Vegas Lights Out

Elle était partie. Il l'avait déposé à l'aéroport lui-même et elle était partie, le laissant seul en charge du bateau qu'était sa vie. Comment allait-il faire sans elle ? Il était déboussolé, condamné à errer sans but et priant pour son retour. Il n'aurait jamais pensé que ça aurait été si difficile, sans elle. Certes il comprenait qu'elle parte voir ses parents qui habitaient loin parce que son père avait attrapé la grippe du moment, mais quand même ! 5 jours où il allait devoir tout gérer à la maison et durant lesquels personnes ne serait là pour l’accueillir avec un sourire après le boulot, comment était-ce faisable !?

Eh bien en réalité, la solution n'était pas si compliquée à trouver. En ne rentrant pas à la maison, il n'aurait pas à s'en occuper et peu importait si quelqu'un était là où non pour l'accueillir ! Après le boulot, il s'était directement rendu dans un des nombreux bars de Vegas et avait bu. Chanté, aussi. Puis bu plus encore. Tout était un peu mélangé dans sa tête. Mais d'après les sages, il était important de vivre l'instant présent et présentement, il était avec son nouvel ami et c'était donc ça l'important. Ça et le whisky qu'il tenait en main, bien sûr. Oh merde, t'as quitté le bar avec le verre, d'ailleurs. Boh, pas grave.

« OoooOOOh you make me liiiive whenever this world is cruel to me » Il gueulait plus qu'il ne chantait dans les rues, avec son compagnon de beuverie. Mais Vegas étant Vegas, qui cela allait-il donc déranger ? HEIN ? Il était le roi ici d'abord ! Ou peut-être être la Queen ? Ahahah bordel qu'il était marrant dans sa tête.

« Rooh t'es pas gentil avec la dame ! C'est vrai qu'elle est moche, mais faut pas le dire ! Chuuut ! »

Entraîné par la chute de son ami, il tomba lui aussi sur le bitume mais le Dieu des bourrés étant clément, il ne se fit pas mal. Son verre gisait au sol, toujours entier mais déversant son précieux liquide et ça par contre, ça faisait mal. La gonzesse, elle, continuait de se rapprocher en grognant. Bordel, c'est vrai qu'elle n'avait pas été gâtée par la nature ! « Madame c'est pas parce que vous êtes moche qu'il faut mal le prendre hein. Il est bourré vous savez, il pense pas ce qu'il dit ! Vous avez juste l'air un peu fatiguée, faut dormir vous savez ? Alors circulez, ya rien à voir ! » Le fait qu'il ne puisse s'empêcher de rire n'aidait pas forcément sa crédibilité, certes. D'un autre côté, elle n'avait même pas l'air de l'entendre, continuant d'avancer bêtement vers eux.

Il resta au sol à rire de cette situation improbable. Bordel que quelqu'un filme ça, c'était bien plus intéressants que tous les reportages sur le virus dont tout le monde nous rabattait les oreilles à la télé ! Cela dit, quand elle lui tomba dessus, il arrêta de rire et s'indigna. « Hey mais pourquoi c'est moi, j'ai rien fait ! C'est lui ! Puis c'est pas notre faute si t'es moche hein ! Et arrête de vouloir m'embrasser bordel ! Tu pues de la gueule ! » Car oui, elle luttait pour approcher sa bouche de son beau visage. Heureusement elle n'avait pas l'air bien dégourdie et en l'attrapant au col, il parvenait à la tenir à distance. Il se tourna vers son nouvel ami pour de l'aide. « Bordel enlève la de là, je crois qu'elle est bourrée et que je lui plait ! Elle s'est chié dessus j'suis sûr, c'est infecte ! »

C'est un cauchemar. Le pire cauchemar que j'ai jamais vécu. Je vais me réveiller, très bientôt, et tout sera terminé. Je vais reprendre ma vie, mon entraînement, me qualifier pour les championnats et retrouver mon équipe. Ouais, voilà. Du calme, Jason, tout va bien se passer.

Un grognement. Je sursaute, resserrant ma prise sur ma batte. Putain, ils traînent encore par ici. Merde. Merde. Merde. MERDE. Je commence à avoir une crampe, à rester debout sans bouger dans mon coin du vestiaire. Ca fait combien de temps que j'attends ? Deux heures ? Trois peut-être ? J'en sais rien, j'ai perdu le fil. Je pensais qu'ils partiraient mais...

Va falloir que je bouge. Et vite. Je peux pas rester ici indéfiniment. Je risque un coup d'oeil derrière la rangée de casiers, là où j'ai posé mon sac de sport avec mes affaires de rechanges. Personne en vue. Si je suis assez rapide, je peux récupérer le sac avec mes clés et... Et quoi ? Retourner à l'hôtel ? J'ai plus personne à y rejoindre, tous mes potes sont ici. Mon équipe entière. Je retiens les larmes, c'est pas le moment. C'est en plein milieu de la ville mais c'est le seul endroit que je connaisse ici. Tu vas devoir courir, Jason. Et courir vite.

Les heures qui suivent s'enchaînent et se ressemble : courir de ruelle en ruelle, frapper, prier, se cacher. Je suis à bout de souffle, de la sueur coule librement de sous mon casque de baseball que j'ai gardé en guise de protection. Ma tenue blanche et rayée noire est souillée par la saleté de la ville à force de ramper, de m'accroupir... Et de sang, aussi. Pas le mien. Pas pour l'instant. Mais ça valait le coup. Je me rapproche de l'hôtel. Ma batterie a lâchée mais j'ai eu le temps de me servir du GPS suffisamment pour retrouver mon chemin sans.

Je reprends mon souffle, caché derrière une poubelle, attendant qu'une d'entre elle passe et s'éloigne. Je compte jusqu'à dix et je fonce. Je débouche dans la rue principale et c'est là que je les entends : deux gros cons en train de rire et de chanter. Je suis tellement choqué que je m'arrête pour les regarder. La meuf leur fonce dessus et ils... Lui parlent ?

C'est le chaos en ville, et eux ils sont là, insouciants. Je fais deux pas dans la direction de mon hôtel, haussant les épaules. Après tout, c'est pas mon problème. C'est quand je vois la femme leur tomber dessus du coin de l'oeil que mon instinct entre en jeu. Je passe en pilote automatique et je fonce droit sur eux alors qu'ils restent là sans fuir, tapant la discut' à celle qui veut leur peau.

J'arrive à leur niveau et je frappe de toute mes forces dans la gueule de la femme avec ma batte. Il y a un tintement mécanique suivi d'un méchant craquement. Le reste, c'est un déluge de sang, de cervelle et de dents qui les asperge. Mais la femme s'effondre et ne bouge plus. Et un home run pour Jason Sheffield !

L'adrénaline me fait bouillonner et je l'expulse en fusillant les deux gars du regard en leur braillant dessus : "MAIS QU'EST CE QUE VOUS FOUTEZ, BANDE DE CONS ? VOUS VOYEZ PAS QUE C'EST LA FIN DU MONDE LA ?" Je sais que ça va attirer les mangeurs de cervelle, mais ça fait du bien, de crier. Marre de rester silencieux.

Je repositionne mon casque et lève le menton, triomphant, comme après chaque coup parfait que je donne, avant d'essuyer nonchalamment le cervelas et le sang collé à ma batte sur les vêtements de la femme.

Bordel elle est collante la gonzesse ! Elle ne comprend pas que non ça veut dire non ? Et son consentement alors, on y pense !? Si encore elle était jolie il n'aurait pas lutté, mais là elle ne faisait même pas ce petit effort ! Heureusement son nouveau copain vint lui prêter main forte. Enfin forte, tout est relatif j'imagine. C'est l'intention qui compte ! La situation commençant cependant à bien l'emmerder, il redoubla d'efforts pour se défaire de ce thon puant. Et d'un coup d'un seul, la résistance qu'elle lui opposait disparu. Daaaaamn, aller à la salle commençait à porter ses fruits ! Ah non en fait. C'était un inconnu qui venait de... hein ? Son cerveau a moitié noyé dans l'alcool avait du mal à appréhender ce qui venait de se passer. Pourquoi il était couvert de sang tout à coup ? « AH MAIS C'EST DÉGOÛTANT ! Je vais chopper le SIDA à cause de toi, voir pire ! » Il la poussa sur le côté et elle retomba dans un son peu ragoutant. Arf, les gens qui ne savent pas boire, quelle plaie !

Tant bien que mal il se releva et tenta de s'épousseter mais cela n'eut pour résultat que d'étaler le sang un peu plus sur lui. « Alors déjà, on dit bonsoir avant de crier sur les gens, monsieur c'est la fin du monde. Et c'était prévu pour 2012 je te rappelle ! » Ahahah comment il venait trop de le casser là ! Même bourré sa répartie légendaire ne lui faisait pas défaut. « Bon, merci quand même ! Crois moi que son haleine faisait bien plus peur que l'apocalypse hein ! »

Il secouait la tête comme si cela allait magiquement remettre toutes ses idées en place quand son copain hurla sur l'inconnu. Hein quoi ? Tuer ? Il jeta un œil sur la femme et c'est vraie qu'elle n'avait pas l'air de bouger beaucoup. Bordel, l'odeur était bien digne d'un cadavre ! Ah non, ça c'était déjà avant, se rassura-t-il. Par contre il n'était pas sûr d'avoir remarqué ce gros trop dans son crâne jusqu'ici... Oh. Il regarda l'inconnu. Le cadavre. L'inconnu. Son copain fuyant. L'inconnu. Il m'a regardé. Je l'ai regardé. Il m'a regardé. Et comme tout être humain bien constitué, c'est son instinct de survie qui prit le relais face à ce fou dangereux. Il se laissa tomber au sol sans ménagement et étala ses bras dans des angles aussi bizarre que possible. La bouche ouverte et le regard vide -surtout grâce à l'alcool-, l'illusion était parfait. Il jouait le mort à la perfection, jamais l'autre ne pourrait se douter de la réalité.