Well, I guess we gonna be roommates || H01-12

C'est étrange, perturbant, cette façon d'avoir les yeux ouverts et pourtant ne rien fixer d'autre qu'une totale obscurité. Enfin, presque totale si on omet la montre à mon poignet que je n'ai, semble-t-il, pas le droit de retirer. Je la fixe, à nouveau, soupirant en voyant les minutes passer comme des heures et me demandant si mon incapacité à dormir est liée à cet environnement ou si j'étais simplement un insomniaque chronique et ne m'en souviens plus. La nuit a été courte, forcée par un couvre-feu m'ayant forcé à arrêté le peu de lecture intéressante que j'avais trouvé dans la bibliothèque et avait décidé de prendre avec moi pour ne pas simplement me tourner les pouces dans ma chambre dans l'attente de savoir si oui ou non j'allais à un moment laisser un hurlement de profonde panique s'extirper de mes lèvres. Non, visiblement non. J'étais même étrangement calme, posé, comme si le fait d'avoir pris le temps d'explorer mon environnement la veille avait suffit à calmer l'adrénaline qui me crispait douloureusement les muscles. En fallait-il réellement si peu pour me rassurer? Étais-je vraiment optimiste à ce point? Au point de me dire que si raison il y avait de paniquer elle se manifesterait bien assez rapidement et qu'entre temps ça ne m'apporterait rien de bon de le faire. Étais-je calme au point de ne pas même sursauter lorsque la lumière s'est allumée pour m'aveugler à 6h tapant du matin.

« Ouais, je sais, manque de fer. » Que je lance à la voix qui m’accueille comme la veille et ne m'apprend rien de nouveau. Peut-être que si j'aurais daigné me nourrir je n'en serais pas là, mais la dernière chose que j'avais envie de faire c'est me mettre une quelconque forme de nourriture en provenance d'une machine inconnue dans la bouche. Il pouvait y avoir n'importe quoi là-dedans et, aussi égoïste que ça puisse sembler, je préférais laisser à d'autres moins prudents le soin de la tester avant de juger si elle me semblait correcte. Disons plutôt que je ne me sentais pas d'être le prophète de malheur hurlant à la panique sur les tables et accentuant l'incompréhension générale en criant qu'il pourrait y avoir des drogues quelconques dans cette bouffe. C'est tout. Et si aujourd'hui personne ne me semblait halluciner au point de faire la poule dans un coin, peut-être que je daignerai y toucher. Je ne pourrai pas me laisser mourir de faim de toute façon...

Me levant finalement en frottant mes yeux et m'étirant un peu, je fais mon lit sans trop me poser de questions avant d'attraper des vêtements propres. Enfilant mon pantalon semblable à tous les autres tout en fixant les draps un peu trop bien pliés pour exclure le fait que j'aie pu être une quelconque sorte de maniaque du rangement. Réellement rassurant de ne rien savoir sur soi-même. Attrapant finalement une chemise, je sors de la chambre pour trouver la salle de bain et me lancer un peu d'eau fraîche à la figure en observant mon reflet toujours si inconnu à mon regard. Je ne saurais pas même dire l'âge que j'ai même si je miserais pour la fin de la trentaine à première vue. Ce que c'est frustrant, ce néant. Je dois bien avoir une trouvé une vingtaine de cicatrices la veille au soir en prenant une douche bouillante, testant un peu ma résistance à la douleur il faut l'avouer. Aucune d'entre elles ne me semblait avoir été infligée de ma main à en juger par l'angle, ce qui était rassurant, mais ne pas savoir comment je les avais eu restait un mystère que j'aurais espéré avoir été en mesure de résoudre. Toujours rien. Peu importe à quel point je cherchais, je réfléchissais, ou essayait de me rappeler, il n'y avait absolument rien. « Une autre journée qui s'annonce amusante... » Que je marmonne pour moi-même en enfilant finalement ma chemise et commençant à attacher les boutons.

Cet uniforme me semble trop parfait, trop apte à révéler le moindre geste qu'on pourrait avoir posé d'un simple regard. Un froissement de la chemise au mauvais endroit, une tache de couleur quelconque, le tissu blanc et humide de ce haut qui révélerait la présence de toute chose pouvant se cacher dessous... C'est un peu comme si la notion d'intimité avait été violée bien au-delà de cet apparent ménage de cerveau dont nous avons tous souffert. Comme si quelque chose ou quelqu'un voulait que nous soyons à sa merci sans possibilité d'échapper à la fatalité voulant que tout le monde observera sans cesse nos moindres faits et gestes. Étant visiblement tous les cobayes d'une expérience malsaine attendant de voir qui craquera le premier, qui se souviendra de quoi que ce soit le premier. Certains laissant place à des penchants violents pour soutirer la vérité alors que d'autres ne se feront que fins observateurs de tout ce qui se passera dans cet asile de cinglés. On est assurément bien tombés. Et si je me considère, pour le moment, d'un naturel calme, ça ne m'a pas empêché de sursauter en entendant une voix masculine parler non loin de moi. « Bon sang tu m'as fait peur. » Que je réponds en me tournant dans sa direction. Oh. Sans doute est-ce le second locataire de cet endroit à en juger par cette aise qu'il a à se balader en simple tenue d'Adam. Non pas que la chose me dérange, mais disons que pour une première rencontre ça surprend un peu. Je n'en fait tout de même pas davantage de cas. Parce que je suis de ceux prônant le 'la peau c'est de la peau' ou simplement parce que j'en ai vu d'autres dans cette vie antérieure dont je ne me souviens pas, ça je ne saurais le dire.

Comment me présenter donc à cet inconnu autrement que par un 'hey salut moi c'est monsieur l'inconnu et toi?' en sachant, du peu que j'en ai appris hier, que nous semblons plus ou moins tous être dans le même bateau niveau mémoire de nos noms. Si des noms nous en avons déjà eu. Peut-être sommes-nous ici depuis longtemps, coincés avec ces numéros comme si n'avions pas davantage d'importance que ça. Une fiche, un dossier, une expérience quelconque. Arf. Terminant de boutonner ma chemise, je fais donc un pas dans sa direction sans démordre de cette expression un poil trop sérieuse me collant au visage. « H01-7... 7 seulement j'imagine que ça peut faire. Alors... il semblerait qu'on soit colocataires tous les deux. » Ça ou il s'amuse à se la jouer exhibitionniste à qui voudra bien regarder. « Tu es dans les environs depuis longtemps ou tu viens seulement d'arriver comme moi? » Parce que la question se pose, histoire de savoir à quoi s'en tenir. Pour le reste, j'imagine qu'il faudra voir la réaction de chacun pour déterminer si on arrivera à vivre ensemble sans se la jouer 'c'est moi qui a la plus grosse'. Pas réellement l'envie que j'ai, mais je sens que je pourrais mordre pour avoir la paix au besoin.

Sept et douze, ça en est presque sympathique tout en étant complètement ridicule. Je n'arrive pas à comprendre qui ou quoi a eu la brillante idée de nous nommer ainsi, de matricules totalement vides de sens si ce n'est en ce 'H' qui semble visiblement représenter 'homme' au vue des discussions que j'ai eu. Comme s'il ne fallait que ça pour me rassurer. « Je crois que c'est un effet répandu que le corps n'apprécie pas trop le réveil dans les environs. » Dit celui qui n'a pas même été en mesure de s'empêcher de vomir dès les premiers instants. Soit j'ai un estomac délicat, soit mon corps n'apprécie pas les corps étrangers. Parce que je n'arrive qu'à m'imaginer qu'on m'a fait ingurgiter quelque chose n'étant pas des plus sain ou qu'on me l'a injecté je ne sais où. On ne peut pas simplement se sentir si mal sans raison. « Ouais. Tu peux utiliser la douche. » Que j'ajoute finalement pour répondre à son questionnement. Je devrais sans doute sortir maintenant, le laisser profiter de sa douche sans que je ne sois pas loin à pouvoir l'observer, mais puisque j'ai déjà vu tout ce qu'il y avait à voir et qu'en bonus j'ai des questions... Je décide simplement de m'appuyer contre le mur et fixer le plancher pour le laisser en paix un minimum. « Donc, tu n'es pas ici depuis plus longtemps que moi si je comprends bien... Et j'imagine que tu n'as pas non plus de souvenirs de quoi que ce soit d'autre en dehors de cet endroit? Pas de nom, rien d'aussi basique qu'une date d'anniversaire ou le souvenir du visage de parents, amis, famille? » Pas d'explications sur le pourquoi de cet endroit ni sur le fait qu'il se sent visiblement beaucoup plus à l'aise que moi de s'y balader au naturel.

« Tu sembles bien calme et souriant pour quelqu'un qui en sait visiblement autant que moi. Pas du genre à paniquer? » Que je demande également puisque c'est toujours bien de connaître les bases quand on se trouve à partager son environnement avec quelqu'un. Si je suis avec un anxieux chronique qui risque de se cacher sous son lit au premier élément perturbateur ce serait bien de le savoir pour ne pas m'en formaliser plus que de raison et arriver à agir en conséquence. Moi? Oh je sais que je peux prétendre ce que je veux, prétendre que tout ira bien et que je vais analyser avant de hurler à la panique, mais qui peut vraiment le savoir avant de voir les circonstances se présenter?

Rien pour s'assurer qu'il a bien eu une vie avant tout ce bordel, j'admets qu'il marque un bon point en mentionnant la chose. Un tatouage, c'est bien la seule chose que j'ai, mais encore là qui me dit qu'il ne m'a pas été fait dans cet endroit? Le fait qu'il ne me semble pas particulièrement récent, douloureux, n'est pas forcément un indicateur fiable à cent pourcent. Je pourrais très bien être ici depuis des jours, des semaines, des mois, sans même m'en rappeler. Contraint de vivre un jour de la marmotte en boucle sans m'en rendre compte parce qu'à tous les X jours on effacerait ma mémoire à nouveau. C'est arrivé une fois, pourquoi pas plusieurs? Et la perspective de tout ceci était, en un sens, bien davantage dérangeante et perturbante que le fait de devoir se balader dans un environnement inconnu pour le moment que je pourrai apprendre à connaître. Tout comme les personnes y évoluant. Je pince les lèvres, n'émettant qu'un « Hum. » en guise de réponse à son observation. Ce qui prouve tout de même que ce n'est pas un mal de parler entre nous puisque visiblement nous ne penseront pas tous de la même façon et auront donc des observations différentes à émettre. En groupe on arrivera peut-être à faire le point sur tout ce bordel.

Je lève vaguement les yeux dans sa direction lorsqu'il mentionne être celui à m'avoir 'enlevé', supposant que nous avons été kidnappés, avant de fixer de nouveau le plancher. Le petit rigolo. « La jouer collectif aura probablement des avantages oui. Peu importe la raison pour laquelle nous sommes ici, je ne crois pas que quiconque arrivera à quoi que ce soit à se la jouer solo. » Dis-je en me grattant distraitement le menton. « J'imagine qu'on devrait s'établir quelques règles pour nous aussi, histoire de ne pas se mettre stupidement sur la gueule sans raison. Enfin, outre le fait que je devrais te laisser prendre ta douche en paix. » Et ça m'inquiète presque de voir à quel point je ne suis pas du tout, mais alors là pas du tout, perturbé d'une quelconque façon par le fait de simplement papoter avec quelqu'un dans une salle de bain. J'étais un nudiste voyeur et je ne m'en souviens pas? J'espère que non! « Quelque chose du genre... on embête pas l'autre dans sa chambre et on parle avant de cogner? Ça me semblerait pas mal comme minimum non? » À croire que j'ai besoin de règles pour fonctionner, moi qui n'a pas même songé à enfreindre celles que j'ai lu près de la porte. Ce que je peux être coincé c'est pas possible.