Wake up Ft. Sleven

J'avais espoir que ça aiderait, que ça pourrait apaiser mes nuits bien trop mouvementées de ces images qui me hantent depuis des semaines. J'avais espoir que ça fonctionnerait oui, aussi farfelu que ça pouvait être, mais non. Rien ne fonctionne, rien n'apaise, rien empêche les images de s'enchaîner dans mon esprit nuit après nuit encore et encore en une boucle infernale dont je n'arrive pas à me soustraire. Mon esprit me torturant de toutes ces misères auxquelles je n'ai finalement qu'ajouter une couche supplémentaire s'imposant avec tout le reste pour m'éveiller en plein milieu de la nuit en retenant presque tout juste des hurlements faisant échos à ceux matérialisés en mes cauchemars. Je n'en peux plus, épuisé par ce bordel dont je n'arrive pas à me débarrasser. Était-ce ainsi avant que je m'éveille ici sans m'en rappeler? Mes nuits étaient-elles ainsi? Parce que si c'est le cas le volontaire de cette amnésie ne m'étonnerait même pas. Le simple espoir d'un moment de répit dans tout ceci me donnait presque envie de demander à ce qu'on éradique tout de mon esprit à nouveau. J'avais tellement aspiré à retrouver des souvenirs et maintenant je le regrettais amèrement, comme tant de choses que je ne savais plus sous quel angle encaisser. Ce que je pouvais regretter ces fioles d'alcool aussi parce que là aussi la perspective de les enchaîner avant ici me semblait devenir une évidence expliquant ce sentiment de chute en terrain glissant qui m'avait secoué les tripes dès la première gorgée. Bon sang ce que j'ai pu être écorché... Et plutôt que chercher à trouver du bon, à ajouter du bon, je me laisse stupidement couler dans ce ravin que je voulais éviter en laissant la noirceur m'englober.

La seule chose, minime, ayant sembler aider un minimum c'est cette présence. Étonnamment. Pas forcément la sienne, même s'il est la seule présence que j'ai vraiment expérimenté, mais la présence de quelqu'un lorsque je m'éveille d'un énième cauchemar. Comme si ça m'aidait à trouver pied dans le présent, dans la réalité. À juste me rappeler que c'est passé et que ce n'est pas le moment présent qui se déroule contre mes paupières fermées. La pression de sa main contre ma nuque, le son de sa voix brisant le rythme de ma respiration saccadée... Peut-être y avait-il quelqu'un avant aussi, un autre roc sur lequel m'appuyer pour m'aider à me convaincre en plein milieu de la nuit que ce n'est que le fruit de mon esprit qui me malmène encore et toujours. Une présence qui m'aide à essayer de dormir de nouveau et pas simplement m'asseoir dans mon lit et essayer de me calmer par moi-même pour finalement me priver bien trop longuement de ces précieuses minutes de sommeil.

Le dernier réveil en date de la nuit se fait tout de même plus doucement, ponctué d'un simple soupire et d'une main que je sens se poser contre ma cuisse avant d'entendre sa voix résonner dans le silence. « Non. » Que je mentionne simplement avant de m'asseoir dans le lit pour passer les mains dans mon visage. « Ça me semble surtout empirer à chaque fois. Les visages... » Un nouveau soupire m'échappe alors que je remonte mes genoux vers mon torse. « J'ai l'impression qu'avant d'arriver ici c'était la même chose... Que je devais probablement en boire un coup pour faire passer le truc ou au moins m’assommer un bon coup pour arriver à dormir un peu. Ça ou des cachets pour dormir, je ne sais trop. Je... n'arrive visiblement pas à faire la paix avec ma tête et c'est problématique. » Surtout pour mon humeur et mes nerfs j'ai envie de dire parce que ce n'est assurément rien pour aider.

Je me doute oui que je n'arriverai pas à trouver la paix d'esprit en un claquement de doigts, que de prétendre que tout va bien aller ne suffira pas à refermer la plaie béante en mon esprit me saignant à me vider de cette énergie durement perdue de toutes ces nuits ratées. Je me doute qu'il faudra davantage, que les 'méthodes' énoncées ayant pu être des alternatives par le passé ne sont plus envisageables. Pas dans cet endroit où souffrir semble être la finalité inévitable de toute façon. C'est pour cette raison que j'ai accepté de tester sa méthode. C'est pour cette raison que je me suis donné corps, mais surtout âme, à cette expérience qui oui me donne l'impression d'empirer la situation bien davantage qu'elle ne l'améliore. « Je sais oui que le manque de sommeil n'aide pas. » Que je réponds un peu sèchement à son commentaire, glissant les mains dans ma nuque pour y faire pression en penchant la tête avant de continuer.  « Les siestes ne sont même pas envisageable. La lumière est allumée toute la journée, avoir la tête sous le drap me donne l'impression d'étouffer et je suis si… sur mes gardes en permanence, crispé, que je n'arrive pas à me détendre assez pour arriver à dormir malgré le manque de sommeil de toute façon. Je ne suis pas habitué à siester. » Parce que je suis un fichu soldat merde et que je devrais être capable de fonctionner malgré le manque cuisant de sommeil, ce que je fais. Je fonctionne au prix de ma patience, mon calme et une quelconque forme de bonne humeur qui ne font qu'ajouter à cette douce folie qui me berce. J’arrive à sourire, parfois, mais c’est mécanique, forcé. Rien qui ne transpire une quelconque envie de réellement le faire. « J'essaie de courir, d'achever mes réserves d'énergie, mais ça ne suffit visiblement pas. À tous les soirs… même si j’essaie de penser à autre chose, ça se glisse immanquablement dans mes pensées parce que je cherche désespérément une façon de me débarrasser de ces images et depuis… depuis qu’on… il y a ces visages qui s’ajoutent aux autres et… » Et dans cette noirceur pesante je n’ai pas même à forcer pour les voir se matérialiser comme si mes paupières étaient fermées.

« Les repas… il n’y a rien de réellement différent. Enfin, ça a bougé depuis que j’ai recommencé à m’entraîner un minimum, mais sinon il n’y a rien de plus qu’avant. Je brûle des calories, je mange des protéines. Je ne dors pas… visiblement je dois me débrouiller avec tout ça. » Et je sens que mon ton est agacé, trahissant sans peine mes nerfs à vif que je n’ai pas envie de déverser sur lui, sur personne, mais c’est plus fort que moi comme tout le reste de ce que la fatigue peut engendrer. Je relâche ma nuque, repoussant les couvertures pour m’asseoir au bord du lit en passant un main dans mon visage, dans mes cheveux, fixant l’obscurité en expirant fortement ma frustration. J’ai envie de frapper quelque chose, depuis des jours, depuis des semaines, mais s’il y a bien une chose à quoi on a pas accès pour nous défouler c’est ça. Certes maintenant on a le droit de se frapper durant une période déterminée, mais je ne me vois pas coincer le premier connard sur lequel ma main va tomber pour lui en coller une sous prétexte que je me sentirai mieux ensuite. Je ne veux pas devenir cette personne. Je ne sais pas qui je veux devenir, mais pas cette personne. « Ça passera. » Que j’ajoute finalement avec une pointe de découragement. Je n’ai pas le choix de toute façon. Il faut que je le fasse passer et visiblement il faut que je me débrouille seul pour y arriver.

J'ai l'impression de sentir ma respiration se faire lourde dans mon torse lorsque je le sens poser sa main contre mon bras même si je n'essaie pas de me dégager de sa prise. Je serre simplement les dents, agacé, même si je sais qu'il a raison. Je ne fais que répéter la même chose, râler, me plaindre de tout ça et jusqu'à maintenant ça ne m'a rien apporté de plus que m'agacer moi-même et lui également visiblement. Avec raison. Le mot 'évoluer' me fait tout de même expirer fortement même si je ne réponds pas à son questionnement. Le laissant parler en rageant de l'intérieur, fixant le plafond en secouant la tête lorsqu'il me sort qu'il croyait que j'étais un soldat. On est deux alors. Je croyais oui que j'en étais un. Je croyais que je m'étais fait un point d'honneur à aider les autres, à les protéger, mais l'évidence me semble actuellement être toute autre. Que ce soit par le passé ou ici. L'évidence est bien loin de ce bon fond auquel j'essayais si désespérément de m'accrocher. L'évidence est douloureuse et difficile à assimiler, bien davantage pour moi que pour lui visiblement, parce qu'elle va à l'encontre de tout ce que j'avais supposé, tout ce que j'avais espéré. Elle est loin de tout ces standards que je m'étais si aveuglément créé lorsque la discussion avec 5 m'avait fait réaliser ce détail de mon passé. J'étais un soldat oui, mais je ne l'étais semble-t-il pas pour les bonnes raisons et on voit où ça m'a désormais mené. À être cette loque qu'il mentionne lui-même, cette carcasse vide et désespérée qui ne fait que s'enfoncer encore et encore dans un trou sans fond où j'essaie si fortement de trouver une prise pour m'accrocher, mais peut-être est-ce justement ça le problème. Peut-être que j'essaie trop de m'accrocher à ce que j'aspirais tant être plutôt que me laisser sombrer dans ce que je suis. Peut-être oui que, là encore, il a raison et peut-être que si réellement je veux me donner à sa méthode, sa solution, je dois le faire corps et âme sans me poser de questions. Sans essayer de me cadrer dans cette boîte que je me suis moi-même créé. Peut-être oui qu'il est temps de laisser aller... et cesser de vouloir tant m'accrocher au passé.

Je l'entends s'approcher avant de sentir sa main se poser contre ma nuque, mon souffle se coupant un instant, mon regard s'assombrissant. L'accepter... Je laisse le silence planer un moment avant d'ouvrir la bouche de nouveau, mon souffle calme. « Laisse-moi le faire seul, une fois. » C'est la seule chose qui me semble réellement pouvoir fermer la boucle, qui me semble réellement me permettre de voir si j'arrive à le faire ou si je coince. La seule chose qui me permettra de voir si je suis ce que j'ai si peur d'être ou si tout ceci n'est qu'un tissu de mensonges que j'essaie de me faire assimiler à tord. Parce que faire ça, seul, il faut assurément avoir le nécessaire pour être en mesure de le réaliser et sans ça... « Je crois que c'est de ça dont j'ai besoin, pour l'accepter. » Sans ça, sans cette confirmation, je sens qu'une part de moi va simplement continuer de le nier jusqu'à la limite de l'acceptable. « Je réfléchis et je ne vois pas d'autre solution que ça et... je crois que je voulais retarder l’inévitable, mais que je n'ai plus le choix maintenant. Pas avec tout ce qui se passe dans ma tête. »