pas pensé. Le fait qu'il s'en moque peut-être. La conspiration en devenir que certains d'entre nous sont peut-être avec eux. Ceux qui nous ont cloîtrés dans cet endroit. Trop d'options. Rien de précis. Rien de campé. Je dois réellement être plus assidus dans mes recherches.

Manger. Comme si la solution à un problème que je n'ai pas réellement se trouvais juste sous mon nez. Un problème que je ne peux pas avoir alors que la faim ne me tiraille pas comme elle le devrait. À ne pas manger durant des jours. À laisser mon corps souffrir du manque que je ne sais comment interprété. Pourtant je mentionne la source de mon appréhension à manger. Vendant peut-être la mèche aux créateurs de cet endroit à l'effet que je sais ce qui s'y trame. Regrettant peut-être le dénouement de cet histoire. Cette prudence exacerbée dont j'avais pourtant fait preuve. Dont je fais encore preuve avec mes notes. Je sais pourtant qu'il y a un juste milieu à trouver. Qu'entre ma paranoïa et ma non envie de faire confiance à qui que ce soit il doit y avoir cet instant où je vais parler. Où je vais demander et poser des questions. Cet instant où je devrait inévitablement faire part de mes observations pour chercher. Creuser. Demander à de parfaits inconnus s'ils ont expérimenté des similarités aux miennes ou si vraiment je perds simplement la tête. Cet asile à n'en point douter jouant de ma tête plus que je ne vois. Plus que je ne le comprends malgré mes efforts et tentatives de le faire. Il me dit qu'il y a des choses étranges. Restant flou sur sa réponse et ces dites choses. Je retire la cuillère de mon yaourt pour la poser dans mon assiette, souillée et sans prendre le temps de manger ce qui la couvre. Je n'ai pas envie de manger. Pas davantage que cette fraise que je sens descendre en mon œsophage comme une boule de feu me dévorant de l'intérieur. Promettant peut-être un nouveau trou noir que je sentais déjà se présager. Cette vague impression que la migraine les précède toujours. Devais-je élaborer davantage à ce sujet avec lui? Exprimer ce que je qualifie d'étrange dans mon quotidien bien au-delà de cette base commune que nous semblons tous partager? Devais-je leur donner la satisfaction d'entendre que je sais? Une raison supplémentaire d'augmenter une quelconque forme de dosage pour leur plaisir de me contrôler davantage. Me faire oublier. Me malmené l'esprit à l'excès au point où je ne pourrai plus le supporter?

« Je ne pensais pas à du poison. Pas à la mort. » Ce serait trop simple. Pourquoi nous coincer ici et nous offrir tout ceci si ce n'est que pour nous tuer si facilement sur la finalité? « Plutôt des drogues ou médicaments. » Toute substance étant à risque d'engendrer des effets secondaires sur le corps et la mémoire. De faire perdurer cette amnésie que je ne sais pas encore être passagère ou non. « J'oublie des jours entier. Je m'éveille loin de là où j'étais. Je suis couverts de marques, de morsures, et je ne sais pas comment elles se sont incrustées dans ma chaire. » Je sais celles que j'avais à mon éveil ici. Je sais ce qui n'y était pas et que je trouve rougis dans le miroir après je ne sais combien de temps en un éveil confus. Ce n'est peut-être que moi, mais je ne saurai pas sans demander. Si ce n'est que moi je saurai sur quel problème me pencher. Je saurai ce qui fait défaut. Je présumerai devoir me méfier de tous. Si ce n'est que moi je ne sais pas ce que je ferai pour l'empêcher. « La nourriture serait un accès facile au corps pour nous faire consommer ce qu'ils veulent sans que nous le sachions. Je me demande simplement si je suis le seul à expérimenté ces absences. » Mon regard quitte mon plateau sur lequel il est posé depuis que je parle. Se plaquant dans le sien. « Quel genre de choses étranges as-tu vu ou vécu? »

Tester. Assurément il y a des façons de tester, mais le règlement ne le permet pas. Raison peut-être pour laquelle d'ailleurs il nous est interdit de partager nos repas. Pour ne pas partager les dosages. Pour ne pas combiner les mauvaises choses. Pour ne pas détruire ce qu'ils s'affairent à réaliser en nos corps de leurs cocktails sournois que je ne veux pas laisser me contrôler. Tester. Il faudra trouver une façon de le faire, car rien d'autre ne pourra appuyer cette théorie même si les évidences sont là. Elles sont notées dans mon carnet. Analysées. Présumées sans être prouvées. Ne coupant en rien l'appétit de mon vis-à-vis qui continue de laisser la nourriture passer le pas de sa bouche. Il a faim. Et croiser son chemin plus tard sera peut-être nécessaire pour tester. Qui sait. Peut-être agira-t-il de façon étrange même s'il mentionne ne rien avoir vécu de particulièrement bizarre outre ce que nous expérimentons tous. Outre le réveil. Les disparitions. Sa théorie de salle d'attente n'étant pas totalement à écarter. Attente vers quoi? La recherche devrait se poursuivre dans tous les cas. Les morsures. Les marques. Les trous noirs. Rien de tout ceci n'étant quelque chose de familier de son côté. Je n'avais rien imaginé. « Aleksa. » J'eu besoin d'un moment avant de comprendre à qui il faisait référence. Cette voix. Cet accueil. Celle qui me donnait mon état tous les matins. Parlait des manques à combler. Celle qui savait tout et à qui je n'avais pourtant rien demandé. « Je ne veux pas qu'il soit bien adapté. » Je ne veux pas être médicamenté. Je ne veux pas laisser ces absences dicter le rythme de mon existence et ce que j'arrive à me rappeler. M'enfoncer davantage dans la familiarité de cette amnésie. Oublier davantage et ne pas savoir ce que j'ai pu dire ou faire. Être la marionnette de ces êtres nous ayant enfermés ici. « Si réellement notre nourriture est droguée d'une quelconque façon je préfère ne pas manger. » Et j'étais même presque révolté de simplement l'entendre parler d'un ajustement de dosage. Ne pas se formaliser outre mesure de cette possibilité. Laisser les créateurs de cet endroit ainsi le contrôler. L'était-il déjà, drogué au point de simplement mécaniquement faire abstraction de tout ceci?

« Ça ne te dérange pas, cette possibilité que quelqu'un puisse avoir tant de pouvoir sur toi? De penser qu'il y a quelque chose dans ta nourriture qui leur permet de faire ça? » Peut-être était-il déjà ici depuis un moment. Déjà annihilé au point de ne plus arriver à s'en soustraire. « Et je ne veux certainement pas demander à cette Aleksa. » Je ne veux pas donner à l'ennemi cette dernière carte pour lui confirmer que je sais. Peut-être. Si réellement je suis sur la bonne voie. Davantage que simplement porté par le flot d'une paranoïa malsaine que je laisse me dévorer. Une salle d'attente... Avais-je déjà passé d'un endroit à l'autre? Que pouvait-il bien y avoir pouvant justifier tout ce que j'ai trouvé? Étaient-ils tous ainsi? Drogués. Soumis. Désillusionnés de la réalité? À moins qu'il s'en moque simplement. Un sujet parmi tant d'autres avec qui parler. Un avis parmi tant d'autres à récolter. Le chemin vers la vérité me semblait assurément plus ardu qu'escompté. « Je ne comprends pas, cet abandon de ta personne. »

On ne se comprend pas. On ne se rejoins pas. Deux entités aux façons de penser visiblement opposées. Aux objectifs l'étant tout autant. Manger ne me semblant pas être une priorité. Pas pour en mourir. Pour tester. Pour constater. Pour voir ce qu'il peut bien se produire si aucune nourriture ne passe le pas de ma bouche durant des jours. Déjà fait et j'ai senti ce ventre bien comblé lorsque je me suis éveillé de cette nouvelle noirceur qui m'avait annihilé. Je dois tester encore. Confirmer. Valider qu'il y a quelque chose qui ne va pas avec cette nourriture. Je ne veux pas être soumis. Pas être coincé comme témoin silencieux de mon propre corps que je n'arrive pas à contrôler. La simple pensée de la chose éveillant en moi ce sentiment de familiarité que je ne peux pas davantage expliqué que celui s'éprenant de moi lorsque je prends un instant pour fixer les murs. Admirer le décors, le blanc. Observer les uniformes dans lesquels nous n'avons pas le choix d'évoluer dans cet endroit. Numérotés. Comment peut-il ne pas être dérangé par tout ceci? Comment peut-il ne pas avoir l'impression d'avoir baissé les bras, abandonné? Ne pas avoir l'impression qu'il a tendu les poignets pour qu'on les enchaîne à cette normalité imposée, à ces standards qu'on ne peut pas modifier. Son caractère? Est-ce vraiment la seule raison? N'a-t-il pas envie de chercher, de creuser? N'a-t-il pas envie de théoriser, d'observer, de penser? Est-il déjà coincé dans ce moule où on l'a encastré pour qu'il soit à l'image de ce qu'on attend de lui? Soumis à ce bourreau invisible qui laissera tomber la hache lorsque le moment lui conviendra le mieux. Il prétend se satisfaire de la vie, mais quelle valeur a-t-elle sans liberté? « Ne te poses-tu donc jamais de questions? » Ne te demandes-tu jamais pourquoi tu agis ainsi? Pourquoi tu es si fermé à chercher? As-tu réellement envie de passer ta vie entière, ce qu'il en reste, à titre de sous-fifre de ce qui peux s'amuser à te manipuler?

Je ne sais que penser. Que faire. Je ne sais si je devrais aider l'insouciance ou la laisser tel qu'elle est. Je ne sais si je devrais chercher à les sortir de cette emprise, tous, ou simplement chercher de mon côté. Qui sait en qui je peux réellement avoir confiance. Peut-être est-il déjà trop tard. « Que ferais-tu si un matin cette voix, cette Aleksa, te demandait de rester enfermé dans ton logement sans te donner de raison, porte grande ouverte te permettant de voir les autres circuler dehors sur le balcon. Est-ce que tu l'écouterais parce que tu te sens ainsi, avec cette tendance à te laisser faire, ou est-ce que tu questionnerait sa décision? Te révolterais-tu? » Des questions. Des recherches. Des notes. Simplement pour essayer de comprendre et mieux comparer. De quoi ajouter de la substances à ces écrits que je m'efforce de réaliser. Non pas pour m'occuper, mais pour comprendre. Pour trouver la source de son comportement, de leur comportement à tous. « Je peux comprendre que la situation se déroule au mieux si les règles sont respectées, c'est à la base même de toute chose, mais je ne comprends pas qu'il n'y ai aucune remise en question de ta part sur cet environnement et ce qu'ils peuvent nous faire. Je voudrais juste comprendre. » Réellement simplement comprendre. Même si mes propos ne sont pas forcément appropriés. Plutôt cru et francs que modérés.

Était-ce donc là la solution à ce que je voyais comme des problématiques? Simplement se refuser à creuser, à chercher et réfléchir sous prétexte que de réponses il n'y avait pas à l'heure actuelle? Il ne semble pas même savoir si des questions il s'en pose réellement. Si annihilé par cet endroit, ce blocage. Coincé. Mentalement enchaîné à ce qu'on aspire de nous. Ça me dépite. Abasourdi par tout ceci. Par cette rencontre et la discussion qui en découle. Aspirant surtout plus que tout ne pas me faire aspirer par cette fatalité. Refusant de les laisser gagner si facilement même si non je ne me sens pas être de ceux qui se révolteront contre l'autorité absente au regard. Chercher. Creuser. Analyser. À force de temps j'y arriverai. Je trouverai. À force de discussions forcées avec des individus que je ne veux pas côtoyer peut-être que je découvrirai. Je devrai marquer d'une croix cette solitude à laquelle chaque pore de mon être aspire. Faire le pas vers cette sociabilité pour laquelle je ne suis en rien doué. Je sais. Je n'analyse pas que les autres alors que je fais parti du problème. Reclus. Renfermé. Paranoïaque. Direct et agressant en ma façon de m'exprimer. Je note simplement tout ce qui pourra me servir dans l'analyse global de cet endroit et ce qui pourra en découler. Pour moi et pour les autres. Je pose donc un problème, une situation. Curieux de savoir ce que je son esprit lui dicterait de réaliser comme action. La peur normal d'être puni malgré le mécontentement. Le réflexe normal, typique, de celui qui ne va pas naturellement à l'encontre de ce qu'on lui dicte de réaliser. Celui qui ne va pas en dehors du cadre, des normes, des règles. Il ne sera pas un bon candidat si cette tangente est à considérer.

« L'intelligence est un concept très relatif basé comme tout le reste des détails de la société sur des normes que certaines personnes ont décidé d'imposer à l'ensemble de la population. Tu arrives à parler, à entretenir une conversation avec quelqu'un. Tu arrives à penser et à avoir tes idées et tes solutions aux problèmes que tu rencontres. Tu fais preuve d'intelligence de par ces simples concepts. » Je repousse mon plateau du bras. Incapable de manger quoi que ce soit de toute façon, de me convaincre de le faire. « Je ne crois pas non plus que le courage soit nécessaire pour la révolte. Lorsqu'on est préparé, on peut se révolter sans avoir à se frotter aux punitions en transgressant les règles. Une révolte n'implique pas forcément un bris ou des coups. Parfois il faut simplement savoir où viser pour arriver à engendrer une réaction. » Et c'est ce que j'essaie aussi de trouver. Le détail qui fera vaciller les créateurs de cet endroit. Celui qui les fera réfléchir et avec de la chance modifier leur façon de faire. « Là est l'importance de réfléchir et d'observer, de supposer et extrapoler sur l'extrême de concepts. Lister les points faible d'un environnement. Chaque être en son unicité arrivera à poser le doigt sur un détail différent, mais tous ensemble nous trouverons le nœud du problème ou la solution. » C'est sans doute fou. Utopiste. Peut-être suis-je après tout le plus fou de nous deux, mais à défaut d'avoir mieux à faire c'est là que je pose le peu d'énergie que j'arrive à soutirer à mon corps.

Des mots. Des phrases. Des concepts. Toute chose sortant de ma bouche semblait s'insérer en un charabia incompréhensible en l'esprit de mon vis-à-vis. Ses traits trahissant une perplexité grandissante que je ne savais comment atténuer. Je n'avais pas cette impression. Pas l'impression d'exprimer un point de vu si complexe à intégrer, mais il faut croire qu'en tant d'autres circonstances mon esprit n'arrive à fonctionner comme celui d'autrui. Une norme. Une normalité. Une façon d'être et de penser. Étais-je réellement à ce point à côté de cette définition de la pensée à laquelle la majorité s'identifiait ou étais-je oui simplement le plus fou de nous deux à ainsi présumer toutes ces choses que je ne peux prouver. Une rébellion certes, mais par où commencer. Une recherche à effectuer. Des observations à réaliser. Tant de détails à noter que la simple pensée de la chose me vrillait l'esprit d'une pression fort peu modérée trahissant sans peine l'arrivée d'une nouvelle migraine. La peur. Le trou noir menaçant de nouveau de se présenter. Je dois calmer ma tête. Je dois peut-être poser un peu sur papier ce que je veux chercher avant de me lancer. Faire le tri dans mes idées. Laisser les autres explorer puis les questionner pour ajouter à la banque d'informations que j'aspire tant accumuler. La serre. Le ciel nocturne. Comme si les étoiles pouvaient nous guider. Comme si elles avaient une réponse à accorder. Pourquoi pas après tout. Toute piste était bonne à explorer. « Toute chose est bonne à observer, annoter et détailler afin de pouvoir repérer facilement tout changement qui aurait pu s'effectuer. Il en va de même avec les gens ici, le comportement. Noter les comportements normaux, les comportements étranges afin de valider s'ils sont récurant. Il faut arriver à faire un portrait de la normalité de l'endroit pour trouver toute chose qui pourrait en déroger en guise de piste à creuser plus amplement. » C'est ce que je suppose être la chose la plus facile à observer bien que ardue à réaliser. Seul du moins. Il me faudrait des alliés, mais à qui puis-je réellement faire confiance dans cet endroit si ce n'est à moi-même? Là encore je doute. Je doute de moi. Je doute de mes pensées. Je doute de mes analyses. D'où l'importance de plus d'un esprit pour tout remarquer.

« Quelque chose ici n'est pas normal, et non seulement en l'amnésie et la séquestration. Tout es propre, blanc, immaculé, futuriste. » Je pointe ma montre. Les machines. Les installations. « Et pourtant tout est vieux, très vieux. Les meubles sont d'une autre époque, la finition trop peu lisse comme le reste de cet environnement. C'est étrange. Ça sort du cadre. C'est ce genre de détails sur lesquels il faut s'attarder. Tout ce qui semble ne pas aller de paire avec le reste. Une personne trop assurée ou au contraire trop apeurée. » Une anormalité flagrante pour qui serait l'observer. « Peut-être trouverez-vous dans la serre oui. »

« Je ne suis pas normal non, mais ça je le sais déjà. Je ne sais simplement pas pourquoi. Pas encore. C'est une raison comme une autre de devoir chercher le pourquoi de tout ceci. Le pourquoi tu te sens bizarre également. Tout est bon à noter, que ce soit sur nous ou les autres. C'est en ayant un portrait de l'ensemble que nous arrivons à avoir un échantillon concret de tout ceci. » Que ce soit agréable ou non de m'analyser moi-même. Je le faisais déjà. Je détaillais déjà la moindre de mes actions. Ma façon de penser. Ma façon de réagir à cet endroit et ce qu'il impliquait. Tout se devait simplement d'être comptabilisé. D'être noté. L'environnement. Les étoiles. Les comportements. La nourriture. La quantité de nourriture que les gens mangeait. La fréquence des douces. Les incidents. Les soulèvements tranchants avec la soumission aux règles et demandes. « Peut-être que cet endroit a été construit par quelqu'un qui essayait de recréer un environnement sans savoir comment le faire. Ce n'est pas cohérent. C'est décousu et désordonné malgré l'alignement presque parfait de chaque meuble et chaque élément. C'est trop propre, trop bien enligné. Ce n'est pas normal non plus. Ça ne peut pas l'être. Personne n'est si perfectionniste tout en laissant passer des incohérences comme celles-ci. » Ça ne peut pas être logique non, mais l'explication manque. Elle se fait désirer. Elle ne sera assurément pas facile à trouver.

Je fixe son sourire d'une absence d'expression de mon côté. Hésitant un instant lorsqu'il propose de me tenir au courant de ses observations. C'est ce que j'ai demandé. Presque. Et pourtant j'hésite oui parce que je ne sais à qui je peux me fier, mais ai-je le choix? Seul il est évident que je ne peux pas y arriver. « H04-8, je ne sais plus si je te l'ai dit. » J'ai mal au crâne et je sens le malaise se profiler. Je n'arrive plus à penser correctement et je dois me coucher. Je dois faire passer cette impression que rien ne va aller. Je me lève donc, un peu chancelant. Le fixant en poursuivant. « Envoi-moi un message si tu trouves quelque chose. J'en ferai de même si je juge une information pertinente. Plusieurs cerveaux ne feront pas de tord non. » Je m'appui à la table et prend une grande inspiration. « Je dois aller me coucher un peu. Désolé. Merci pour la conversation. » Et je m'éclipse d'un pas quelque peu chancelant pour retourner à ma chambre et m'y coucher. Le trou noir. Je dois comprendre la source de ces trous noirs. Je ne peux pas continuer de les encaisser ainsi...