Fortunate Son [H01-7]

Ce petit con. Un an que je m'évertue à essayer de le voir, ne serait-ce que poser les yeux sur lui pour m'assurer qu'il va bien. Un an à venir régulièrement dans cette prison où il a été enfermé parce qu'il y a quelque chose qui s'est mal passé. Ça arrive, ça peut tous nous arriver, ça nous arrivera même sans doute tous vu comme on est mal barré dans l'armée. Je me suis bien rapidement rendu compte que si pour quelques supérieurs notre vie avait une réelle importance, pour d'autres nous n'étions que de la chaire à canon à sacrifier sur la première ligne de front. Sans doute est-ce partiellement la raison pour laquelle j'ai décidé de devenir pilote plutôt que simple soldat. En un sens le risque était encore plus grand, les appareils n'étant assurément pas la chose la plus discrète, mais au moins je ne risquais pas de me faire exploser le visage en pilant sur une mine. Ce qu'étrangement je considérais pire. On se faisait entrainer à plus d'une chose, se faisait parler de bien des armes, mais la pratique et la théorie restaient deux choses totalement différentes. Nous intimer au calme, à la patience, à la maîtrise de soit se faisait bien en centre d'entraînement où le plus grand danger était en quelque sorte nous même ou nos compagnons d'entrainement qui se faisaient un plaisir de nous en foutre plein la gueule pour un tout et un rien. Sur le terrain... on pouvait parfois déchanter assez rapidement et réaliser que non ce n'est pas si facile de rester calme et en totale maîtrise de sa personne. Certains arrivaient à garder le cape, d'autres... D'autres l'avaient plus difficile et il suffisait d'un infime petit détail pour que leur monde entier s'écroule sans possibilité de retour. Oh comme il me faisait peur ce point de non retour, comme je l'avais admiré et craint depuis que j'étais entré dans l'armée gamin parce que j'y voyais une façon de me rendre utile à défaut de savoir quoi faire d'autre de mes dix doigts. Je le craignais jusqu'au fond de mes tripes, mais j'avais eu de la chance... pour le moment. Lucas non.

Lucas avait emprunté le chemin le plus difficile et je me refusais de le laisser s'y enfoncer davantage. Je me refusais de le laisser affronter ça seul même s'il me repoussait si fortement. Il devait bien savoir ce con que je ne le laisserais pas tomber si facilement. Je ne laissais tomber personne si facilement. Ça faisait un peu parti des normes de l'armée après tout de n'abandonner personne, même le plus gros connard qui a pu nous faire chier aux limites de l'acceptable. Même lui ne méritait pas peu importe ce qui pouvait se passer en situation de guerre. Alors lui, lui que j'apprécie plus que bien des gens dans ma vie, il était hors de question que je l'abandonner à son triste sort sans lui montrer que je suis là pour lui peu importe ce qui se passera. Même si je ne pouvais pas physiquement être là, ici, avec lui pour le soutenir en permanence. Qu'il sache que je tenais suffisamment à lui pour venir encore et encore et encore jusqu'à ce qu'il daigne me voir me suffisait. Ça m'avait suffit jusqu'à ce qu'en ce jour bien précis il change la donne et accepte enfin de me voir après une année entière à essayer. Il commençait à être temps et ça me soulage plus que tout parce que même si je n'ai pas moi-même expérimenté la prison, je me doute que ce n'est pas facile tous les jours. J'en ai même fait des cauchemars, imaginant apprendre qu'il s'était fait buter par un meurtrier ou je ne sais quoi pour je ne sais quelle raison. Alors de le voir... Ça me faisait un bien fou oui, me rassurait surtout.

J'ai retiré mon bien trop porté habit militaire pour l'occasion, abordant plutôt un jean et un tee-shirt noir tout ce qu'il y a de plus basique alors que j'attends assis à l'une des tables de cette grande salle où on m'a guidé. Heureux également de ne pas avoir à lui parler au travers d'une vitre avec un combiné de téléphone qu'il pourrait simplement raccrocher. Il ne m'échappera pas si facilement après tout ce temps. Il a de la chance que les contacts ne soit pas permis parce que je crois que je lui en aurais collé une pour le principe. Et lorsque je le vois enfin poser pied dans la pièce... je soupire et fronce les sourcils de voir comme il a été malmené. Oh ces cons. « Tu croyais vraiment que t'arriverais à me décourager à force de non? Tu devrais me connaître mieux que ça depuis le temps. » Que je rétorque à sa salutation en essayant d'esquisser un sourire. « Un an... tu t'en sors? » Qu'est-ce que je pourrais réellement lui demander d'autre que ça même si je me doute que ce n'est pas le sujet de conversation par excellence? « Oh et j'ai fait un généreux don à ta commission pour me venger de tes enfantillages, histoire que tu puisses penser à moi chaque fois que tu achètes quelque chose. Tu sais, histoire de te rappeler que des non ça ne fonctionne pas avec moi... » Je ne souris que davantage avant de prendre un air un peu plus sérieux. « Content de te voir Ace, vraiment. »

À mon avis? À mon avis il ne s'en sort pas non. Je le vois à son visage, à son attitude, aux marques qu'il a sur les bras. Je le vois au reflet que je ne perçois plus dans son regard, aux larmes qui lui montent aux yeux lorsque je poursuis en lui disant que je lui ai bien rempli sans commission en guise de 'vengeance'. Plutôt parce que je me doutais qu'il n'aurait pas de quoi la garder à flot bien longtemps, le reste n'était qu'une coïncidence de timing puisque je l'aurais fait de toute façon. Je me doutais que ça n'irait pas non. Qui pourrait bien se porter dans de telles conditions? Coincé dans un environnement en rien agréable, soumis aux lois inhumaines qui y régnaient et aux corruptions qui s'y tramaient pour permettre au 'plus forts' de faire leurs petites affaires sans se faire chier avec les gardes? Ce n'était un secret pour personne et à en juger par son état il prenait cher et je ne pouvais rien faire de plus pour l'aider que lui montrer que j'étais-là et lui permettre de s'acheter un poils de réconfort dont on ne laisserait peut-être pas même profiter pour ce que j'en savais. Putain de vie. J'aurais tellement aimé pouvoir faire plus. J'aurais aimé lui dire de ne pas pleurer, que ça irait, que je serais toujours là. J'aurais aimé pouvoir lui dire que ça toucherait à se fin à un moment ou un autre et que ce jour-là aussi je serai présent pour venir le chercher et pour l'aider à se remettre sur ses pieds. Qu'on se ferait des sorties à la con pour lui changer les idées et lui coller un semblant de sourire sur le visage parce que là ça n'allait pas cette tête qu'il tirait même s'il avait ses raisons, mais je ne le dis pas. Je ne dis rien de tout ça. J'ai gardé pour moi le flot d'émotions perlant à ses yeux qu'il ne s'en prenne pas une par les autres détenus présents lorsqu'il devrait retourner à son monde et moi le miens. Me doutant bien que ça devait être aussi bien vu que dans les entraînements, les mecs étant des connards partout. J'ai gardé pour moi tous les beaux plans que je lui avais préparé pour ne pas le secouer davantage et le faire se morfondre un peu plus sur tout ce qu'il ne pouvait pas avoir à l'instant présent. Je me suis plutôt concentré sur ça, l'instant présent. Affichant une mine désolé, une mine compréhensive.  

J'ai eu envie de balancer d'autres bêtises pour essayer de détendre un peu l'atmosphère, mais je me suis encore retenu. Un peu trop convaincu que bêtises ou non, rien n'allait réellement pouvoir améliorer le pesant de la situation, des circonstances, de toutes ces choses qu'il ne disait pas et me laissait simplement présumer. Pour le pire... Rien qui ne promettait d'améliorer mes nuits de sommeil dans les semaines à venir. « Honnêtement, je ne m'étais pas fait d'attentes Ace. Je voulais juste pouvoir te voir et parler un peu avec toi de ce qui te plait. On a pas même à parler de cet endroit. On peut parler de n'importe quoi. Je suis là pour te faire passer au moins un bon moment dans ta journée tu vois, même si ça implique que je me mette des doigts dans le nez en te parlant. » J'essaie d'esquisser un nouveau sourire tout de même, sans forcément attendre qu'il me le rendre. Dans sa situation je n'aurais probablement pas non plus le cœur à sourire. « Je ne te traiterai pas d'égoïste pour ça. Je comprends tu sais, je ne suis pas aveugle et je ne suis pas stupide, mais c'est justement pour ça que j'ai insisté si longtemps pour te voir. Pour que tu puisses tu sais... parler à quelqu'un qui ne te jugera pas peu importe ce que tu diras. Parfois ça fait du bien de juste parler. Ça enlève un poids sur les épaules de ne plus être la seule personne a se tirailler l'esprit avec une situation, de savoir que quelqu'un d'autre sait ce qui se passe dans notre crâne. » Je croise les mains sur la table devant moi en le fixant toujours. « Tu sais que je ne te forcerai jamais à rien et que peu importe ce que tu pourrais me dire rien ne me fera partir en sens inverse. Je t'aime bien trop pour ça. Bon je sais que ce n'est pas le meilleur endroit, mais t'as de la chance je ne me suis jamais explosé les tympans avec des écouteurs alors j'ai une oreille de la mort. J'entendrais une souris chuchoter. » Heureusement que je ne voulais pas dire de bêtises, c'est un peu raté pour le coup. « Et évidemment si tu as besoin de quoi que ce soit, tu hésites pas et tu m'appelles ok. Je vais toujours décrocher. »

Je me félicite d'avoir au moins réussi à lui tirer un semblant de rire, me disant que c'est assurément mieux que rien compte tenu des circonstances. Enchaînant en lui exprimant à quel point je veux qu'il sache qu'il peut me parler de tout et de rien, de n'importe quoi, sans craindre une quelconque forme de jugement de ma part. Je ne suis pas là pour le juger, je me sentirais très mal de le faire de toute façon. Personne en ce monde n'est parfait et ce n'est pas parce que nous avons emprunté des chemins différents que le mien est meilleur que le sien. Ce n'est pas parce que nous ne nous trouvons pas au même endroit dans nos vies que je suis meilleur que lui, que je suis une meilleure personne, et jamais je ne le prétendrai non plus. Je n'ai pas la vérité infuse, je merde aussi et je continuerai sans doute de le faire, mais c'est ça qui nous rend si humain. Notre capacité à douloureusement nous casser la gueule simplement pour mieux nous relever et moi j'étais sa béquille. J'étais là pour l'aider à avancer même s'il n'était pas toujours possible de m'avoir à disposition. Même si le plâtre de sa vie ici était encombrant et désagréable, je restais là quelque part pour l'aider au mieux lorsqu'il serait en mesure de m'utiliser. Bon la métaphore était un peu étrange, mais le point était-là et j'imagine qu'en quelque sorte il l'appréciait à en juger par son commentaire dont la formulation semblait aussi particulière qu'appropriée compte tenu de l'endroit, mais je m'en foutais bien. Pas de jugement, pour rien, et surtout pas ici. Mon point étant apporté je l'écoute parler, mains toujours croisées sur la table entre nous. J'observe les traits de son visage, une douleur certaine semblant les animer peut-être même malgré-lui. Ça me désole tant de le voir ainsi, de le savoir ainsi. « Rien de bien nouveau honnêtement. Tout le monde fait sa vie de son côté et on se retrouve à l'occasion, mais on est plus des gamins. Ce n'est plus mandataire maintenant de nous voir sur une base régulière même si j'imagine qu'on devrait le faire plus souvent. » La différence d'âge ne rendant assurément pas la chose toujours facile non plus, me trouvant plus près de l'aîné que de tous les autres membres de la famille. Sans doute devrais-je faire davantage d'efforts oui, ayant une famille sur qui compter au besoin ce qui n'est pas forcément le cas de tout le monde. « Et pour le reste c'est toujours du pareil au même. Je suis une personne franchement ennuyante, tu devrais le savoir depuis le temps. » Que je termine en esquissant un nouveau sourire avant qu'il ne poursuivre.

Je fronce les sourcils en l'entendant baisser d'un ton, mon expression ne changeant pas lorsqu'il mentionne un club, mais ne pouvant retenir mes lèvres de s'entrouvrir devant l'évidence qu'il n'évoque ensuite qu'à moitié. Tous les soirs. Je soutiens son regard, désolé, vraiment horriblement et totalement désolé parce qu'on ne peut souhaiter ça à personne. Même si l'un comme l'autre nous n'avons pas de problème avec ce côté de la médaille, on ne peut souhaiter ça à personne. Ça ce n'est pas agréable, ce n'est pas correct, c'est simplement l'être humain assouvissant ses plus bas et malsains instincts et lui... « Je comprends ne t'en fait pas. » Je me fais violence pour ne pas simplement tendre une main dans sa direction pour le rassurer davantage, espérant que mon regard certain plongé dans le sien suffira à le convaincre sur ce point. « Je te promets que je serai toujours là pour toi ok Ace. Je te le promets. Je me doute que ce n'est pas facile et je me doute aussi que les options sont limités pour t'aider avec tout ça alors j'ai envie de te dire que si c'est de ça dont tu as besoin pour sortir d'ici en un morceau, même si ça implique du long terme à l'extérieur de cet endroit, je serai là pour toi. Je te laisserai pas tomber pour ça. » Je n'approuvais pas forcément pour autant, y voyant là quelque chose d'horriblement dangereux et surtout entièrement contraire à la 'sauvegarde' à laquelle j'avais dédié ma vie, mais je ne pouvais pas le juger. Je ne le pouvais simplement pas. Pas alors que je voulais plus que tout le voir sortir d'ici vivant. Pas alors que je n'étais pas en meilleure position que lui de toute façon, étant en quelque sorte moi aussi dans un gang soumis aux autres d'un leader que je me devais de respecter. Deux mondes, mais une réalité si similaire que oui je ne pouvais que promettre. « Tu sais... si le monde était parfait, si nous étions tous parfaits, il n'y aurait pas de guerres, il n'y aurait pas de prisons, il n'y aurait pas de punitions, mais nous ne sommes pas parfaits. Nous sommes émotifs et nous sommes dotés d'une conscience naturelle à vouloir nous sauvegarder même si ça implique de réaliser des actions qui semblent... totalement irréfléchies. Parfois c'est nécessaire et comme tout le monde je suis une personne émotive... et je m'en voudrais jusqu'à la fin de ma vie de t'avoir abandonné pour si peu parce que la simple idée de le faire me fend le cœur. Alors je promets, mais promets-moi de faire attention à toi ok. Ici et dehors quand ça arrivera. Tu peux faire ça? »

J'acquiesce de la tête lorsqu'il me dit que je dois faire attention à moi également, essayant de tout mon être le faire et pour le moment je m'en suis tiré pas trop mal. Quelques marques superficielles, mais il faut ce qu'il faut. Pour le reste la prudence était une évidence, mais, comme pour lui je suppose, le facteur aléatoire jouait assurément beaucoup sur ce qui allait réellement se passer au final. On pouvait agir le plus prudemment du monde et finalement se prendre une balle dans la gueule parce qu'on avait oublié de garder un œil sur une personne ou un angle ou qu'on avait été distrait une fraction de seconde de trop. Le reste était hors de nos mains... « Oh merci de me dire que mon avis ne comptais pas dans la décision final, comme je suis choqué. » Dis-je en souriant plus largement en essayant de l'embêter un peu malgré le sérieux de tout ceci. Je m'en voudrais simplement de terminer cette conversation sur une note un peu trop amère sans savoir à quel moment je pourrai le voir de nouveau. Cette tête de mule a bien été capable d'attendre une année entière avant de me voir alors j'imagine qu'il serait bien capable de recommencer s'il ne se sentait pas capable de me revoir de nouveau pour une raison ou une autre. Même si je m'efforçais au mieux de lui rappeler que j'étais là pour lui, peu importe ce qui se passerait. Je crois que c'était une preuve en soit qu'il n'arriverait définitivement pas à se débarrasser de moi si aisément. « Ta famille est stupide voilà tout. Si elle n'a pas compris que ce dont tu as besoin en ce moment c'est du soutiens pour te porter mieux elle n'est définitivement pas digne de toi. Puis tu en as une famille. Bon, je ne suis peut-être pas aussi roux que toi, mais j'imagine qu'avec un peu de teinture ça peut s'arranger. » Je lui offre un nouveau sourire avant d'entendre un garde mentionner que les visites sont terminées et je soupire en pinçant les lèvres.

« Je vais te demander une chose Ace, une dernière chose, mais une chose à laquelle je tiens vraiment beaucoup et c'est que tu me laisses te voir à l'occasion. Peu importe ce qui se passera entre ces murs. Tu n'as pas à me parler de quoi que ce soit si tu ne veux pas le faire et si tu veux le faire tu as ma parole que tu ne verras pas l'once d'un jugement dans mon visage ok. Je veux juste... pouvoir m'assurer que ça va, que tu es encore en un morceau. Et sinon... juste... appelle-moi ok si t'as besoin de quelque chose. » Je suis plus que sincère et j'espère qu'il le sent. J'espère qu'il sent à quel point je l'aime ce con alors que je me lève à regret en faisant un signe au garde pour demander si je peux juste poser ma main sur son épaule. Il me fait signe que oui et je le remercie en posant ma main contre l'épaule d'Ace pour la serrer un peu. « Ça ira, ne baisse pas les bras. » Puis je le relâche et me dirige vers la sortie comme tous les autres visiteurs pour aller m'asseoir dans ma voiture... et y passer une bonne dizaine de minutes avant de réussir à partir. Essayant juste de traiter l'information dans mon esprit et me convaincre que oui ça va aller. Un gang... On ne sait jamais réellement ce que la vie va nous apporter et placer sur notre chemin c'est un fait. On ne sait jamais de quoi la vie sera faite et ce que nous devrons faire pour y survivre...